49.3 Macronien : amateurisme ou panique ? Ou les deux ?
49.3 Macronien : amateurisme ou panique ? Ou les deux ?

49.3 Macronien : amateurisme ou panique ? Ou les deux ?


Le 29 février 2020, le Gouvernement, par le biais du Premier Ministre Édouard Philippe, a déclenché la procédure dite du « 49.3 » de la Constitution, afin de passer outre le débat parlementaire au sein de l’Assemblée Nationale.

La faculté de « passage en force gouvernemental » remonte à la rédaction même de notre Constitution en 1958 et fût utilisée pour la première fois par Michel Debré, alors Premier Ministre en exercice, concernant un projet de loi sur la force de dissuasion nucléaire.

La Gauche est aujourd’hui championne de France de l’utilisation de cet article avec près de 53 utilisations sur 88, dont 28 de la part de Michel Rocard qui fera office de « meilleur buteur » du Parti socialiste. Cette procédure engage la responsabilité du Gouvernement face à l’Assemblée Nationale lors de son déclenchement, mais paralyse tout le débat démocratique au sein de cette dernière. En somme, il s’agit là d’une immixtion du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, donc le Gouvernement devient créateur de droit, pouvoir théoriquement réservé au Législateur.

Quels sont donc les risques liés à cette procédure ?

Initialement, cette procédure pouvait être vue comme un garde-fou devant être utilisée en cas d’instabilité politique au sein de notre Parlement, et pour éviter que le pays pâtisse de cette dernière. Non sans rappeler l’instabilité politique permanente de la IVeme République, ce genre de procédure doit logiquement servir à garantir une stabilité de l’État.

Mais si l’œuvre du Général De Gaulle devait servir les intérêts de la Nation, à prévenir de troubles sociaux ou à assurer la continuité de l’Etat, la mise en pratique, notamment de cet article, a montré ses limites par plusieurs fois, et les Gouvernements sous la Présidence de François Hollande et d’Emmanuel Macron ont marqué une certaine rupture avec l’utilisation qu’on peut qualifier de « gaullienne » du 3eme alinéa de l’article 49 de la Constitution que j’expliquerai un peu plus tard.

Les députés des Républicains et des groupes de Gauche (socialistes, LFI et communistes) ayant déposé une motion de censure chacun, ces dernières auront peu de chances d’aboutir vu la majorité du parti présidentiel, sauf surprise générale. En théorie, ces motions peuvent renverser le Gouvernement si elles sont adoptées, mais en pratique, jamais une motion de censure n’a été adoptée par le vote des députés.

La navette parlementaire ne pouvant être évitée, le Sénat servira de dernier rempart concernant la réforme, et justifiera une fois de plus de son utilité démocratique. Le Sénat pourra voter et amender cette réforme, ce qui calmera peut-être certains de ceux qui veulent « fusiller le Sénat » pour reprendre les mots de Julien Batisse (CF article Droite de Demain : « Par pitié, ne fusillez pas le Sénat »).
Mais malgré la présence de ce dernier, un deuxième « 49.3 » est à envisager de la part du Gouvernement lors du deuxième passage de la réforme devant l’Assemblée Nationale. Une utilisation qui risque de continuer à fragiliser l’équilibre social au sein de notre pays. Equilibre social qui est déjà fragile depuis près d’une soixantaine de semaine avec la crise des gilets jaunes, crise migratoire et maintenant avec la propagation du coronavirus.

Pour reprendre les paroles d’Eric Ciotti en réaction à l’enclenchement de la procédure, le Gouvernement a profité d’une période de trouble qui sévit avec la propagation du coronavirus pour « dégainer en catimini » l’article 49.3. Comme si le climat de tension actuel ne suffisait pas, il fallait que Monsieur le Premier Ministre élude le vote des représentants du peuple pour l’obscure raison de « l’obstruction parlementaire » des groupes d’opposition.

