(Entretien) Alexandre Cormier-Denis, « La censure est une constante de la gauche totalitaire »
(Entretien) Alexandre Cormier-Denis, « La censure est une constante de la gauche totalitaire »

(Entretien) Alexandre Cormier-Denis, « La censure est une constante de la gauche totalitaire »

Nous parlons beaucoup du mouvement woke. Qu’est-ce que c’est ? D’où vient-il ? Que prône-t-il ?

Le terme de « woke » se popularise au sein de l’extrême gauche américaine dans la foulée du mouvement Black Lives Matter aux alentours de 2014. Il renvoie d’abord au fait d’être « éveillé » aux inégalités raciales que subiraient supposément les Noirs américains, puis le terme s’étend à toutes les causes sociétales habituelles de la gauche ; féminisme, homosexualisme, transgenrisme, islamo- gauchisme, écologisme, socialisme, etc. Ce qu’on pourrait appeler le « wokisme » n’est que le dernier avatar du marxisme culturel qui vise à détruire la société occidentale traditionnelle jugée oppressive car supposément fondée sur le suprémacisme blanc, le patriarcat, l’hétéronormativité et le capitalisme générateur d’inégalités sociales et destructeur de l’environnement. Il s’agit de la continuité de la lutte marxiste contre l’ordre établi du monde occidental tel qu’il s’est déployé depuis la seconde moitié du XIX e siècle avec un vocabulaire adapté aux nouvelles marottes idéologiques de la gauche post-soviétique qui ne peut plus ouvertement se réclamer du communisme ou du marxisme-léninisme pour tenter de renverser la société capitaliste. Sous l’influence d’Antonio

Gramsci et de l’école freudo-marxiste de Francfort, la gauche a remplacé les prolétaires par les groupes minoritaires tandis que la figure du bourgeois capitaliste a été remplacé par celle de l’Homme blanc hétérosexuel. Ce changement de paradigme, du marxisme qu’on pourrait qualifier d’« orthodoxe » au marxisme culturel, ne doit pas nous faire oublier que c’est toujours la même logique du ressentiment du dominé envers le dominant qui nourri ce nouvel avatar du gauchisme et que les mouvements d’extrême gauche n’ont pas pour autant abandonnés leurs visées socialistes qu’ils habillent désormais sur un vocable moins idéologiquement marqué, mais qui demeure empreint de thèses économiques marxistes. Notons également que le terme de « woke » a tellement été brocardé par une partie des médias de centre-droit que le mot est devenu largement péjoratif dans le débat public actuel. En cela, on peut penser que l’accusation infamante de « wokisme » servant à décrédibiliser l’extrême gauche est une victoire sémantique de la Droite.

La pensée woke comporte dans son corpus idéologique la “cancel culture”. Pourquoi cette forme de damnatio memoriæ est-elle encouragée ? La nature ayant horreur du vide, quels sont les nouveaux héros du wokisme ?

La censure est une constante de la gauche totalitaire depuis belle lurette. De la Terreur révolutionnaire française aux régimes mensongers de l’URSS ou de la Chine maoïste, la gauche a toujours eu cette habitude maladive de vouloir faire taire ses opposants politiques par l’envoi en camp de rééducation, au goulag, à l’hôpital psychiatrique ou pire, au peloton d’exécution. N’oublions pas que « l’archange de la Terreur », Louis Antoine de Saint-Just affirmait déjà « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » dès 1793. Il n’est donc pas étonnant que ses successeurs idéologiques utilisent les mêmes arguments rhétoriques pour censurer leurs opposants politiques et faire du révisionnisme historique en déboulonnant les figures du passé jugées trop « blanches » ou « masculines ». Hier les sans-culottes vandalisaient les tombeaux des rois, aujourd’hui ce sont les statues des grands hommes de l’Histoire qui peuvent être vandalisées ou supprimées au nom d’une nouvelle rectitude politique s’inscrivant dans cette révolution culturelle anti-blanche, anti-patriarcale et anti-occidentale qui s’opère devant nos yeux. Dans les productions cinématographiques, les personnages fictifs ou les personnages historiques aussi peuvent être soudainement remplacés par des femmes noires lesbiennes pour mieux accommoder l’idéologie totalitaire de la diversité. Quant aux héros de l’extrême-gauche, ils sont dénichés à partir des nouveaux critères idéologiques du moment.

La volonté de déconstruction prônée par la pensée woke n’est-elle pas une volonté d’atomisation de la société pour mieux régner dans les pensées ?

