Chantal Delsol est membre de l’Institut et Docteur ès en Lettres. Elle publie la Fin de la chrétienté le 14 octobre prochain.
Vous avez publié une tribune sur la nouvelle étude menée par l’Ifop concernant la pratique religieuse en France, comment expliquer que la religion soit aussi mise en retrait dans la société française ?
La religion chrétienne qui a été dominante et même monopolistique pendant tant de siècles, à vrai dire depuis la fin du IV° siècle, est mise en cause depuis plusieurs siècles et aujourd’hui s’efface. Il est naturel qu’elle laisse le vide derrière elle, puisqu’elle occupait tout l’espace. Pourquoi a-t-elle été mise en cause ? C’est un mouvement de critique qui a commencé avec la renaissance, s’est développé de façon exponentielle avec les Lumières et avec la saison révolutionnaire. Pendant les deux siècles suivants, l’Eglise a tout fait pour sauver son influence, jusqu’à croire en des régimes autocratiques, et son influence s’effondre tout à fait dans la seconde moitié du XX° siècle. Sans doute peut-on penser qu’une institution toute-puissante ne peut pas durer éternellement. Parce qu’elle est toute-puissante elle se laisse aller aux excès et aux perversions. En outre, la religion judéo-chrétienne donne la liberté à l’homme : c’est donner des armes pour sa propre critique.
La nouvelle morale laïque a-t-elle fini par remplacer la morale chrétienne ? L’individualisme ne risque-t-il pas de devenir hégémonique ?
Oui une morale laïque, héritée de l’Evangile (on ne crée pas ex nihilo) s’est répandue dans nos contrées déjà depuis longtemps. Par exemple les valeurs de solidarité et d’égalité. Mais ces valeurs sont dès lors séparées de la transcendance qu’elles remplacent par l’utopisme, donc peu capables de regarder la réalité en face. Elle sont à la fois mièvres et irréalistes. C’est ce que Chesterton appelait les idées chrétiennes devenues folles. Bien sûr les sociétés deviennent de plus en plus individualistes, au sens où même dans les institutions les plus enracinées l’individu passe désormais avant l’institution : c’est ainsi que les affaires de pédophilie sont dévoilées dans la famille et dans l’Eglise. Mais des limites à l’individualisme resurgissent venant d’ailleurs, par exemple de l’écologie qui parvient à faire accepter une responsabilité personnelle devant les dégâts climatiques et écologiques.
Le conservatisme a toujours défendu une certaine conception de la République liée aux valeurs chrétiennes, comment doit-il s’adapter à ce changement sociétal ?
Le conservatisme n’a pas toujours défendu une conception de la République, il a longtemps été monarchiste. Au moment où les valeurs chrétiennes s’effacent, le conservatisme va devoir aller à la source, dégager l’essentiel pour le défendre.
Désormais, la PMA pour toutes est adoptée, n’est-ce pas la preuve d’une modernité à marche forcée ?
En effet depuis cinquante ans nous avons l’impression qu’il faut à tout prix effacer l’ancien monde, et le plus vite possible, comme s’il avait les moyens de revenir à la charge. Les progressistes (ainsi qu’ils se nomment eux-mêmes) sont déterminés et parfois fanatiques.
Le progrès peut-il être régulé ?
On peut lui imposer des limites à condition d’avoir un discours compétent et serein. J’espère par exemple qu’il sera possible d’empêcher que nos enfants de maternelle ne soient changés de sexe manu militari sans le consentement des parents. J’espère aussi que nous pourrons empêcher la GPA, quoique je n’en sois pas bien sûre.
La droite est-elle forcément conservatrice, d’autant plusquand on voit la manière dont les conservateurs sont ostracisés au sein des partis de droite ?
Oui le conservatisme n’est pas bien vu en France ! Il y a toute une histoire là-dessous. Cela tient essentiellement au fait qu’en France, les conservateurs sont plutôt des réactionnaires. Je crois que la pensée réactionnaire n’est pas crédible en politique. C’est de la poésie. Vous pouvez aimer le passé, mais vous n’y retournerez pas.