(Entretien) Abdoulaye Kanté (Policier), « La police française n’est pas raciste »
(Entretien) Abdoulaye Kanté (Policier), « La police française n’est pas raciste »

(Entretien) Abdoulaye Kanté (Policier), « La police française n’est pas raciste »

Abdoulaye Kanté est policier depuis vingt et un ans. Il est passé à police secours, dans la brigade anticriminalité (BAC) ainsi que dans la brigade des stupéfiants de la région parisienne et est désormais en poste en coopération internationale opérationnelle (DCI) dans les Hauts de Seine. A la fois cible et défenseur de la police sur les réseaux sociaux, il apporte de la lumière sur le cœur du métier de policier.

La France connaît une succession d’acte de violence anti-policier, une décomplexion des agressions sur les forces de l’ordre, qu’est-ce que cela traduit de la société selon vous ?

Aujourd’hui, c’est vrai qu’il existe une réalité sur une société qui devient de plus en plus violente. Cela va bientôt faire presque 10 ans où une succession d’événements s’est réalisée. Depuis la loi travail El Khomri en passant par la crise des gilets jaunes, les actes terroristes et désormais des actes malfaisants à notre encontre diffusés sur les réseaux sociaux comme Viry-Châtillon. Ce qui est tragique, c’est qu’aujourd’hui cette société de plus en plus violente est devenue notre quotidien. On voit nos collègues se faire caillasser dans des guet-apens organisés pour être rendu public sur les médias et réseaux sociaux. Il n’existe plus de respect de l’autorité en lui-même, le drame est là.

Vous exercez ce métier depuis 21 ans, qu’est ce qui a profondément changé sur les rapports police/citoyen ?

A cause des crises sociales, le nom de policier, le port de l’uniforme est devenu de plus en plus un signe de défiance par rapport à l’Etat. Avant, il y avait beaucoup moins d’agressions directes ou frontales envers les forces de l’ordre, aujourd’hui les individus ont moins peur de nous attaquer, de nous invectiver. Les multiples crises, notamment celle du covid ont détruit les gens psychologiquement, ils sont plus à cran et nous le ressentons beaucoup sur le terrain.

A l’issue de la manifestation du 1er mai où dans le 11ème arrondissement de Paris, nous avons pu voir des tags d’une violence inouïe « A.C.A.B » ou « Magnanville partout ». N’avons-nous pas franchi un cap ?

Bien sûr que nous avons franchi un cap qui est inacceptable. Magnanville nous a profondément traumatisé. On cherche à nous atteindre au plus profond de notre être. L’assassinat sur notre collègue Stéphanie Monfermé à Rambouillet égorgée devant un commissariat, nous démontre qu’il n’y a plus aucune peur et que l’on peut impunément nous attaquer en plein cœur. Si on va plus loin, lors des manifestations, lorsque l’on entend des slogans autour de « suicidez-vous » ou « tout le monde déteste la police », cela nous démontre que la haine anti-flic n’est pas seulement un sentiment mais bien une réalité. On n’oublie trop souvent qu’en dessous de l’uniforme il y a un être humain. Effectivement, nous sommes un appareil de l’Etat, nous sommes les gardiens de la paix, les garants de la paix social, les garants de la sécurité des citoyens et la plupart des gens ont perdu de vue cela, car certains pyromanes, certaines personnalités médiatico-politiques ont fait en sorte d’alimenter cette haine. Je rappelle que la police est représentée par 150 000 femmes et hommes sur le territoire, c’est 3,4 millions d’interventions par an, 8 500 interventions par jour et une intervention toutes les dix secondes. Ceux qui surfent sur la haine anti-flic prennent évidemment les dérapages qui restent minoritaires mais qui sont lourdement sanctionnés malgré la lenteur administrative. La haine anti-flic est bien réelle et nous avons dépassé un cap où le policier est devenu une sorte de paillasson sur lequel on peut déverser sa haine. Cela pèse dans le cœur de ces femmes et de ces hommes qui sont présent et engagés pour la sécurité et le maintien de l’ordre de notre société.

Justement, on parle souvent de violences policières où la confusion règne. Selon-vous s’agit-il de dérapages individuels ou d’un problème structurel ?

Je n’aime pas l’expression de « violence policière » et préfère parler de violence illégitime. Or, nous avons le droit d’utiliser la force, c’est ce qu’on appelle la violence légale encadrée par le code de sécurité intérieure. Avec ce terme on a l’impression qu’on octroie aux forces de l’ordre un blanc-seing pour commettre des exactions. Le souci est de savoir si le policier dans son action peut faire usage de manière proportionnée de cette violence. Effectivement, si la violence illégitime est avérée et que le policier a fauté, il est normal qu’il soit sanctionné. Par ailleurs, je rappelle que nous sommes la profession la plus contrôlée de l’administration française. Et lorsque l’on parle de racisme, je le redis encore une fois, la police française n’est pas raciste, elle ne repose pas sur un système raciste. Lorsque l’on parle de racisme systémique, cela veut dire que l’on vous apprend à devenir raciste, ce qui est faux et à l’antipode des valeurs républicaines transmises aux forces de l’ordre. Il faut faire très attention, car effectivement, il existe cette minorité sur l’ensemble des actions que la police mène quotidiennement qui représente 0.01%, et l’administration doit être plus vigilante par rapport à ces faits qui salissent la profession. On peut être choqué par certaines images, mais il y a des instances comme l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) qui veillent au grain. La loi est aussi du côté des victimes dans la mesure où ils peuvent porter plainte auprès du procureur de la République avec des preuves.