Ce n’est pas tant l’atomisation des individus qui est visée puisque le gauchisme insiste sur les identités collectives particulières des soi-disant « opprimés » ; c’est plutôt la volonté de culpabilisation des éléments de la population jugés dominants qui est mise de l’avant par les militants « wokes ». La logique du ressentiment roule à plein régime pour justifier l’imposition de la révolution culturelle anti-blanche qui implique la suppression mémorielle des grands hommes occidentaux et la mise en place de réparations financières au nom des supposées oppressions passées. La théorie critique de la race (Critical Race Theory) développée par des universitaires afro- américaines cherche justement à exacerber la conscience raciale des Blancs de façon négative et à renforcer positivement la conscience raciale des minorités ethniques – surtout des Noirs – en promouvant l’idée qu’il existe un « racisme systémique » au sein de la société américaine. Cette théorie débouche sur la politique EDI (Equity, Diversity and Inclusion) qui vise à imposer les thèses « « wokes » sur l’ensemble des institutions académiques et administratives des États occidentaux par la mise en place de quotas d’embauche et de discrimination des Hommes blancs hétérosexuels. La gauche tente parallèlement de former une alliance politique entre toutes les minorités sociales, raciales, religieuses et sexuelles perçues comme dominées contre l’oppression systémique mis en place par l’Homme blanc hétérosexuel jugé comme dominant et protégeant ses « privilèges ». Elle tente d’imposer son narratif sur l’ensemble de la société pour mieux imposer son projet politique culpabilisateur au nom de l’égalitarisme, avec, comme toujours, une visée totalitaire d’éradication intellectuelle et politique de son adversaire.

Le wokisme est très présent en Amérique du Nord et commence à être bien installé en Europe avec des personnalités politiques qui se revendiquent de ce mouvement. En quoi est-ce un danger pour l’Occident ?

Le gauchisme est le principal danger qu’affronte actuellement l’Occident puisqu’en instillant un sentiment de culpabilité sur l’ensemble de la société majoritaire, il parvient à saper les défenses immunitaires intellectuelles des populations en les faisant accepter les mesures socialistes au nom de la lutte aux inégalités, en leur faisant accepter l’immigration massive et le multiculturalisme ou encore la propagande transgenre sur les enfants. L’ethnomasochisme induit par le gauchisme conduit également les Occidentaux à accepter le remplacement de population et leur marginalisation ethnoculturelle sur la terre de leurs ancêtres. Le gauchisme actuel sape donc le moral des populations occidentales par ce subtil mélange de propagande LGBT, de métissage, de multiculturalisme et de révisionnisme historique. Il faut aussi remarquer que si le « wokisme » parvient facilement à s’implanter dans les sociétés occidentales, c’est également car il vient puiser dans l’imaginaire chrétien du péché originel dans une forme pervertie de christianisme sécularisé devenu fou.

Notons au passage que les adversaires géopolitiques de l’Occident ont bien compris l’utilité de ces mouvements en encourageant la diffusion de ces lobbys anti-occidentaux. Ce n’est pas pour rien que la puissance révisionniste de l’ordre international qu’est la Chine totalitaire communiste a lancé des campagnes dénonçant le soi-disant « racisme anti-asiatique » de la société américaine tandis que RT France présente de façon positive le mouvement Black Lives Matter, fer de lance du « wokisme ».

Cette propagande n’indique pas une adhésion idéologique de ces régimes au discours « woke » qu’ils combattent par ailleurs chez eux, mais vise simplement à propager un discours affaiblissant les sociétés occidentales pour mieux les démoraliser, les subvertir et in fine, les dominer.

Aujourd’hui, peut-on caractériser le wokisme comme une pensée totalitaire ?

Oui. Tous les signes avant-coureurs d’une idéologie totalitaire sont présents : déboulonnage de statues, censure de la littérature jugée non-conforme, révisionnisme historique, politiques d’exclusion d’individus en fonction de leur identité ou de leur allégeance politique, annulation de conférenciers, campagnes de salissage envers les opposants, censure des médias sociaux, doxxing, etc. L’objectif est de réaliser une véritable révolution culturelle et de criminaliser les opposants sous le prétexte de les condamner pour « propos haineux ». En 2021, les séances d’autodafés dans le Canada anglais au nom de la rectitude politique gauchiste ont semé l’émoi à l’international.

Remarquons qu’il existe toutefois une résistance massive des sociétés à cette offensive totalitaire. Le gouverneur républicain de la Floride, Ron DeSantis, a lancé une véritable guerre culturelle contre la gauche en interdisant la théorie critique de la race (CRT) et le changement de sexe des enfants. D’autres États américains ont également suivi ce chemin. Au Québec, la politique d’exclusion des hommes blancs des postes de professeurs universitaires se retrouve contestée devant les tribunaux.

Il y a donc résistance de la part des éléments sains de la société.

L’autre concept fort du wokisme est la lutte intersectionnelle. N’est-ce pas là, au final, la limite du wokisme ?  Ce mouvement ne finira-t-il pas par se “cannibaliser” ?

La Droite aime bien se raconter des bobards à l’effet que sous le poids de ses contradictions internes, le gauchisme ne pourrait durer éternellement. Or, contrairement à ce que les penseurs contre- révolutionnaires pensaient au moment de la Révolution française, la République – et les principes modernes dont elle est issue – sont toujours bien vivants. Ne commettons pas la même erreur qu’eux en pensant qu’il nous faille simplement regarder la civilisation s’effondrer pour mieux la reconstruire sur les cendres du gauchisme qui se sera auto-immolé. Pour vaincre le gauchisme, il faudra le combattre, et pour le combattre efficacement, il faudra le comprendre.

