David Lorion est Député Les Républicains de la 4 -ème circonscription de la Réunion, il est agrégé de géographie, Maitre de conférences à l’Université de la Réunion et l’auteur de plusieurs ouvrages de géographie sur les territoires insulaires.
Comment s’est passée la gestion des DROM COM durant la COVID-19 ?
Le gouvernement n’a pas bien géré la crise au niveau national pour des raisons techniques. Notamment, le manque de masques qui a entrainé une suite de mauvaises décisions : le confinement généralisé causant une crise économique sans précédents. Les mêmes causes entrainant les mêmes effets, le gouvernement a pris les mêmes décisions en outre-mer. Il aurait certainement suffi de bloquer les aéroports pour stopper le virus. En avril, à la Réunion, il n’y a eu aucun mort. L’économie a été confinée pour rien dans certains DROM COM.
Les DROM COM, vers l’autonomie ou la concentration ?
C’est une vaste question. La « France éternelle » comme le disait le général de Gaulle, est constituée d’un ensemble de territoires : un territoire hexagonal, des îles européennes et des territoires mondiaux. Ce n’est pas qu’un territoire continental, il faut l’imaginer comme une France des trois océans. Cette vision, nous devons la porter partout, qu’on soit sur le territoire insulaire ou sur le territoire continental. Penser autrement nous amènerait à diminuer notre territoire national maritime, diminuer notre influence dans le monde et notre capacité à développer des relations avec les autre pays – en particulier avec les pays émergents. Et c’est d’autant plus important dans le contexte européen du Brexit. Nous ne devons pas nous poser la question, la France c’est nécessairement un ensemble de territoires européens et insulaires. Se pose cependant la question du statut : est-ce qu’un territoire outre-mer est une région continentale ? Est-ce qu’on peut comparer la Martinique et la Bretagne ? Peut-on comparer la Corse et la Réunion ? Bien sûr que non.
Nous sommes déjà, depuis longtemps, dans un régime de différenciation statutaire. L’évolution historique a fait que certains territoires étaient dans un régime d’assimilation quand on a créé les départements d’outre-mer (DOM devenu ensuite les DROM puis régions ultrapériphériques DRUP), ils ont gardé leur statut de département, Mayotte est devenu un département en 2011. Mais d’autres n’ont jamais été des départements, ils ont toujours été des territoires associés à la France, tout en étant Français ; c’est le cas de la Polynésie, de Saint-Pierre-et-Miquelon ou de la Nouvelle-Calédonie.
Et puis récemment, du fait des lois de décentralisation, d’autres étaient des départements et le sont restés mais ont souhaité changer leurs institutions pour les simplifier, c’est le cas de la Martinique. Dans aucun des territoires, il n’y a une remise en cause du fait d’être Français, on l’a vu avec le référendum en Nouvelle-Calédonie, c’est le fait d’être Français qui est majoritaire. Des extrémistes existent, mais c’est le cas dans toutes les régions. On ne doit pas être contre la volonté des habitants d’un territoire, mais s’il y a une décision d’indépendance, ça n’est pas simplement au territoire de le décider, mais aussi au Parlement qui représente l’ensemble des Français. On doit avoir cette sécurité juridique inscrite dans notre Constitution.
Ça ne veut pas dire que l’ensemble des territoires d’outre-mer doivent forcément avoir le même statut. Certains territoires sont déjà très autonomes, d’autres réclament plus d’autonomie, enfin certains souhaitent des adaptations législatives et réglementaires. Notre environnement régional avec des salaires et des charges sociales très faibles facilitent les investissements touristiques parfois venant même de groupes français. Par des exonérations sociales et fiscales, nous pouvons atténuer cette différence. Notre production en produits frais de bonne qualité, mais seulement pour quelques centaines de milliers d’habitants, parfois moins, et en circuit court, nécessite que nous nous protégions contre les importations concurrentielles, notamment des produits de dégagement des grandes firmes mondiales, par une fiscalité adaptée. Ces adaptations différentes d’un territoire à l’autre, inscrites dans le traité européen TFUE article 346, sont une marque d’intelligence et d’agilité dans un monde ouvert.
Il y a des nuances à avoir en terme fonctionnel, organisationnel, de fiscalité et de coopération. Chacun des territoires doit être dans un optimum de fonctionnement pour que subsiste une vie économique. Par exemple avec le tourisme, les règles ne sont pas les mêmes pour attirer les investisseurs. A la Réunion, si on veut concurrencer les Seychelles et l’île Maurice, il faut nous adapter à l’offre régionale. Les adaptations ne veulent pas dire la remise en cause de l’appartenance à la communauté nationale.
Avec le projet Chinois des routes de la soie, nos îles de l’Océan Indien doivent-elles jouer un rôle ou non ?
