Alexis Poulin est cofondateur du Monde moderne, expert en affaires européennes et entrepreneur dans le secteur des médias.
Bonjour Alexis Poulin, nous avions, lors une précédente interview, évoqué l’existence d’une crise démocratique en France. Cette affaire des parrainages aurait-elle pu tourner au vinaigre ?
À la suite de l’appel de David Lisnard, quelques maires ont bougé. François Bayrou a donné son parrainage à Marine Le Pen. Les élus semblent comprendre que le parrainage n’est pas un soutien et fait partie de la vie démocratique permettant d’assurer la pluralité de candidats tout en évitant les candidatures loufoques. On se rend compte que certains sont arrivés peu préparés, notamment Christiane Taubira avec sa primaire populaire dont l’objectif était d’éviter de transmettre les parrainages de gauche afin de les donner au gagnant de cette primaire. Il se trouve que c’est la gagnante de cette primaire populaire qui n’a pas reçu les signatures. En revanche, cela pose la question des futures échéances car c’est la première fois où l’on voit une telle difficulté pour les candidats pour réunir les signatures. Auparavant, on avait l’impression que ça faisait partie du jeu politique de se placer en victime pour toucher les gens et se placer en candidat hors-système. Cette situation est inconfortable pour notre système démocratique car de petits candidats tels que François Asselineau ou Philippe Poutou ont besoin de ce temps démocratique pour faire entendre leur voix.
Renaud Muselier a finalement rejoint Emmanuel Macron, emboîtant le pas d’Éric Woerth et auparavant de Christian Estrosi ou Hubert Falco, quel message cela envoie-t-il ? Ce jeu des investitures incohérent avec les prises de positions ne risque-t-il pas de fatiguer encore plus les Français ?
Les Français ne sont malheureusement déjà que trop habitués et fatigués par ce jeu des chaises musicales. Depuis les municipales, on sait très bien qui est macron-compatible et qui recherche un poste auprès du Président de la République. Entre Estrosi et Muselier, c’était très clair. Quand on s’intéresse à la politique, on sait très bien comment ça marche. Rappelez-vous de Bruno Le Maire durant la campagne présidentielle de 2017, il avait passé son temps à tacler le candidat Macron pour finalement le rejoindre. Evidemment, cette hypocrisie renforce l’abstentionnisme et donne du grain à moudre à l’idée qu’une certaine caste s’arroge le pouvoir et confisque au peuple son pouvoir démocratique.
Que penser de la stratégie du candidat Macron dans cette élection qui se sert de la présidence française de l’Union européenne puis de sa fonction de président sortant en annonçant le plus tardivement possible sa candidature ?
Il profite de sa position comme tous les présidents sortants en attendant le plus longtemps possible avant d’annoncer sa candidature. Le pire avec Emmanuel Macron, c’est qu’en plus de reculer au maximum, il a une crise à cogérer pour essayer de se donner une stature internationale ce qui fait qu’il a complétement invisibilisé les autres candidats à la présidentielle. Il n’y a plus que lui qui a du temps médiatique. Désormais, ce n’est plus « qui ferait un bon président ? » mais « qui serait à la hauteur pour résoudre la crise ukrainienne ? » Evidemment il n’y en a qu’un à la hauteur dans la mesure où il n’y en a qu’un qui a déjà le job. Or, le job n’a pas été si brillant au niveau démocratique. On est à la limite de la guerre nucléaire alors qu’il suffisait de discuter afin d’éviter d’envenimer le conflit… Bruno Le Maire a rajouté de l’huile sur le feu en déclarant qu’il fallait faire s’effondrer l’économie russe et leur mener une « guerre économique totale ». Ce à quoi Medvedev a répondu qu’il fallait calmer les ardeurs des ministres français car une guerre économique finit en conflit militaire. Au niveau international, on n’est pas dans la meilleure des configurations.
La crise ukrainienne ne risque-t-elle pas de mordre sur la campagne électorale française ?
C’est malheureusement déjà le cas. Si le camp national était malin, il ferait une alliance pour prendre le pouvoir. Il y a une vraie chance de gagner par cette union quand on regarde le poids de ces candidats dans les sondages et la cote d’impopularité de la macronie. Même la droite nationaliste est divisée entre Marine Le Pen et Eric Zemmour, et ne parlons même pas de la gauche qui n’est qu’un champ de ruines. Le seul qui tire son épingle du jeu à gauche, c’est Jean-Luc Mélenchon qui s’impose en candidat utile malgré les réticences des socio-démocrates. Valérie Pécresse fait une campagne catastrophique.
Ne faut-il pas se résigner à décaler l’élection ?
Est-ce que ça servirait réellement l’opposition ? Je n’en suis pas persuadé. Nous sommes à une trentaine de jours du premier tour. 40 jours en temps de guerre, c’est à la fois rapide et long. Décaler une élection voudrait dire que l’on table sur une crise ukrainienne très longue, ce qui n’est dans l’intérêt de personne. Les sanctions économiques entreprises contre la Russie vont être aussi dures pour les citoyens français que pour les citoyens russes : inflation, perte de pouvoir d’achat, difficultés d’approvisionnement, économie en berne. Toutes ces conséquences impacteront l’ensemble des classes sociales. La crise phagocyte la campagne électorale et donne un rôle boursouflé à Emmanuel Macron qu’il n’a pas besoin d’avoir pour faire sa propagande. Surtout, elle est en train de créer un climat de haine inédit avec une chasse aux sorcières contre ceux qui veulent apporter de la nuance dans le débat. Si on émet une critique contre le Président, on est forcément pro-Poutine. Il y a une vraie pauvreté du débat démocratique dans notre pays et rallonger cette période de bêtises profondes ne me semble pas une bonne idée.
Eric Zemmour a traité de candidate de la gauche Marine Le Pen, qui l’a à son tour invectivé de néolibéral. Qu’est-ce que cela dit des deux candidats ?
C’est le théâtre des guignols. Eric Zemmour est beaucoup plus libéral que Marine Le Pen, qui est plus étatiste. Ce théâtre dessert le camp de droite car les programmes n’ont pas grand-chose à s’envier, que ce soit sur le plan économique, sécuritaire ou migratoire ; pas grand-chose ne les différencie. Marine Le Pen a un parti politique plus structuré avec des élus, des référents territoriaux. Eric Zemmour semble parier sur un coup à la Macron avec un parti construit rapidement, des gros moyens financiers et des coups de com géants permis par les médias. Cette mise en scène de deux droites irréconciliables est tronquée et sert à faire réélire Emmanuel Macron.
Quelle est l’analyse que nous pouvons faire sur cette gauche républicaine qui semble complètement à la ramasse, avec le fiasco Taubira ou l’entêtement coupable de Hidalgo voire le ralliement de Royal à Mélenchon ?
Jean-Luc Mélenchon peut être la gauche au second tour mais il y a ce qu’il surnomme le « trou de souris » : si cela arrive, c’est parce qu’on aura tout fait pour que ce soit le cas. En jouant sur les sondages, sur la visibilité médiatique et une bonne campagne de terrain, c’est en effet possible. Quand on voit l’acharnement des médias sur Mélenchon, on constate que c’est lui qui pèse sur ce côté de l’échiquier : Christiane Taubira a renoncé faute de signatures, Hidalgo a disparu et Yannick Jadot ne sait pas où il habite. Ce qui reste c’est Jean-Luc Mélenchon, dernier leader de la gauche.