Emmanuel de Gestas est journaliste pour l’Incorrect.
Bonjour Emmanuel de Gestas, le dernier sondage Elabe donne victorieuse Valérie Pécresse devant Emmanuel Macron, est-ce la fin du duel Macron-Le Pen ?
Ce qui me pose un problème dans ce sondage, ce sont les chiffres paradoxaux. Valérie Pécresse ne prend qu’une infime partie de voix à Emmanuel Macron au premier tour. Je trouve cela bien étrange dans la mesure où Valérie Pécresse et Emmanuel Macron sont relativement positionnés sur le même électorat, plutôt de centre-droit et assez âgé. Mathématiquement, si Valérie Pécresse augmente son score, alors Emmanuel Macron devrait descendre en parallèle. Je m’interroge donc sur la fiabilité de ce sondage.
Le Congrès LR a-t-il été une réussite pour ce parti ?
On a une base dans le parti Les Républicains de plus en plus droitière, qui a donné 40 % à Éric Ciotti au second tour. Le haut du panier du parti, depuis l’UMP en 2002, penche au contraire vers le centre. Beaucoup avaient d’ailleurs rejoint Emmanuel Macron à la suite de la présidentielle. Je pense à des personnalités telles que Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Franck Riester ou Édouard Philippe. D’autres attendent des places et ont récemment quitté le parti : c’est le cas du maire de Nice, Christian Estrosi, mais également d’Hubert Falco et de Renaud Muselier. Si Valérie Pécresse ne se qualifie pas au second tour elle appellera à 21h01 à voter Emmanuel Macron. Il y a une véritable dichotomie entre la base LR qui demande un discours assumé et décomplexé et des chefs à plume qui regardent vers le centre.
Eric Zemmour a frappé fort avec son meeting de Villepinte, peut-il remonter dans les sondages ?
Je lisais une enquête de l’Incorrect qui précédait un grand entretien avec Eric Zemmour à la mi-novembre – avant sa candidature. Dans cette enquête, la journaliste attaque durement l’entourage du candidat ainsi que le candidat en tant que tel. Elle précise qu’il est isolé et a tendance à s’écouter parler et ne pas prendre en compte les conseils de son entourage. Le risque de cette candidature, c’est de vivre le même dénouement tragique que la campagne Chevènement 2002. Jean-Pierre Chevènement a suscité de l’attente, il a commencé sa campagne très fort avec des sondages à son avantage, mais a fini à 5 % car il était mal entouré et n’a pas voulu franchir le Rubicon en s’alliant avec la droite souverainiste. Pour Éric Zemmour, ce meeting de Villepinte a permis un vrai rebond après des séquences compliquées : sa visite de Marseille, le doigt d’honneur, la polémique Bataclan, la blague avec le fusil de précision… Ce qui est certain, c’est que ce meeting est une totale réussite. Pour rebondir il doit rassembler des poids-lourds de LR et du RN. On peut penser à des Guillaume Peltier, à des Nicolas Bay, Louis Aliot ou Stéphane Ravier. Pour l’instant il a réussi à récupérer des personnalités de deuxième plan dans ces partis. C’est le cas de Laurence Trochu, Christine Boutin ou Agnès Marion, talentueuses mais pas assez connues par le grand public. La création de son parti Reconquête peut l’aider : il revendique 30 000 adhérents.
A ce meeting de Villepinte, la jeunesse a été très présente, ce qui devient rare. Comment expliquer ce regain de la jeunesse en politique auprès de Zemmour ?
C’est une raison générationnelle. Cette génération a entre 20 et 30 ans, née entre les années 80 et 90. Politiquement, elle est le fruit des manifestations de la Manif pour tous. Le politologue Gaël Brustier l’a décrite dans un essai : Le Mai 68 conservateur : que restera-t-il de la Manif pour tous ? Cette génération a débuté son engagement politique et sa politisation en battant le pavé lors des manifestations de 2013 en réaction au mariage pour tous porté par Christiane Taubira. Au-delà de ça, cette génération est totalement décomplexée et n’a aucun complexe à parler avec des jeunes de formations politiques différentes ; c’était totalement impensable à une autre époque. De plus, ses jeunes se forment ensemble, dans des écoles de pensées et de militantisme, au sein d’établissements tels que l’Institut de formation politique ou l’ISSEP. Forcément, lorsqu’une candidature d’un intellectuel de la trempe d’un Éric Zemmour se profile, qui souhaite fédérer ces mouvements, ça leur parle. Ils n’ont qu’une envie, c’est de cesser les querelles grotesques et dépassées entre les différentes chapelles de la droite.
