Bonjour Alexis Poulin, vous appeliez déjà en 2017 de vos vœux à un quinquennat social, avec la crise sanitaire, ce besoin est-il encore plus prégnant ?
Clairement oui. On voit désormais le nombre d’entreprises en difficulté ; 1 français sur 10 est sous le seuil de pauvreté. Alors il y a des aides, un Plan de relance pharamineux mais on ne peut encore estimer combien d’emplois vont être impactés. Les inégalités se sont creusées avec les différents confinement : les classes populaires ont connu des décrochages scolaires importants, la précarité pour les familles monoparentales, les étudiants qui ont souffert énormément, etc. Ce Covid a accentué la précarisation en France mais aussi dans le monde – avec notamment une explosion du travail des enfants.
La droite peut-elle représenter cet aspect social ?
La droite est diverse. Actuellement, les voix que l’on entend le plus à droite sont des voix classiques sur le thème de l’austérité budgétaire, avec le risque de voir une faillite de l’Etat français, compte-tenu du poids de la dette et des services publics. Ce sont les voix majoritaires : Renaud Muselier, Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse. Il existe une droite sociale consciente de la fracture entre les villes et la ruralité, ça reste une part importante de l’électorat de droite. Je ne vois pas de courant majoritaire le prendre. Nous sommes plus dans des courants classiques de réduction du coût des services de l’Etat : moins de fonctionnaires, moins de dépenses publiques et aucune mesure sur les impôts – on taxe à 15 % les multinationales mais les PME sont taxées à 26 %… Il n’y a pas de pensée gaulliste sociale qui s’impose à droite actuellement.
Quel candidat pour incarner cette droite sociale ?
Il y en aura forcément un qui aura pris en compte les Gilets jaunes – au-delà des tumultes c’étaient de vrais messages sur une France oubliée, une France périphérique qui travaille que ce soit les artisans ou commerçants – et qui travaillera sur une annulation des dettes des banques centrales. On voit bien qu’on créé de l’argent magique avec une inflation énorme. L’économie sera le thème le plus important de la campagne. Pourtant, on fait monter les thèmes de la sécurité et du régalien, alors que s’ils sont importants pour les Français, la perspective d’avoir un emploi l’est encore plus. C’est l’objectif de ce citoyen qui interpelle le Président lors de sa première mise en scène à Saint-Cirq, qui n’est pas autorisé à parler au Président et qui demande que vont devenir ses enfants qui ont pourtant faits des études et son au chômage. Aujourd’hui, je ne vois pas se dégager ce type de candidat. Même Marine Le Pen qu’on accuse parfois d’être trop à gauche côté social, elle n’a rien de tout cela, elle est même acquise à la doxa européenne de l’euro et du remboursement de la dette. Sa stratégie est claire : elle veut montrer patte blanche afin d’être présidentiable ; c’est un changement de paradigme quand on compare au Rassemblement national d’hier où ils parlaient de Frexit, de retour au franc, etc.
Le Rassemblement national est-il devenu le parti de la droite ?
C’est un parti extrêmement médiatique qui monte car on parle que de lui. C’est un effet à la Donald Trump : il suffit de parler politique pour évoquer immédiatement de ce parti et ce, même si Marine Le Pen ne s’exprime pas. La réalité c’est que c’est un parti extrêmement faible. Il suffit de constater le nombre de candidats qu’ils arrivent à présenter à l’échelle locale mais surtout le nombre incroyable qu’ils ont du retirer en raison de dérapages racistes, antisémites et violents. Un grand ménage est en train d’être fait au sein de ce parti mais on est loin encore de la respectabilité. Marine Le Pen a l’envie d’en faire un des grands pôles d’attrait de la droite en revendiquant le fait que le « front républicain » a cédé et que désormais, une partie des élus et responsables LR est prête à les rejoindre. Ce parti a besoin de cadres et de militants ; aujourd’hui c’est un parti médiatique un peu comme LREM. Ce sont des partis vides mais qui font beaucoup parler d’eux. Le gros problème de Marine Le Pen c’est la crédibilité et l’interrogation sur le fait qu’elle puisse faire venir des anciens des républicains. Beaucoup sont encore chiraquiens et se rappellent la ligne rouge mise en place par « le grand ». Thierry Mariani – qui est en bonne position en PACA – l’a fait, et d’autres le feront mais le parti n’est pas encore gagné.
