Alexandre Avril est maire de Salbris (Loir-et-Cher).
Vous êtes devenu le symbole de la défense des petits commerçants à travers la vidéo que vous avez publié sur Facebook, pourquoi un tel engagement de votre part ?
Ce fut d’abord une mobilisation spontanée : c’est vers nous, les maires, les élus locaux, que les commerçants se sont immédiatement tournés. Je ne pouvais pas les laisser dans cette situation, en plein désarrois, sans agir. Nous l’avons fait de deux manières : sur le plan municipal avec des actions concrètes et sur le plan médiatique avec cette adresse à Emmanuel Macron, qui a comptabilisé plus d’un million de vues… Je crois qu’à ce moment-là, beaucoup de Français partageaient notre inquiétude et que les commerçants de Salbris ont prêté leur voix à la France entière.
On a du mal à comprendre pourquoi l’autorisation des grandes surfaces et la fermeture des petits commerces …
C’est tout le problème : le « deux poids deux mesures » qui paraissaient absurde. Personne ne peut raisonnablement croire qu’il est moins dangereux de s’agglutiner dans les grandes surfaces, dans leurs rayons, dans leurs files d’attente, que d’être reçu individuellement par un petit commerçant qui porte déjà le masque et vous accueille avec du gel hydroalcoolique. Cette décision n’avait aucune logique. Les commerçants ont vraiment eu le sentiment d’être montré du doigts, sinon d’être inutilement sacrifiés.
Votre village est un très bon élève en matière de petits commerces – près d’une centaine pour 5 000 habitants – a contrario des villages français qui ont beaucoup de mal à les faire survivre. Quelle est votre politique sur ce domaine ?
Notre ville, voulez-vous dire ! En milieu rural, une commune de plus de 5 000 habitants est un véritable pôle de centralité, une ville où l’on va justement faire ses courses. Par le hasard des choses, notre petit commerce a plutôt bien résisté à la concurrence des moyennes et grande surface sur le temps long. Une forte cohésion des habitants autour de leurs commerçants de centre-ville, un certain charme d’antan à déambuler dans le centre-bourg pour faire ses courses, autant de paramètres immatériels qui protègent encore notre qualité de vie.
Pourquoi un tel acharnement sur ces commerçants déjà très touchés par les gilets jaunes et la première vague, alors que les grandes surfaces ont été les grandes gagnantes de la crise ?
Par manque de réalisme, par déconnection ! Nos décideurs sont parisiens et souvent issus de la technocratie : ils ne connaissent pas les réalités quotidiennes de la plupart des petits commerces de France. Décider vite et décider seuls, sans prendre en compte la réalité du terrain, voilà le meilleur moyen de prendre de mauvaises décisions.
Cette situation montre-t-elle le besoin de mener une politique d’équilibre avec les grands leaders du e-commerce ?
Plus qu’une politique d’équilibre, il faut une véritable politique de protection de nos petits acteurs locaux. Défendre le produit en France et le distribué localement nécessite une vision politique plus armée face au logiciel vieillissant du libre-échangisme : protéger nos frontières de la concurrence commerciale déloyale, protéger nos acteurs locaux et valoriser in concreto les circuits courts.
Le petit commerce (bar, superette, restaurants…) n’est-il pas finalement le moyen de faire nation en France ? A travers la mort des petits commerces dans nos villages n’est-ce pas aussi la mort de l’esprit français ?
C’est tout à fait cela. Le petit commerce fait partie intégrante de notre patrimoine immatériel français. Je suis très inquiet que cette crise ait mis à mal cet esprit de convivialité et de rassemblement qui fait l’âme de la France.
Les maires des petites de communes ont semblé lâchés par l’Etat, notamment dans leurs pouvoirs régaliens – certains ont même été agressés – peut-on redorer la fonction de Maire ?
Le Maire est le premier élu de proximité : il est au quotidien avec ses administrés, vit avec eux, partage la même réalité qu’eux. Sa fonction est essentielle pour protéger les gens : face aux menaces extérieures mais également contre l’absurdité de certaines décisions d’État.
Ce confinement montre-t-il le décalage entre les territoires urbains et ruraux ?
Ô combien ! Ce décalage est devenu un fossé immense : la France se vit à deux vitesses. Néanmoins, je suis persuadé qu’au sortir de cette crise, ce sont bien les « territoires » qui rafleront la mise. Nos concitoyens sont désormais lassés des contraintes métropolitaines et ont bien perçu que c’est en province que l’on vit le mieux en temps de crise. Et pas qu’en temps de crise…
Propos recueillis par Paul Gallard