Claire Koç est journaliste à France info, elle a écrit un livre « Claire, le prénom de la honte » aux éditions Albin Michel. Fille d’immigrés turcs, arrivée en France à l’âge d’un an, Çigdem Koç devient Claire Koç en 2008. Elle nous livre son combat, ses souffrances et ses espoirs à travers cette autobiographie d’une intensité qui résonne dans le cœur de la France. Un véritable hymne à l’amour pour la France.
Vous avez écrit un ouvrage bouleversant « Claire, le prénom de la honte », un témoignage poignant sur votre parcours, et aussi un message d’espoir. Vous décrivez ce tiraillement entre deux cultures, pouvez-vous nous expliquer ?
C’est une réalité, Claire, le prénom de la honte, on me l’a balancé à la figure à plusieurs reprises. Mais en fait, c’est le prénom de la honte selon les personnes que je décris dans mon livre et qui ont porté un jugement. Ces individus estiment qu’à travers mon prénom j’aurais trahi mes origines, j’aurais été une traître à ma nation d’origine, la Turquie. C’est un tiraillement dans le sens où personnellement je sais où j’en suis sur la question de l’identité et de l’origine. J’ai vécu longtemps avec ces deux identités, mais je me suis rendu compte, et on me l’a bien fait comprendre, que je devais faire le bon choix, celui de mes origines. L’identité française n’avait rien à faire dans ma construction identitaire. Mes parents tout comme moi étaient fiers de leurs origines mais ils refusaient que je sois aussi française, même ayant grandi en France et n’ayant connu que ce pays. Pour eux, il était inconcevable que je me sente et que je sois française dans tous les pans de ma vie. Je devais rester turque, je ne devais pas changer et c’est ce que me reprochait ma famille, mes amis et collègues. Ce que j’aborde dans mon témoignage, c’est aussi cette forme de bien-pensance qui nous rappelle constamment à nos origines. Elle s’est présentée à moi par des doctrines issues de la gauche progressiste où alors d’une certaine frange de la droite. Je rappelle que je ne fais pas de politique, mais j’ai été confrontée à cette pensée de droite ou de gauche qui n’avait que le mot progressisme à la bouche où pour ces représentants-là, il était impensable que je me sente française à partir du moment où j’avais des origines étrangères. C’était d’une telle violence qu’il était même plus tolérable à leurs yeux, de changer de sexe que de prénom.
En 2006, vous parlez de « Coming out identitaire », Quel a été l’élément déclencheur de cet engagement sur le choix de la France ?
Je me suis interrogée sur cette question : Est-ce que mes origines que je ne renie à aucun moment suffisent pour faire de moi une turque ? Est-ce que cela suffit d’avoir des parents d’origines turques et de parler la langue turque pour se sentir turque ? Lorsque j’ai analysé ces questions à travers le prisme du bon sens, je me suis dit que je suis française parce que je vis dans le présent, que je ne vis pas avec le regard porté sur le rétroviseur, que je ne pense pas à mes origines 24 heures sur 24, que je vis en France et que mon quotidien est en France. Tout dans mon quotidien est français, sur ma manière de m’exprimer, de penser, de m’informer et c’est sur ce constat que cela m’a apaisé. Chaque fois que je parlais de la France, on me faisait comprendre que ce n’était pas bien d’aimer la France, que ce n’était pas bien de se sentir française. Toutes ces expressions négatives venaient aussi bien de ma famille que de mes amis d’origine française ou bien encore des associations auprès desquelles j’amenai mes parents pour les aider dans leurs démarches administratives.
Ces associations françaises tenaient des discours de non-intégration et renvoyaient toujours mes parents à leur origine. Cela m’impactait directement parce que le comportement de mes parents ne s’adaptait plus au mode de vie français mais au mode de vie anatolien où la femme a une place secondaire. Or, je me rendais compte que la France me donnait autant de droit qu’un homme. Le moment de bascule a eu lieu lorsque je me suis posée des questions toutes simples : Où est ce que je vis ? Est-ce que j’aime ce pays ? Je me sens française et oui j’aime ce pays. A partir de ces réponses tout était réglé dans ma tête.
Et pourtant, au tout début, lorsque vos parents fuient la Turquie et arrivent en France il y a ce désir d’ouverture à la culture française. Comment s’est opéré ce repli ?