Vous disiez justement que le RN n’est un parti structuré, LREM est un mouvement, assiste-t-on à la fin d’un système de parti au profit d’un système plus partisan ?
Le système des partis traditionnels est en crise c’est évident. Il suffit de voir la défaite du Parti socialiste, sous le quinquennat Hollande le PS avait tout : le gouvernement, l’Assemblée nationale, le Sénat, les régions, les départements voire les villes. Il avait d’énormes trésors de guerre. Désormais, c’est un parti minimaliste qui n’est encore vivant que pour empêcher une candidature d’union de la gauche, ils n’ont plus d’adhérents. Le parti Les Républicains est aussi en manque cruel d’adhérents. Ce système partisan a atteint une certaine limite qui va avec la dépolitisation du monde, quelle que soit les classes d’âge, c’est l’abstention qui remporte chaque élection. On constate un désamour pour le politique qui est de moins en moins représentatif. Avoir autant de députés LREM à l’Assemblée nationale alors qu’ils représentent seulement 20 % de l’électorat, fondamentalement la démocratie représentative à la française est brisée. Rien n’est fait pour changer la donne. Le Président de la République s’était lui-même engagé à remettre un peu de proportionnelle dans la composition de l’Assemblée nationale et systématiquement c’est un serpent de mer, les conditions ne sont jamais réunies. C’est une captation du pouvoir populaire par une classe politique. Certes elle est renouvelée, mais ce « nouveau monde » n’est qu’un leurre : de nombreux élus vont repartir dans le secteur privé – c’est le cas de Brune Poirson ou Benjamin Griveaux. En cours de mandat, ces élus abandonnent leurs fonctions représentatives, dans le silence des médias et des autres politiques. Pourtant c’est une insulte au vote citoyen ! Les gens sont de plus en plus difficiles à intéresser à la chose politique dans la mesure où l’offre politique est vide intellectuellement. Tous les cinq ans on assiste à l’adoubement d’une nouvelle star de la politique. Une dérive ploutocratique car c’est l’argent désormais qui désigne le vainqueur d’une élection et non les idées. Emmanuel Macron est le prototype de ce candidat fabriqué par les sphères de pouvoir, à savoir la finance et les médias. Les citoyens en ont conscience et on assite à une montée du mécontentement populaire – tristement symbolisé par la claque sur Emmanuel Macron ou l’enfarinement de Jean-Luc Mélenchon – car il y a une perte de confiance totale. Un mal très profond qui prend racine des nombreuses paroles non-tenues, de mensonges ou de petits arrangements.
En parlant de cette crise démocratique, les dernières actions de nos ministres – tels que Marlène Schiappa ou Éric Dupont-Moretti – désacralisent-elles leurs fonctions ?
Emmanuel Macron a été élu d’une petite façon. Actuellement, il est difficile d’être un Président rassembleur dont le pays aurait besoin. Un candidat disposant d’un socle idéologique clairement défini mais qui voudra rassembler les citoyens autour d’un projet collectif. Au-delà de l’incarnation, ce qui manque c’est une vision de la France dans les 20 prochaines années. On pourrait presque croire que ceux qui se sont succédé aux plus hautes fonctions n’avaient que le projet de dissolution de l’Etat dans une sorte de technostructure européenne où on ne pourra que gérer les affaires courantes ; « ni responsable, ni coupable ». Dans la politique d’Emmanuel Macron ce phénomène est plus rapide en faisant en cinq ans ce que les autres ont fait en plus de temps. A travers Alstom, la FDJ, voire avant le Covid ADP, il brade les joyeux de la couronne. La réforme de l’ENA entre aussi dans cette démarche avec une volonté de casser les grands corps, donc du pouvoir de l’Etat et en finir ainsi avec les derniers garde-fous de la souveraineté nationale. Cette volonté de nier la Nation française et de dissoudre l’Etat dans un projet internationaliste est claire. On nous parle beaucoup des entreprises qui doivent investir dans la France, recruter français, mais ce n’est pas tout, il faut aussi savoir ce que sera la France de demain. A droite il y a davantage de conscience historique de la part des militants que dans les partis de gauche mais elle est trop peu utilisée. Les débats identitaires sont tabous alors qu’ils ne devraient pas l’être. Aux Etats-Unis, par exemple, ce n’était pas tabou quand Donald Trump a décidé de faire du nationalisme. Aujourd’hui, le projet européen est sensé nous défendre à part le pass sanitaire européen, on voit très peu de protection. Les responsables politiques sont dans ce moule et ont beaucoup de difficultés à en sortir.