Vous êtes otage de cette forme de magma médiatico-politique où on vous condamne avant l’ouverture d’une enquête. Comme vous me l’avez dit vous êtes des êtres humains avec une vie de famille à préserver, où vous voyez ce que la société ne voit pas et qui peuvent parfois vous poussez à mettre fin à vos jours, comment on vit cela ?

Il faut savoir que le suicide me rappelle celui de ma collègue Maggy Biskupski. Ce drame m’a profondément touché. Ces dernières années, il y a eu une hécatombe, 58 morts par suicides en 2019 et près de 30 en 2020 au sein de notre profession. Nous sommes les éponges de la société. La société, ce qu’elle ne veut pas voir, nous le voyons quotidiennement. Le policier lorsqu’il va sur un accident de voie public, il assiste à des scènes très durs à digérer. Il voit une femme le visage tuméfié de partout par les coups portés par son compagnon lors de violences intrafamiliales devant ses enfants en larmes. Nous sommes menacés, insultés sur le terrain mais aussi sur les réseaux sociaux et dans les manifestations. Nous sommes devant des situations extrêmement difficiles et c’est notre boulot de secourir, de protéger et d’aider les personnes au quotidien. C’est cela la réalité. Quand le policier rentre chez lui, il faut évacuer ce qu’il a vécu la journée. Ensuite, il y a une réalité à prendre en compte, c’est que les causes du suicide sont multifactorielles : cela peut être dû à son travail, à son rapport avec ses collègues, à des problèmes d’ordre familial, à un manque d’équilibre…Je pense qu’il faut aller plus loin sur le suivi psychologique des collègues et peut être l’améliorer comme mettre en place un suivi obligatoire tous les deux ans pour savoir comment ils se sentent, une visite médicale obligatoire plus poussée avec un diagnostic précis. Mettre en place plus de pédagogie et de sensibilisation pour instaurer un dialogue, de sorte que lorsque l’on ne sent pas bien il faut parler. Les numéros verts ne sont pas efficaces car nous ne prenons pas le temps de nous mettre en face de nous-mêmes, nous sommes pris par le travail, notre vie privée, alors que si on impose un temps pour savoir où nous en sommes je pense que l’on peut détecter plus vite des cas de détresse. Pour cela, il faut une vraie volonté politique.

L’inertie judiciaire et constitutionnelle, n’ont-elles pas leur part de responsabilité sur ce ras-le-bol général ?

Le problème de la justice tout comme la police, c’est qu’elle a aussi ses difficultés. La relation police/justice est mise à mal par ces individus nuisibles qui, une fois interpellés par la police se retrouvent relâchés peu de temps après par la justice. Nous le vivons comme une injustice, une incompréhension tout comme les citoyens. Je pense que la justice doit se doter de moyens nécessaires pour appliquer et faire exécuter la loi stricto-sensu. Cela ne sert à rien de créer d’autres lois sur des lois qui existent déjà. On parle de construire plus de places de prison, je suis d’accord avec cela, mais ce n’est pas forcément une solution pérenne. Appliquons les lois. Je n’ai rien contre la justice mais nous devons avoir des résultats sur le travail de nos interpellations.

Récemment, les riverains du quartier Stalingrad essaient de faire rétablir l’ordre par leurs propres moyens, est ce que vous comprenez cette initiative ?

Stalingrad est un endroit que je connais bien et on ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu beaucoup de choses de réaliser là bas, mais encore une fois c’est très compliqué parce que la police ne peut pas tout faire. Je pense que ce n’est pas uniquement du répressif qu’il faut réaliser dans cette zone mais il faut qu’il y ait un réel suivi social, car les « victimes » sont aussi les consommateurs. Il y a des queues immenses pour que les gens aillent chercher leurs doses à Stalincrack. Ces individus lorsqu’on les interpelle, on leur ordonne des injonctions thérapeutiques. Est-ce que ces injonctions thérapeutiques sont suivies ? Pratiquement non. Est-ce que les structures sociales font leur travail ? Parce que le tout répressif ne fonctionnera pas, nous aurons beau les dégager, ils iront ailleurs et le problème ne fera que se déplacer sans le solutionner.

Nous constatons que les policiers, pompiers, enseignants, médecins sont de plus en plus sujet à ces actes de violences, comment résoudre ce problème ?

Récemment, je suis allé dans un EPIDE (Établissement pour l’insertion dans l’emploi). C’est une structure qui accueille des jeunes de 18 à 25 ans qui sont en décrochage à la recherche d’un travail. Pendant huit mois environ, ces jeunes sont en internat. Ils habitent au centre EPIDE du lundi au vendredi. Au centre, ils suivent un programme intensif, très différent de ce qu’ils ont connu à l’école. Ils portent un uniforme, font du sport, étudient, participent à des actions de solidarité. On leur transmet une discipline, les valeurs républicaines, et ils deviennent acteurs de leur propre histoire. C’est une merveilleuse voie d’espérance pour cette jeunesse.

Propos recueillis par André Missonnier

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