Cela s’est réalisé sur plusieurs étapes. Premièrement, au sein de la cité dans laquelle nous résidions, les dernières références françaises ont disparu avec le départ des familles françaises d’origine, parce qu’à chaque fois que ces dernières partaient, elles étaient remplacées par des familles issues de l’immigration. De sorte que, particulièrement dans notre cité, il y a eu une forte représentation de la communauté turque qui venait naturellement avec leur code et leur mode de vie du village. C’étaient des familles très pieuses où les femmes n’adressaient pas la parole aux hommes. Du fait de cette présence permanente, mes parents n’avaient plus ce besoin de parler français, car cela était plus confortable de parler dans leur langue d’origine. Deuxièmement, ces associations françaises d’aides aux immigrés portaient un discours négatif sur le regard des français à l’égard des immigrés en disant que les français étaient racistes, que la France est raciste. Ces discours nauséabonds confortaient ainsi ma famille dans l’idée que la France était hostile aux étrangers et qu’ils n’avaient donc pas besoin de faire d’effort. Ma famille était très pauvre et je rêvais tellement que mes parents achètent un pavillon, car pour moi c’était le symbole de la réussite sociale, d’une intégration réussie. Je me souviens que j’essayais de les convaincre à parler français pour qu’ils arrivent à décrocher un bon travail et ainsi réaliser ce rêve. Mais en face, je me heurtais à des bénévoles qui répliquaient en disant que c’était honteux ce que je faisais, que je manquais de respects à mes parents. Ce qui était grave pour ces associations, ce n’était pas le comportement de mes parents, c’était moi. Enfin, il y a eu l’arrivée de l’antenne parabolique qui a achevé ce cloisonnement car il n’y avait plus les émissions de divertissement, plus de Michel Drucker, plus de Jean Pierre Foucault, plus de films français, plus de Belmondo. Mes parents étaient plus au courant de ce qui se passait en Turquie qu’en France.
Justement, par rapport à ce rêve de vivre en pavillon, comment avez-vous vécu votre enfance en cité ?
J’ai vécu une enfance douloureuse. À partir de 6-7 ans, on a commencé à me parler de mariage. Mes parents n’avaient pas d’autres ambitions pour moi. Je me souviens de ces moments terribles où par la fenêtre de la cuisine je regardais mes copines jouer au cœur de la cité, et je me demandais à chaque fois, comment elles avaient fait le ménage aussi rapidement pour pouvoir sortir et jouer dehors. Je n’avais pas le droit de sortir tant que je n’avais pas terminé les corvées de la maison, de faire les lits, de nettoyer la vaisselle, de passer l’aspirateur, de préparer le déjeuner de midi. J’avais 6 ans et je n’avais pas un instant pour effectuer mes devoirs, car ce n’était pas une priorité. Mes parents n’avaient pas misé sur moi.
Votre témoignage est aussi le combat d’une femme où effectivement on vous programme un destin différent suivant des traditions, que pensez-vous des mouvements néo-féministes ?
Il y a deux choses. Tout d’abord, ma famille est issue d’une minorité religieuse encore persécutée en Turquie parce que sa pratique est complètement différente, les femmes ne sont pas voilées par exemple. On peut ne pas être voilée et vivre écrasée au sein de sa famille. Le mode de vie à la française est à l’opposé de cela. La France, en particulier Marianne est le symbole de la citoyenne libre, elle correspondait à ma lumière dans l’ombre. Elle symbolise la femme, la liberté, le courage, la résistance pour la petite fille née dans les montagnes anatoliennes qu’on a voulu jeter à la poubelle dès la naissance parce qu’on a estimé qu’elle ne survivrait pas. Concernant les mouvements néo-féministes, j’ai l’impression qu’elles vivent à des années lumières. Elles sont plus préoccupées à travailler sur l’écriture inclusive et à essayer d’élever « le mâle blanc » que de voir ce qui se passe dans les cités où on peut passer 40 ans de sa vie et vivre comme des étrangers. J’ai été élevée en France comme une étrangère et non comme une enfant française. Ce qui est dingue c’est de naître ou de venir en France et d’être élevée avec des codes, un mode de vie totalement étranger à la France où il n’y a pas un milligramme de culture française. J’aimerai que ces associations viennent mener leur combat dans les cités où certaines femmes sont écrasées, qu’elles viennent secouer cette affaire, qu’elles viennent expliquer aux filles et aux garçons la définition de l’égalité. A l’époque, nos politiques avaient mis en place des « grands frères » au sein des banlieues, je regrette que l’on n’ait pas pensé à une politique des « grandes sœurs » pour un peu plus d’égalité. Je me souviens dans ma cité que certains « grands frères » étaient des tyrans avec leurs sœurs, au sein de leur famille et dans la cité. Pour moi, ces néo féministes n’ont rien de féministes.