Toutes les routes de la soie mettent en danger les économies mondiales. Ce sont des tentacules chinoises dans le monde entier pour implanter des infrastructures qui serviront de portes d’entrée dans les économies. C’est une volonté très agressive de la Chine : comment implanter dans des pays – souvent en crise – des investissements très lourds, pour s’implanter dans ces pays, pour faire en sorte que les entreprises chinoises en profitent et ainsi que ce soit l’économie chinoise qui bénéficie de ces investissements. On est sur l’Empire du milieu. Je dénonce cette vision, je la trouve dangereuse car elle va susciter des réactions de rejet et de crispation. Pour notre part, Maurice, La Réunion, Djibouti, Madagascar, Mozambique sont des pays tellement petits et faibles, ils pourront assouvir des besoins en infrastructure – Maurice a déjà fait construire un aéroport de plaisance par la Chine, Madagascar a des ports aussi – mais on sait que c’est très dangereux car il y a une volonté chinoise impérialiste d’envahir le Monde. Dans la région de l’Océan Indien, le problème est double : à la fois l’expansionnisme chinois, mais aussi indien. Les Indiens ont peur que dans leur domaine d’influence – l’océan indien – les chinois s’imposent. Un conflit important en découle aux Seychelles, sur l’île Aldabra, pour savoir qui des deux ogres installera un port militaire et un port de commerce.
Que pensez-vous de la possible cession des Îles Eparses par Emmanuel Macron ? Les ZEE sont-elles un enjeu essentiel de la géopolitique actuelle ?
C’est une question très franco-française. Les Îles Eparses ont toujours été Françaises, elles ont été découvertes par la France en 1794-1796, la France a planté sa possession. Il n’y a aucun doute là-dessus. Lorsqu’on regarde d’un point de vue actuel, on se demande pourquoi ces îles si proches de Madagascar ne sont-elles pas malgaches ? On a tendance à confondre histoire et géographie, ce n’est pas parce qu’une île est proche d’un Etat, qu’elle lui appartient, sinon la Corse serait Italienne. L’histoire fait de ces îles des territoires français. On considère qu’une possession reste Française, à condition qu’il y est des investissements et qu’elle soit occupée, sinon elle repasse dans le domaine public. A un moment, ces îles ont été sans occupation. Depuis 1970, il y a sur toutes ces îles une occupation militaire française. Autre problème, durant la colonisation française à Madagascar, ces îles ont été sous tutelle de l’administration coloniale de Madagascar. Durant la décolonisation du pays dans les années 60, la règle voulait que le pays décolonisé et toutes ses dépendances soient indépendants. Ce qui est arrivé à l’indépendance de Madagascar, les îles ont été retirées de l’acte d’indépendance et sont donc restées Françaises. On comprend que la revendication Malgache est économique depuis qu’on a trouvé des gisements de gaz importants au niveau des Îles Glorieuses. C’est une demande constante depuis 30 ans, parfois avec l’appui de l’ONU, parfois avec l’appui d’organisations panafricaines, mais sur le plan historique, ces îles sont françaises. Lors de la venue du Président malgache en France, celui-ci a eu des discussions avec le Président Macron sur la restitution des îles, toujours avec une action diplomatique basée sur le maintien du dialogue. En réalité, la France est assez claire sur ce sujet. Lorsqu’Emmanuel Macron est venu dans l’Océan Indien, il a fait escale aux Îles Glorieuses et a rappelé que ces îles sont françaises, c’est un signal fort. Dans les jours qui viennent, en octobre, va être signée une grande zone de conservation Française autour des Îles Glorieuses pour la protection de la biodiversité, les Malgaches seront furieux, mais il n’y a pas d’autres possibilités qu’une coopération entre les deux pays, mais aucune restitution, ni co-détention car ces îles sont Françaises.
Comment trouver un équilibre entre écologie et croissance dans ces territoires ?
On a souvent pensé qu’une île n’avait pas assez de ressources propres pour permettre un développement (investissement, consommation, élévation du niveau de vie). Jusqu’à maintenant si une île voulait se développer c’est par deux possibilités : le développement du tourisme (Baléares, Île Maurice) ou par le dérèglement financier, et l’île devient ainsi un paradis fiscal (c’est le cas de St Martin, Jersey). C’était catastrophique pour l’environnement des îles, très riches de biodiversité et surtout endémiques. Aujourd’hui, on est revenu de ces solutions extrêmes, on se dit qu’il peut y avoir une préservation de la biodiversité, c’est le cas de la Réunion avec le 2/3 du territoire qui est passé dans le statut de parc national et 1/10 du territoire est passé parc national marin. On a donc fait une politique importante de préservation du territoire. Ça fait porter un poids très lourd au reste du territoire, car il y a presque 1 millions d’habitants. La tension entre la protection du territoire et les conditions pour que la population vive, se développe et travaille, est difficile à tenir ; tout un travail de redensification de la ville sur la ville, de construction des habitats, qui peut être exemplaire pour demain ou catastrophique si nous ne faisons pas attention. Nous voulons préserver notre territoire agricole mais aussi notre territoire naturel ainsi que notre littoral, notre lagon, mais dans un cadre restreint, en développant le tourisme, et en n’oubliant pas les autres activités. Cette tension est bien maitrisée car on connait les enjeux.
