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Chaque début de semaine, retrouvez la construction idéologique et politique de la droite à travers l’analyse d’ouvrages historiques et politiques par Juliette Losfeld

Mardi 2 juin, Gilles Richard, Histoire des Droites en France, de 1815 à nos jours

Dans ce premier chapitre, Gilles Richard nous ramène en 1815, date qui permet, nous explique-t-il, « de prendre l’exacte mesure du poids de la Révolution, événement fondateur en même temps que source d’affrontements considérables ». À cette date, quatre partis s’affrontent : les légitimistes, partisans du retour à l’Ancien Régime ; les orléanistes adeptes de la monarchie censitaire à la britannique ; les bonapartistes qui souhaitaient le rétablissement de l’Empire ; et, finalement, les Républicains, tenants du suffrage universel masculin. Au cours de ce premier chapitre, nous découvrons, successivement, le destin de ces trois droites jusqu’en 1870.

Les ultras et la doctrine de l’ancien

Inégalitaire par nature, la société devait être reconstruite sur le modèle hiérarchique et patriarcal de la famille, où la solidarité entre les êtres reposait sur les droits et devoirs mutuels codifiés par la tradition, et non pas sur des principes abstraits. Edmund Burke, Joseph Maistre, Louis de Bonald, étaient autant d’exemples de penseurs qui avaient rigoureusement défini la doctrine légitimiste. Ils avaient tous en commun de rejeter en bloc la Révolution. Pour eux, elle était le fruit d’un volontarisme humain « aussi prétentieux que vain », et avait été « tel le Déluge, la terrible manifestation de la colère de Dieu contre les funestes effets de la philosophie des Lumières. Le rationalisme universaliste, « maladie monstrueuse », avait bien failli tuer la France, « fille ainée de l’Église ». 

En 1815, renouer avec la tradition était un enjeu central. Mais pour les légitimistes, ironiquement, tout ne se valait pas dans celle-ci. L’absolutisme, perçu comme l’ancêtre du centralisme napoléonien, n’était pas souhaitable. Pour eux, il fallait remonter jusqu’au Moyen-Âge, son romantisme, et son art gothique, une source d’inspiration, notamment pour les jeunes poètes ultras du Cénacle, réunis chez Charles Nodier.

15 ans de conquête politique

Le 22 août 1815, les ultras royalistes, sous l’égide de François-Régis de la Bourdonnaye, rencontrent un succès jamais retrouvé dans l’histoire de France, avec une Chambre des députés composée à près de 90% de légitimistes. Jusqu’en 1830, date où les orléanistes prendront le pouvoir, les légitimistes vont voter toute une série de lois, avec l’objectif de revenir à un modèle sociétal ante-Révolution. En 1816, Louis de Bonald, député de l’Aveyron, fut le rapporteur de la loi abolissant le divorce « poison révolutionnaire instillé dans le corps social en 1794 ».  La loi du 17 avril 1825 venait elle organiser l’indemnisation des émigrés, les tenants de la monarchie ayant quitté la France entre 1789 et 1800 en raison des troubles révolutionnaires. Protecteur de l’Église, l’État était garant du dogme religieux par la loi du 24 mai 1825, qui punissait de mort le vol des ciboires dans les tabernacles.

Après 15 ans au pouvoir, ils subirent une lourde défaite politique, que Charles X tenta de contrer en procédant à une dissolution de la Chambre. Elle résultera en un échec, en raison d’un soulèvement populaire des parisiens les 27, 28 et 29 juillet 1830, les « Trois Glorieuses ». Ils ne parviendront plus à mobiliser des ressources nécessaires pour revenir à l’Ancien Régime. Ils se sont alors repliés dans leurs bastions ruraux, sous l’effet conjugué de l’exode vers les villes et de la propagande républicaine.

Les orléanistes

Aux yeux de leur adversaires, ils étaient préoccupés par les seules « affaires » ou dotés d’une idéologie sommaire. Parmi eux, on compte des figures restées célèbres, comme Benjamin Constant, défenseur de l’équilibre des pouvoirs, Casimir-Perier, qui contribua à fonder la Banque de France, ou encore l’incontournable Alexis de Tocqueville. La question de l’époque était la suivante : comment en finir avec la Révolution ? Le retour à l’Ancien Régime était impossible, car la Terreur avait démontré les excès de la souveraineté populaire. Pour François Guizot, instaurer le « gouvernement des esprits », rimait avec liberté de la presse, publicité des débats parlementaires et aussi et surtout, la diffusion de l’instruction.

D’où vient le nom d’ « orléaniste » ? Son origine remonte à 1830, à la fin des Trois Glorieuses, lorsque les manœuvres des chefs du parti, à l’instar d’Adolphe Thiers, ont permis de porter Louis-Philippe 1er sur le trône. C’est la même année qu’ils remportent la majorité à la Chambre, après 15 ans sous la domination politique des ultras. La victoire des orléanistes, pour Gilles Richard, coïncide avec le décollage industriel du pays, amorcé par la prise d’Alger, le 5 juillet 1830. Ces évènements viennent alors « consolider la classe moyenne », dont François Guizot avait bien cerné le rôle de « moteur de l’histoire ».