Était-ce utopique d’envisager cette union de la droite bourgeoise et de la droite populaire ? Peut-il vraiment jongler entre mesures libérales et populistes ?
En réalité, le socle électoral d’Éric Zemmour est pour l’instant celui de François Fillon en 2017 : plutôt bourgeois, libéral et conservateur. Les études effectuées lors des dernières présidentielles montrent que les classes populaires entrent plus tardivement dans la campagne présidentielle, à l’inverse des autres classes sociales du pays. Pour l’instant, elles ne se sont pas mobilisées et ne sont pas entrées intellectuellement dans la campagne. Quand on leur demande pour qui elles votent, elles répondent mécaniquement Marine Le Pen. A partir des mois de janvier à mars, ces classes vont entrer en campagne et on verra à ce moment si Éric Zemmour arrive à leur parler.
Concernant les mesures, Éric Zemmour a compris que le populisme pouvait être une impasse en ce sens où il a tendance à manquer de mobilité. Sous couvert de démontrer une fracture entre la France périphérique et la France des métropoles, le populisme a tendance à les présenter comme irréconciliables, pratiquement dans une lutte des classes et implique qu’il faille automatiquement prendre le parti des classes populaires. Cela ne fonctionne pas. Donald Trump et Boris Johnson n’ont pas gagné uniquement grâce aux classes populaires. Si les classes populaires suffisaient réellement, Jean-Marie Le Pen aurait été élu en 2002 et Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen l’aurait été en 2017. Il veut réconcilier la bourgeoisie patriote et les classes populaires, et c’est pour cela qu’il jongle dans ses mesures. On peut le qualifier de protectionniste à l’extérieur et libéral à l’intérieur ; en haut, de l’autorité et en bas, des libertés. Pour aller plus loin, on régule les grands groupes, on se protège, mais on arrête d’emmerder les TPE et PME françaises en baissant les coûts de production, les charges et la fiscalité ; c’est une recherche d’équilibre entre les différentes entreprises.
La grande absente des thématiques est celle du conservatisme. Pourtant, Éric Zemmour dispose dans ses rangs de soutiens très conservateurs ; doit-il faire un pas vers eux ?
Il y a plusieurs éléments. Il faut être lucide, les sujets sociétaux intéressent peu les Français : GPA, PMA, Mariage pour tous… ils s’en foutent. Éric Zemmour est contre la PMA sans père et a dit son opposition au Mariage pour tous, il souhaite l’abroger s’il en a le temps mais s’opposerait quoi qu’il en soit à la GPA. Il ne reviendra pas sur le droit à l’avortement. Maintenant, a contrario, on s’empare à gauche de ces sujets. Jean-Luc Mélenchon veut inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution et instaurer le droit à l’euthanasie. Tous les candidats de gauche défendent la PMA sans père et certains une GPA « éthique ». Dans la droite libérale, on assiste à des volte-face importantes sur ces sujets sociétaux. Valérie Pécresse a participé à la Manif pour tous et vote désormais des financements en faveur des lobbies LGBT à la Région Île-de-France. Le seul candidat à s’opposer à l’idéologie LGBT et qui dégagera les théories du genre des écoles est Éric Zemmour.
Comment expliquer que l’électorat se soit autant tourné vers la droite (une alliance des droites serait à plus de 50 % tandis que celle des gauches seulement à 25 %) ?
Le premier facteur pour expliquer ce basculement, c’est tout simplement le réel. Quand vous avez des attaques au couteau, des attentats, une immigration de masse, les Français le voient et le disent désormais. Le premier moyen de s’exprimer, c’est par les urnes. Le deuxième facteur, c’est que la droite a trouvé une nouvelle vigueur intellectuelle, non-pas au sein des partis politiques mais dans une génération d’intellectuels de droite : Mathieu Bock-Côté, Charlotte d’Ornellas, Eugénie Bastié… Ça passe aussi par la montée de médias de droite tels que Valeurs Actuelles, le FigaroVox, Livre Noir, Causeur de même que l’Incorrect. Toute une génération d’intellectuels et de journalistes, et bientôt de politiques de droite est en train de monter. Elle produit en masse des idées et participe à la victoire des idées. La question qu’on peut se poser, c’est si cette génération de « néo-réacs », comme l’avait qualifiée l’Obs, peut aboutir sur une victoire politique dès 2022. Réponse très vite.
Propos recueillis par Paul Gallard