Mais si le Gouvernement passe en force, les tactiques superflues des groupes parlementaires d’extrême gauche ont réussi à troubler la majorité puisque près de 40.000 amendements furent déposer, dont une très grande majorité en provenance des parlementaires de ces groupes.

Ainsi, une réforme de telle ampleur ne méritait-elle pas d’être débattue et votée malgré la forte densité d’amendements déposés ? Avec ce mois de février mouvementé, l’Assemblée Nationale fût le théâtre du jeu de celui qui dépose le plus d’amendement entre La France Insoumise et les Communistes.

Si le nombre de 40.000 amendements a été atteint, le nombre d’amendements uniques s’élèverait à 6.593 (amendements sans les doublons), ce qui reste relativement raisonnable pour une réforme d’une telle ampleur (Source : article France Info « Réforme des retraites : plongée dans les 40.000 amendements qui paralysent l’Assemblée », voir graphique camembert « amendements uniques et amendements de suppression).

C’est donc un double reproche qui peut être formulé, avec d’une part les groupes d’extrême-gauche qui ont poussé à cette situation, et d’autre part, un Gouvernement qui trouve un prétexte pour sacrifier le débat démocratique. Les grands perdants sont donc les groupes d’opposition qui ont joué le jeu mais surtout… le Peuple français.

En outre, faut-il rappeler à Monsieur le Premier Ministre qu’en 2016, lorsque Manuel Valls avait déclenché la procédure, il avait promptement souligné que cet article n’est pas destiné « à museler l’opposition, mais à museler la majorité », que c’est lorsque « le Gouvernement n’a pas la majorité à l’Assemblée, quand il n’est pas sûr de faire adopter un texte, qu’il l’utilise », et qu’il avait décidé de quitter l’hémicycle en compagnie de ses anciens collègues à la suite de l’utilisation de l’article 49.3 ?

Monsieur le Premier Ministre a choisi de faire comme son prédécesseur socialiste, Monsieur Valls, et de marquer la même rupture avec « l’utilisation gaullienne » de l’article, qu’il avait pourtant défendu avec conviction en 2016. Mais si la responsabilité du Gouvernement a peu de chances d’être remise en question, une pente glissante est empruntée, et le contexte social actuel n’aura aucune chance de s’améliorer avec ce genre d’attitude.

Outre le contexte social, et comme le dit très justement Julien Aubert, « le Gouvernement se sera permis de décider seul d’une réforme qui concerne 40 millions de français et coûte 350 milliards d’euros, en se dispensant d’un vote des représentants de la Nation ».

Dans le fond, cette nouvelle forme d’utilisation du « 49.3 » est une dérive qui est une conséquence du nouveau despotisme qui émane des sociétés démocratiques tel que l’analysait Alexis de Tocqueville dans son livre « De la démocratie en Amérique » en son temps ?

Un despotisme « plus étendu, plus doux ». Pour y voir plus clair sur le jeu du Gouvernement, on peut lire cette utilisation du fameux « 49.3 » comme un « coup de force » grotesque du Gouvernement sur l’opposition, et tout ceci malgré cette supra-majorité parlementaire au sein de l’Assemblée Nationale. Le jeu du Gouvernement étant confronté au jeu des parlementaires d’extrême-gauche, qui ont aussi pris part à la paralysie du débat.

Pour terminer, et face à la controverse liée à cette réforme des retraites, je pense qu’il s’agit symboliquement d’un coup de force du Gouvernement sur le peuple. L’Assemblée Nationale est le lieu d’expression de ce dernier, l’utilisation du 49.3 semble complètement disproportionnée car la majorité parlementaire aurait aisément pu affronter l’opposition.

Caricaturons

C’est donc la fin de la cour de récréation, les bons élèves (opposition) ont été punis au même titre que les mauvais élèves (LFI / Communistes) par des professeurs et surveillants zélés (Gouvernement / majorité), au grand dam des parents d’élèves (le Peuple) qui vont payer les « pots cassés » de leurs rejetons. Heureusement que les grands-parents sont encore là pour rétablir l’équilibre (le Sénat).


Alexandre SARADJIAN

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