(Entretien) Damien Fleurot,  » Les populismes de gauche et de droite peuvent-ils fusionner ? »
(Entretien) Damien Fleurot,  » Les populismes de gauche et de droite peuvent-ils fusionner ? »

(Entretien) Damien Fleurot,  » Les populismes de gauche et de droite peuvent-ils fusionner ? »

Damien Fleurot est rédacteur en chef adjoint du groupe TF1-LCI et l’auteur de « 2022 la flambée populiste » aux éditions Plon, coécrit avec Mathieu Souquière.

Bonjour Damien Fleurot, quelle définition donnez-vous du populisme, un terme galvaudé aux dimensions multiples ?

Le populisme a une définition très large. La notion est souvent utilisée dans l’analyse politique comme une étiquette fixée aux leaders et dirigeants des partis extrémistes, qu’ils soient de gauche comme de droite. Cependant, ce n’est pas un qualificatif qui peut viser exclusivement ce type de partis politiques. Récemment, des dirigeants de partis plus traditionnels ont pu avoir des signes de populisme en fonction des actualités. C’est la démarche de notre livre coécrit avec Mathieu Souquière en remontant l’histoire politique récente, notamment les campagnes politiques de 2007 et 2012. Le retour de signes patriotiques, tels que la recrudescence de drapeaux tricolores lors de la campagne de Ségolène Royal en 2007 par exemple, peuvent paraitre comme des signes du populisme. Cela ne fait pas de cette candidate une populiste mais c’est un signal. Le populisme se manifeste à différents degrés avec des nuances. C’est pour cette raison qu’il est difficile de cataloguer la classe politique.

Le contexte international est-il favorable à l’arrivée d’un pouvoir populiste ?

Jair Bolsonaro et Donald Trump restent des personnalités qui ont été élues à la tête de leur pays et qui demeurent très populaires au sein de leur électorat. Donald Trump a perdu mais n’a pas été balayé par les électeurs américains et garde un pouvoir sur ses partisans. Aujourd’hui, en France, nous sommes dans l’entre-deux-tours de l’élection la plus importante. Au premier tour, trois candidats se sont détachés assez facilement, les neuf autres se plaçant sous la barre des 10 %. Les trois candidats au-dessus des 20 % sont le signe que le populisme est un courant porteur en France. Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont revendiqué une forme de populisme.

Emmanuel Macron, par ses positions du « en même temps » peut faire penser à une forme de néopopulisme…

Je parlerais de « populisme light » pour le chef de l’Etat parce qu’il ne vient ni de l’extrême droite, ni de l’extrême gauche: le populisme ne fait a priori pas partie de son histoire politique. Cependant, il utilise des ressorts du populisme : la personnification de son mouvement politique « En Marche » qui utilise également ses initiales, cette volonté de constituer un grand parti unique au sein duquel vivraient des courants et nuances, et d’en être la seule tête d’incarnation. Cela fait partie de la définition de populisme d’aller toujours plus vers le peuple et là, Emmanuel Macron est prudent; il n’a pas utilisé le référendum mais le sujet est réapparu avec la campagne présidentielle. Consulter le peuple car les représentants élus ne seraient pas légitimes sur certaines questions, c’est un axe du populisme. C’est plus poussé chez Marine Le Pen avec le référendum d’initiative citoyenne auquel elle veut accorder une grande importance si elle est élue, bien qu’elle ait souhaité encadrer son usage. Le populisme est une étiquette que l’on peut coller sur les deux candidats du deuxième tour mais à des degrés différents. L’un et l’autre font attention durant cette campagne de deuxième tour à nuancer ce phénomène pour qu’il ne soit pas contreproductif pour leur potentielle élection.

Marine Le Pen et Emmanuel Macron se sont qualifiés au deuxième tour, quel est votre retour réflexif sur votre ouvrage ?

Avec Mathieu Souquière, nous avions scanné la vie politique et les campagnes politiques de ces dernières années pour aller chercher des signaux faibles du populisme. La façon dont Marine Le Pen s’empare d’une polémique sur les médias : je choisis tel ou tel journaliste, j’invective les médias qui « feraient » campagne contre moi. Le sujet de la censure s’invite également dans le débat avec une inégalité du temps de parole, pas que chez Marine Le Pen d’ailleurs, Jean Lassalle s’en est plaint également. Les signaux faibles étaient très présents dans certaines campagnes. En 2007 par exemple, François Bayrou s’en était pris à certains grands groupes médiatiques qui ont cherché à le rendre inaudible. Dès 2007, il y avait ces jalons. Il n’y a rien de très étonnant. La France ne fait pas exception, surtout quand on voit l’apparition de leaders populistes à des niveaux bien plus poussés dans d’autres Etats. Le Brésil, les Etats-Unis, l’Italie ou la Grande-Bretagne sont de nombreux exemples. On peut constater le délitement et l’effacement des partis historiques, traditionnels et classiques car ils n’ont pas su évoluer dans leur format et dans leur incarnation ; c’est le cas du Parti Socialiste ou du parti Les Républicains. Il est assez logique que nous assistions à l’émergence de personnalités fortes incarnant un courant où le populisme a toute sa place, durant cette campagne. On a le candidat de l’extrême gauche, celui de l’extrême droite et celui de l’extrême centre. L’enjeu est de savoir si cette segmentation en trois blocs du paysage français ne sera pas demain une bipolarisation avec un bloc central voué à disparaître, pris en tenaille entre un bloc décroissant incarné par la France Insoumise et un bloc nationaliste et souverainiste incarné par la relève de Marine Le Pen.

Marine Le Pen peut selon de nombreux sondages renverser la table, peut-elle créer un bloc populaire ?

Cela fait partie des questions que nous avons posé dans cet ouvrage. Les populismes de gauche et de droite peuvent-ils fusionner ? L’alliance rouge et brune est-elle possible ? Dans l’histoire, on a pu constater de tels phénomènes. Il faut les prendre avec des pincettes car ces coalitions étaient souvent réduites dans le temps et dans des pays dans lesquels il existe une certaine tradition de coalition (l’Italie par exemple). En France, une alliance entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon est impossible même si c’est le rêve absolu de la candidate du Rassemblement National. Cette alliance ne sera jamais partisane parce que les deux organisations sont trop éloignées. Cependant, aller chercher les votes des électeurs de manière individuelle et catégorielle est possible car on observe des convergences entre eux. On ne peut nier les passerelles qui existent entre ces deux blocs.

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