Comment diminuer le chômage dans les DROM COM ?
Le chômage est à des hauteurs qu’on ne connait pas en métropole : 40 % pour les jeunes et 25 % globalement. Ce chômage doit être analysé en fonction de deux autres paramètres. Il est alimenté par un boom démographique. Notre économie se porte plutôt bien paradoxalement, mais notre expansion démographique ne peut pas être gérée comme sur un territoire continental. Beaucoup de jeunes arrivent sur le marché de l’emploi, je dirais même beaucoup trop de jeunes… notre économie ne peut les absorber. Le premier problème n’est pas une faillite de notre économie – elle est entre 3 et 5 % de croissance – mais elle a du mal à absorber l’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi. On constate aussi un problème important de formations car il y a moins d’offres en la matière qu’en métropole. On a toujours tendance à voir un modèle européen du travail, très normé, avec un statut pour chaque travailleur, mais on a tendance à oublier que le travail peut ne pas être autant encadré. Beaucoup de gens ont un travail, d’artisan, d’agriculteur, de commerçant, dont l’activité est rémunératrice (travail au noir, illégal) et qui complète une activité normée ; dans les statistiques, ça n’apparait pas. Je ne dis pas que les gens ne sont pas au chômage à la Réunion, ils le sont statistiquement ; parfois avec une activité non déclarée. Les chiffres ne sont en réalité pas aussi catastrophiques qu’on peut le croire. Il faut simplement faire attention à rester dans des proportions acceptables, et que l’on trouve des solutions de formation, des solutions d’intégration des jeunes et de mobilités. On doit faire un effort sur la jeunesse.
Concernant la violence, est-ce que le gouvernement a été assez strict ?
La violence est une conséquence d’équité. Lorsqu’on est sur le territoire, et que 42 % de la population est en dessous du seuil de pauvreté, que le chômage est haut, il faut faire attention qu’on n’expose pas l’ensemble de cette société aux mêmes principes du consumérisme occidental. Il y a des règles à respecter afin que la paupérisation ne soit pas trop forte, afin que ça ne génère pas un certain nombre de conflits. Mayotte est dans une situation où il n’y a pas assez d’écoles, où il y a des jeunes au chômage, un manque de logement, et à côté de ça une partie de la population qui vit avec de confortables rémunérations, des commerces rentables. C’est cette situation qui devient conflictuelle. Ce qui est visé c’est l’Etat. Ce conflit né d’une paupérisation, et d’une forte animosité contre la situation qui ne s’améliore pas, alors que pour certains l’enrichissement est plus facile. On le retrouve à Mayotte, en Guyane, à la Réunion… je crois qu’il a manqué de l’investissement dans les infrastructures en outre-mer de la part de l’Etat, et la meilleure des choses est de rattraper ce qui n’a pas été fait. L’Etat s’en défend en disant que c’est le rôle des collectivités territoriales, mais elles n’ont pas les moyens pour investir fortement dans les infrastructures. Je donne l’exemple du problème de la route du littoral à la Réunion, elle coute très cher, et la région doit faire des investissements importants – car on a rétrocédé une route qui n’était pas viable – et donc la région a dû la reconstruire.
Quelle vision des territoires d’Outre-mer pour la droite de demain ?
La droite de demain doit porter la vision d’une France mondiale. La France est européenne mais elle a la chance d’être installée dans le monde entier. Mais cette chance peut perdurer que s’il y a une volonté républicaine très forte que ses territoires d’outre-mer restent Français. Rien ne nous interdit de modifier les règlements dans les territoires pour coller aux spécificités locales. La France est la deuxième plus grande zone économique exclusive océanique car elle a l’ensemble de ces ressources en territoires, c’est une chance. Cette chance en fait l’un des plus grands pays océanique, maritime, ce qui n’est pas encore exploité par la France. Cette chance en fait aussi un grand pays de coopération international, ce qui n’est pas non plus assez mis en valeur. Il faut que ces chances deviennent des atouts pour la France du XXIème siècle et pour la droite de demain.
Propos recueillis par Paul Gallard