Tout le long de votre ouvrage, il y a une pierre angulaire sur laquelle s’articule le malaise d’être français où pourquoi être français est grave. Depuis quelques années, il y a une idéologie de déconstruction qui essaie de ronger l’identité française en s’attaquant notamment à son histoire. Avez-vous ressenti cette pensée dans votre parcours personnel ?
Oui complètement. Dans mon ouvrage, cela commence effectivement au cours de mon enfance en cité, jusqu’à mes premiers pas dans le journalisme. Je me remémore très bien de mon premier jour de stage dans une grande chaîne de télévision privée, où au moment de la pause, une fille s’adresse à moi en me demandant comment je m’appelle. Lorsque je lui réponds que je me prénomme Claire, elle tourne son index autour de son visage en me répliquant : « A moi, tu ne me la fais pas ! » J’ai trouvé cela d’une terrible violence. Cette fille était d’origine étrangère, issue de l’immigration et pour elle, il était inconcevable que je porte un prénom français. Elle a ensuite voulu me présenter aux filles de la bande, à la « Maghreb Connection » comme elle disait, parce qu’il était tout naturel pour elle, que j’intègre ce groupe puisque j’étais issue de l’immigration. Il en était de même pour certains partis politiques, lors des campagnes municipales, qui venaient démarcher accompagnés de militants d’origines turques au seuil de la porte de notre domicile, parce qu’il était naturel qu’étant français issue de l’immigration mes parents votent pour ce parti et qu’il n’en n’était pas autrement. C’est ce que j’appelle l’assignation à résidence identitaire perpétuelle. Je débarquais de ma cité, très loin de Paris au milieu de ces filles et je ne connaissais pas ces mots, comme communautarismes et indigénismes mais je ressentais une gêne profonde. Dans ce groupe, elles n’avaient que les mots racisme, race, origine, à la bouche.
Quelle différence faites-vous entre intégration et assimilation ?
La question se pose du point de vue de l’étranger, c’est-à-dire de celui qui ne veut pas changer et qui va employer les pronoms vous et nous lorsqu’il va parler aux autres. Pour faire simple, il y a « chez eux » et « chez nous », ce qui est la porte ouverte au communautarisme. Lorsque l’on parle d’intégration, on parle de l’étranger. Lorsque l’on parle d’assimilation à la française, c’est tout l’opposé de l’intégration. C’est voir en l’autre un français au même titre qu’un français de souche. C’est ce que je défends dons mon livre, c’est l’assimilation à la française. Pour peu que vous adoptiez les valeurs de la France, la liberté, l’égalité, la fraternité, que vous aimiez la France, que vous ayez un mode de vie à la française, que ce soit culinairement ou en en matière de décoration par exemple, voilà ce que j’appelle l’assimilation. Je suis d’origine turque et je ne le renie pas, mais l’identité c’est quelque chose qu’on ajoute. Et mon identité, elle est française car je vis en France, je l’aime et je voulais faire partie de son paysage sonore. Je voulais avoir un prénom français, même si ce n’est ni une obligation, ni un jugement sur les autres mais j’ai reçu énormément de critique sur le fait d’avoir changé de prénom. J’ai mon nom de famille pour montrer d’où je viens mais j’avais envie d’avoir un prénom français. Il existe des tas d’exemples comme Guillaume Apollinaire, apatride Russe et né à Rome qui se nommait Guglielmo, où encore Romain Gary qui s’appelait Roman.
Dans votre livre, vous parlez de cette fierté d’être française et du rôle de l’école, selon vous que manque-t-il à l’école pour refaire communauté ?
