Philippe Séguin, député de la 1 ère circonscription des Vosges s’avance sur l’estrade devant l’hémicycle, le sujet est important, les députés sont en tension, l’avenir de la Nation se joue dans le vote qui suivra. Il s’avance, un sourire en coin, l’ancien ministre des Affaires Sociales et de l’Emploi le sait, il doit convaincre des élus récalcitrants, déjà acquis pour la plupart à une accélération de la construction Européenne. Lui, est un gaulliste, il ne l’a pas oublié. En tant que gaulliste, il est attaché à la souveraineté d’une des plus grandes puissances mondiales, d’un peuple rayonnant, il est réaliste, sa pensée est tournée vers la puissance étatique, à la manière d’un Raymond Aron qui mettait l’enjeu de puissance au cœur des relations internationales, une puissance qu’il définit « j’appelle puissance sur la scène internationale la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref, la puissance n’est pas un absolu, mais une relation humaine ». Les réalistes le savent, un Etat doit être fort pour peser sur le système international considéré comme anarchique.
Le gaulliste social est attaché à la question populaire. Pour lui, la Nation rime avec l’ascenseur social, à une droite proche des milieux populaires, qui ne laissent pas les plus démunies au bord du chemin. Et pour prendre en compte ces individus, il le sait, la souveraineté par le peuple, pour le peuple est la seule issue. L’Assemblée Nationale, en ce 5 mai 1992, doit voter par l’article 11 de la constitution, le projet de loi visant la ratification des accords de Maastricht. En effet, les gouvernements et chefs d’états des pays membres de l’Union Européenne s’étaient préalablement mis d’accord le 10 décembre 1991. Le projet de loi doit passer par le parlement puis doit être soumis au vote des citoyens. Cependant, cette nouvelle étape franchie par le traité de Maastricht n’est pas compatible avec le maintien d’une souveraineté nationale, comme le souligne Philippe Séguin « le projet viole de façon flagrante, le principe en vertu duquel la souveraineté nationale est inaliénable et imprescriptible, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, en dehors duquel une société doit être considérée comme dépourvue de constitution ». Philippe Séguin est remonté contre la manœuvre du vote, pour lui, l’article 89 aurait dû être employé, car ce vote dissout le principe même de la constitution, et surtout, de son article 3 « la souveraineté nationale appartient au peuple », quelle souveraineté populaire dans une Europe où le parlement européen n’a pas la décision finale ?
En France notre souveraineté populaire s’applique de manière représentative. Les citoyens Français exercent leur souveraineté par l’élection de représentants, et ce traité pour Philippe Séguin, enlève ce pouvoir, « on demande au Parlement, qui n’en a pas le droit, rien de mieux que d’abandonner sa compétence législative aux organes communautaires chaque fois que ceux-ci le jugeront nécessaire ». En outre, le député le prédit très bien, avec sa verve poétique, il dessine brillamment les contours d’une Europe muselant les états-nations, légiférant au-dessus des parlements nationaux. Une Europe des technocrates, des décisions de cabinets légiférant sans les contradictions d’élus représentants leurs territoires, « une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernements, prend, au nom des peuples, sans en avoir reçus mandat des décisions ».
Philippe Séguin dans son discours ne remet en aucun cas le fait de voter contre l’abandon de la souveraineté nationale, mais dénonce avec malice le fait qu’on présente ce vote comme une loi ordinaire, sauf, que c’est tout une vision qu’on jette avec l’eau du bain, la vision du créateur de notre Cinquième République, le Général de Gaulle, qui le savait mieux que quiconque que la coopération des pays européens était essentielle à notre survie, mais que la souveraineté nationale devra être défendue sans compromissions. Cependant, les accords de 1992 s’inscrivent dans une logique fédérale, une logique supranationale, néolibérale, « on ne s’y trompe pas la logique du processus de l’engrenage économique et politique mis au point par Maastricht est celle d’un fédéralisme au rabais fondamentalement anti-démocratique, faiblement libéral et résolument technocrate », l’expliquait très bien ce Dracénois attaché à notre territoire.
Philippe Séguin sera salué par ce discours prophétique, mais le « OUI » gagnera tout de même et le traité est ainsi appliqué le 1 er novembre 1993, avec la mise en place d’un marché commun et d’un rôle politique donné aux organes européens. Le 26 mars 1995, l’espace Schengen apparait, les êtres et marchandises peuvent circuler librement, les frontières sembles désuètes. Une monnaie commune est adoptée en 2001. Le pas est franchi en 2005, le référendum pour la ratification d’une constitution européenne est le théâtre d’un chamboulement politique avec la victoire du « non », et pourtant en 2007, le traité de Lisbonne est ratifié par le Parlement, la souveraineté du peuple est une nouvelle fois bafouée car une souveraineté « ne se divise pas ni ne se partage et, bien-sûr, cela ne se limite pas » prophétise Philippe Séguin. La pensée de Philippe Séguin doit continuer de nous inspirer, surtout d’inspirer la droite de demain, car, sans souveraineté nos décisions, nos représentants n’auront aucun impact dans une Europe fédéraliste ne laissant que très peu de places à notre volonté, à notre citoyenneté, à notre Nation.
Paul Gallard