En 1848, les orléanistes subissent une lourde défaite. 3 ans auparavant, l’économie européenne était entrée dans une crise grave, rendue particulièrement complexe en France en raison d’aspects anciens, comme la crise agricole ; et d’aspects nouveaux, comme la spéculation boursière sur les chemins de fer. Ils repartirent au combat sous la direction d’Adolphe Thiers, principal rival de François Guizot. En parvenant à former un groupe parlementaire en 1848, ils impulsèrent la création du Comité de la rue de Poitiers, où Orléanistes réconciliés et légitimistes soucieux de ne pas abandonner le terrain parlementaire préparaient leur retour au pouvoir.

La coalition pour le retour de l’Empereur

En 1840, les orléanistes avaient réussi à capter une partie du courant bonapartiste en obtenant le retour des cendres de l’empereur. Mais qui remettre sur le trône impérial ? Napoléon 1er avait été retenu prisonnier des Britanniques jusqu’à sa mort en 1821. « l’Aiglon », son fils, duc de Reichstadt retenu en Autriche et de santé fragile, était décédé en 1832. Deux frères de Napoléon pouvaient alors lui succéder. Le premier, Joseph, eut deux filles mais pas de fils. Louis avait trois fils, dont deux étaient morts en bas âge, et le troisième élevé en exil n’avait pu être ramené malgré deux tentatives en 1836 et 1840. En 1848, le parti n’avait aucune structure nationale.

Pourtant, le vent tourne brusquement avec le soutien du parti de l’ordre. Pour Adolphe Thiers, « stratège de la Rue de Poitiers », seul un nom déjà connu de tous les électeurs pourrait l’emporter à l’issue d’une campagne. Louis-Napoléon récemment rentré en France fut triomphalement élu le 10 décembre 1948. Le nouveau président donna d’abord des gages au parti de l’ordre en nommant un gouvernement monarchiste dirigé par Odilon Barrot. Très rapidement, dès le printemps, ses premières velléités d’indépendance apparurent. Un comité central patronna dans plusieurs départements des candidats indépendants de la Rue de Poitiers. Loin de mettre à mal l’hégémonie du parti de l’ordre, ils étaient bien décidés à accroître leur influence. Les yeux rivés sur l’année 1852, où cesserait le mandat de leur chef, à qui la Constitution interdisait de se représenter, ils entamèrent les négociations avec les légitimistes et les orléanistes en été 1850, après le décès de Louis-Philippe.

En octobre, le président se déclara officiellement favorable au rétablissement du suffrage universel masculin, que la loi du 31 mai 1850 avait aboli en excluant de la citoyenneté le tiers le plus pauvre des électeurs. « Un habile coup politique » selon Gilles Richard, qui explique qu’il divisa la coalition inattendue entre légitimistes et bonapartistes.

Dans un climat d’extrême confusion, la date symbolique du 2 décembre 1851 avait été retenue pour faire un coup d’État. Avec le soutien de l’armée, le président décréta la dissolution de l’Assemblée nationale, annula la loi du 31 mai 1850 et annonça un prochain plébiscite pour ratifier les bases d’une nouvelle Constitution. Le 14 janvier 1852, Louis-Napoléon Bonaparte devint « prince-président » pour dix ans avec presque tous les pouvoirs. Le 2 décembre 1852, l’Empire héréditaire fut officiellement rétabli, et le chef de l’État prit le titre de Napoléon III, qu’il conserva jusqu’au 4 septembre 1870.

Qu’est-ce que le bonapartisme ?

Pendant près de dix-neuf années, c’est donc bel et bien le bonapartisme qui imposa sa marque au pays. Pour autant, parmi les 3 autres partis de l’époque, ils étaient ceux dont la doctrine était la moins nette. Dans le communiqué publié à l’occasion du remaniement gouvernemental du 31 octobre 1849, Louis-Napoléon avait affirmé : « tout un système a triomphé le 10 décembre car le nom de Napoléon est  à  lui seul tout un programme ». En réalité, il s’agissait d’arrêter le processus révolutionnaire et revenir à l’Ancien Régime.

Plus qu’un retour à la Constitution de l’an VIII, le bonapartisme des années 1850 était également un « était bien un projet novateur, adapté aux réalités sociales et politiques de son temps ». Louis-Napoléon croyait en effet au suffrage universel masculin, qui fut un élément majeur de son programme. L’aspect plébiscitaire du bonapartisme n’était pas aussi important qu’on ne le croit, avec seulement trois plébiscites en 19 ans sous Napoléon III.

Quand l’empereur fut capturé par l’armée allemande le 2 septembre 1870 à Sedan, le régime s’effrondra brutalement, comme les précédents, celui des Bourbons et celui des Orléans. Comme en 1815, la France se retrouva envahie. Mais la France de 1870 n’était plus la même et les choses se déroulèrent autrement qu’un demi-siècle plus tôt. Les droites furent contraintes de s’adapter aux évolution qui ont mené à l’établissement durable de la République.