Pour redonner ce sentiment d’appartenance à la France, il faut refaire des petits écoliers français, il faut raconter le roman national et non une révision de l’histoire. Tous les pays le font. Quand j’étais écolière, tous les mercredis après-midi, mes parents m’avaient inscrit à un cours optionnel de langue turque, et on nous apprenait le roman national turc. C’est cela qui est fou, cela se passait dans les salles de classe au sein de l’école primaire de la république française. On nous apprenait à être des citoyens turcs, à être fier d’être turc en récitant cette devise, « je suis turc, je suis fier, je suis travailleur » qui sont des valeurs saines. Néanmoins, pourquoi nous incite-t-on à être un citoyen étranger dans l’école de la République française, alors qu’on devrait d’abord nous apprendre à être fier d’être français ? Enseigner le roman national, c’est formidable, c’est fédérateur, parce qu’en attendant au sein de certaines familles issues de l’immigration, le roman national se limite à celui de ces origines. L’école n’apprend pas la fierté d’être français. Dans le milieu où j’étais on me faisait comprendre que la marseillaise était un chant de guerre, un chant raciste, alors qu’à mes yeux, elle est un chant de résistance. D’ailleurs, lorsque j’ai dit à mes amis que je l’ai chanté avec beaucoup d’émotion lors de la cérémonie de naturalisation, ils trouvaient abjecte et violent de faire cela à des étrangers car ils ne me voyaient toujours pas comme une française. C’est clairement de la xénophobie. Je pense que la marseillaise devrait être chantée plus souvent à l’école en l’expliquant. On constate que la marseillaise est chantée de manière ponctuelle lors d’heureux ou de tragiques événements mais pas de manière permanente.
Certains intellectuels nous dressent un tableau assez sombre sur l’avenir de notre pays. Comment le voyez-vous ?
J’ai envie de rester positive, peut être que c’est cela aussi le positivisme oriental. Je reçois pleins de messages positifs de jeunes et de moins jeunes issues de l’immigration qui se reconnaissent dans mon témoignage où on leur a appris à ne pas aimer la France, et où on les a qualifiés de traître lorsqu’ils épousaient les valeurs de la France. Sans employer de termes politiques, je crois qu’il y a une majorité silencieuse malgré ces mouvements décolonialistes, néo féministes, indigénistes, écologistes extrêmes qui prospèrent de partout. Je suis positive, j’y crois, je crois que c’est possible d’inverser la tendance, qu’il est possible de revenir à une normalité. Pour moi, la normalité c’est d’aimer le pays dans lequel on vit. Je crois que nous sommes le seul pays au monde où c’est mal d’aimer la France. Et dès que vous avez dit cela, on vous traite de nationaliste, d’extrême droite. Il n’y a plus de débat, car le débat se fait avec des personnes qui ont le même avis. Il n’y a plus de nuance, alors qu’elle ouvre à une quantité de solutions. Je ne fais pas de politique mais certains journalistes politisent mon témoignage en me reprochant notamment d’avoir accordé une entrevue à un journal qu’ils qualifient d’extrême-droite. Selon eux, il est très grave d’accepter ces demandes d’interviews. C’est terrible cette tentative de culpabilisation.
Si vous aviez un message à transmettre à notre jeunesse
J’ai envie de leur dire, que lorsqu’on insulte la France, quand on dit que les français sont racistes et bien c’est de cette jeunesse dont on parle. Je pense que cette jeunesse n’est pas dupe et lorsqu’elle a la chance d’aller à l’étranger, elle peut se rendre compte à quel point elle a de la chance d’être française. Pour ma part, je m’en suis rendu compte en 2015 avec les attentats du 13 novembre, c’est à ce moment-là que mon patriotisme ancré en moi depuis toujours s’est exprimé. J’avais l’impression que l’on m’avait retiré quelque chose, un morceau de mon âme lors de cette horreur. Plus que jamais, je me suis sentie française. C’est ici précisément que j’ai fait le choix de la France. Et cette jeunesse-là, il faut qu’elle défende ces valeurs, qu’elle défende ce beau pays qu’est la France. C’est le pays de Pasteur, le pays de Voltaire, de la mode, de la gastronomie, du cinéma. Nous avons de quoi être fier de notre pays. On n’a rien à envier aux autres pays. Je n’ai qu’une patrie c’est la France, la Turquie est le pays de mes ancêtres. Soyons reconnaissant. Il ne suffit pas d’aimer la France, il n’y a que des preuves d’amour. Quand on aime la France, la France nous le rend.
Propos recueillis par André Missonnier