L’intersectionnalité, concept inventé par l’universitaire afro-américaine féministe Kimberlé Williams Crenshaw dans les années 1990 a d’abord été théorisé pour réfléchir à la soi-disant « double oppression » qui subiraient les femmes noires en raison du racisme et du sexisme de la société américaine. Cela s’est transposé en France au début des années 2000 lorsque les féministes marxistes ont ajouté à l’oppression patriarcale le « racisme » que vivraient les femmes musulmanes voilées. On constate par ailleurs que loin de créer une dissonance cognitive à gauche, l’intersectionnalité fonctionne à plein régime puisque les populations issues des minorités raciales – Noirs et Latinos aux USA ; musulmans en Europe – continuent de voter massivement pour des partis de gauche qui sont à la fois pro-LGBT et pro-immigration. Rappelons que Jean-Luc Mélenchon qui affirmait en 2010 que les femmes voilées se stigmatisaient elles-mêmes et encore en 2015 qu’on « avait le droit de ne pas aimer l’islam » est devenu le chouchou de l’électorat musulman au premier tour de l’élections présidentielle française. La gauche parvient donc à cumuler les promesses de « progressisme sociétal » tout en racolant le vote des minorités ethniques pourtant plus conservatrices sur le plan des mœurs. Cela s’explique par le fait que l’intérêt communautaire des minorités – qui les font voter pour des partis immigrationnistes et multiculturalistes – prime sur les questions de « valeurs ». La gauche n’a – pour l’instant – aucun intérêt à changer de logiciel, à moins que l’opinion publique ne bascule favorablement en faveur de politiques identitaires beaucoup plus fermes. Le cas de la gauche danoise qui a opéré un revirement sur la question migratoire demeure pour l’instant une anomalie politique.

Quel modèle de société pouvons-nous opposer à ces idéologues ?

C’est la question qui tue. Considérant que la révolution conservatrice allemande a débouché sur le totalitarisme national-socialiste et la Seconde Guerre mondiale, la Droite est intellectuellement castrée dans sa réflexion politique ce qui l’empêche de proposer un modèle politique alternatif qui sorte du cadre de la démocratie libérale de type parlementaire ou semi-présidentiel comme en France.

Dans le cas de la France, trois grands fantasmes hantent la Droite radicale :

1. Le retour du roi. L’idée que la restauration monarchique puisse sauver la France demeure le cœur de l’idéologie contre-révolutionnaire et antimoderne française, mais paraît totalement inadaptée à l’époque. Les prétendants au trône étant eux-mêmes largement acquis aux idéaux démocratiques, le régime qui résulterait d’une restauration monarchique ne serait qu’une copie des monarchies parlementaires ou constitutionnelles des autres pays européens, sans que cela n’affecte radicalement le modèle de société.

2. Le coup d’État militaire. L’arrivée d’un général magique – ou d’un Maréchal, c’est selon – qui viendrait sauver la France du marasme actuel puise sa source dans l’imaginaire du sauveur instillé par les cas de Bonaparte et de Gaulle. Cependant, la grande muette est largement acquise au système en place et n’a aucune intention de renverser la V e République dans le but de « sauver la Patrie » de l’effondrement. Les haut-gradés de l’armée française ne sont pas des putschistes en devenir et rien n’indique qu’ils le deviendront de sitôt.

3. La révolution populaire. L’idée qu’une révolte populaire massive puisse aboutir à un renversement de régime puis à la prise de pouvoir de la Droite me semble relever du fantasme le plus absolu. Comme on l’a vu avec les gilets jaunes ou avec la mobilisation contre la réformette des retraites, la gauche a une capacité de mobilisation et de cooptation infiniment supérieure à celle de la Droite. Si révolution il y a en France, ce sera la CGT et les amis islamo-marxistes de Mélenchon qui en récolteraient les fruits, amenant un régime encore plus à gauche sur l’échiquier politique que celui qui est actuellement en place.

En écartant tout scénario de rupture avec l’ordre établi, il ne reste que la victoire électorale comme possibilité de prise de pouvoir. Or, celle-ci semble bien éloignée considérant l’état intellectuel de la population française qui se mobilise largement pour maintenir le système économique socialiste, mais qui reste relativement apathique dès qu’il est question de l’islamisation du pays, des questions migratoires, sécuritaires ou morales chères à la Droite.

Que ce soit en France, au Québec ou ailleurs en Occident, toute prise de pouvoir future ne pourra donc faire l’économie d’une reconquête intellectuelle des esprits pour déloger l’hégémonie du marxisme culturel qui fait de l’égalitarisme son poumon idéologique. C’est en imposant nos thèmes (identité, responsabilité, sécurité) au cœur de la société que nous pourrons reprendre le pouvoir et combattre efficacement les adversaires intérieurs et extérieurs de l’Occident. En ce sens, le combat que mène Nomos-TV et Droite de Demain est le même : une lutte métapolitique pour la reconquête des cœurs et des esprits.

Propos recueillis par Théo Dutrieu pour Droite de Demain

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