Actuellement, on a l’impression que le duel Emmanuel Macron / Marine Le Pen semble inéluctable, est-on à l’aune d’un système bipartisan entre ces deux mouvements ?
Je ne le pense pas. LREM ne repose que sur son leader Emmanuel Macron dont l’objectif était la destruction des partis traditionnels. Il a créé une sorte de « centrifugeuse » qui a détruit les autres partis mais LREM n’existe pas concrètement. Les candidats du parti cachent leur étiquette. Emmanuel Macron voudrait même créer pour 2022 une plateforme dans laquelle se dissoudrait LREM dans un agrégat composé des partis du centre et en aspirant les bases centristes des partis traditionnelles. Si cette tactique marche, on peut penser que LREM aurait un avenir. Emmanuel Macron sera-t-il capable de créer un autre parti ? Du côté du Rassemblement national, reste qu’à droite les LR n’ont pas envie de se casser en deux : d’un côté une partie vers LREM et l’autre vers le RN. L’idée du Rassemblement national est bien celle-ci – le changement de nom n’y est pas étranger. Ils veulent rassembler ceux qui défendent la nation mais pour ce faire il faudrait de la cohérence dans les discours. Marine Le Pen est très ambiguë vis-à-vis de la souveraineté française, de la monnaie unique, du poids de la dette et de ses actions. C’est une mise en scène médiatique de ces deux pôles qui sont pourtant loin de représenter les forces politiques en présence. Derrière ces partis, il y a tous les syndicats qui existent, des corps intermédiaires et les petits entrepreneurs qui vont être impactés par la crise sanitaire. Pour ces gens-là, il n’y a pas encore de porte-parole. Au-delà, du calcul de pourcentage politico-politique, cette masse d’abstentionnistes est trop souvent oubliée.
Quelle configuration pour la droite de 2022 ?
La figure du candidat providentiel semble compliquée. Éric Zemmour fait monter les enchères de son côté, Xavier Bertrand s’est lancé en solitaire mais avait quitté LR, un Edouard Philippe qui pourrait sortir du macronisme pour proposer un programme et puis tous les autres qui souhaitent jouer leur vatout. Beaucoup défendent l’idée d’une primaire à droite car ça aurait sens dans la mesure où c’est dans les statuts du parti. Cependant, aucun parti actuellement n’a envie de passer par ces primaires – même Yannick Jadot ne veut pas le faire car il sait qu’il a toutes les chances de perdre. C’est la force des non-partis comme LREM ou la France Insoumise qui ont déjà leurs candidats, ça évite les luttes fratricides et les divisions, ils mettent en place des plateformes de prise de pouvoir auxquelles les sympathisants s’inscrivent. Les statuts de parti, les différents comités, les élections de représentants, c’est compliqué et ça prend du temps ; les partis sont passés à autre chose en utilisant le marketing. Pour être providentiel il faut beaucoup d’argent, ce qu’a fait Emmanuel Macron. Or, avec l’accident démocratique qu’a été ce quinquennat, les Français risquent d’être hostiles à ce type de candidat.
Propos recueillis par Paul Gallard