Bonjour Erik Tegnér, merci de nous avoir accordé cet entretien. Vous avez été l’une des premières personnalités à nous avoir fait confiance il y a trois ans maintenant. Vous étiez alors président de Racines d’Avenir, pourquoi vous êtes-vous orienté vers la création du média Livre noir ?
Justement, il y a trois ans j’avais fait un petit peu d’activisme politique, ce qui m’a permis de mieux comprendre et appréhender le fonctionnement médiatique. À ce moment-là, il me paraissait nécessaire d’occuper l’espace vidéo, c’est pourquoi nous avons lancé une chaîne YouTube de grands entretiens en pariant sur le fait qu’une grande partie des Français ne voulaient plus des journalistes qui ne cessaient de faire des procès d’intention, couper la parole de leurs invitéset donnaient leur avis personnel. Notre objectif était de recevoir tout le monde : nous avons alors accueilli des personnalités de tout horizon, de gauche comme de droite, en leur laissant librement la parole. En deux ans, nous avons atteint 350 000 abonnés sur YouTube avec près de 50 millions de vues pour des formats de qualité avec des entretiens d’1h30, allant même jusqu’à 3h30. Ce succès nous a permis d’avoir une audience qualitative et nos invités le savent pertinemment. L’occasion de se dire que nous devrions aller encore plus loin. C’est la raison pour laquelle nous avons recruté une nouvelle équipe et que nous nous lançons dans l’aventure du papier !
Vous aviez eu un succès fou après la réussite de la Convention de la droite – dont nous étions partenaires –pourquoi n’avoir pas continué sur cette voie ?
D’une certaine façon, après la Convention de la droite, certains ont continué parce que, in fine, cela a débouché sur la candidature d’Éric Zemmour, ce qui a permis la rencontre entre Marion Maréchal et ce dernier. En ce sens, la Convention de la droite a vu son flambeau être repris totalement. De mon côté, j’ai eu l’envie d’être beaucoup plus libre, beaucoup plus indépendant, ce qui m’a mené à une carrière de journaliste. C’est la voie que j’ai choisie désormais depuis un peu plus de deux ans, car c’est à mon sensbeaucoup plus enrichissant. Je n’ai pas l’esprit militant et je préfère couvrir les différents partis politiques avec ma sensibilité. Au sein de Livre Noir par exemple, je suis en charge des Républicains et de l’aile droite du gouvernement. Dans le fond, être journaliste, c’est ma vocation depuis tout petit : je lis la presse, les éditions de la veille à 23h00 du soir, et les éditions du matin à 6h00. Je l’assume, je suis complètement drogué par l’actualité ! De Médiapart, à Libération et le Monde, à Valeurs Actuelles en passant par Le Figaro, mais également des blogs dont le site de Droite de Demain.
Quelle est la ligne éditoriale de Livre Noir ?
Livre Noir est un média qui a la volonté de s’adresser à toutes les sensibilités de droite. De nombreux médias situés à droite vont d’abord se mobiliser pour l’union des droites comme l’Incorrect, d’autres sont plus conservateurs comme Valeurs Actuelles. D’autres encore s’inscrivent dans une ligne souverainiste comme Front populaire. L’objectif et l’ADN de Livre Noir, mais aussi le sens de mon engagement depuis des années, c’est de parler à toutes les sensibilités de droite, ce peuple des 51 %. Notre ligne directrice est marquée par l’immigration, un sujet majeur dont nous faisons la couverture pour notre premier magazine papier. Dans une autre optique, nous voulons faire vivre le débat sur les différentes lignes économiques. Nous sommes aussi clairement pour une France indépendante au sein de l’Europe, c’est notre ADN, mais surtout un état d’esprit que nos lecteurs et auditeurs apprécient dans notre média.
Ce média est devenu très vite une référence notamment par ses formats d’entretiens longs sur la plateforme YouTube, comment expliquer un tel succès ?
Je l’explique en trois raisons. Premièrement, pour un entretien de format long, la difficulté est d’attirer des intervenants de haute voltige. Pour les obtenir, nous misons sur l’esthétisme. C’est important à la fois pour l’auditeur car l’esthétique est une valeur de droite, et également pour l’invité qui va souhaiter un beau rendu de l’image. Le deuxième point est l’attitude. Nous sommes dans une démarche où nous voulons faire entendre l’avis de notre invité, sans filtre et en toute liberté. En comparaison avec Thinkerview, qui a adopté cemodèle, nous avons une approché différente. C’est la raison pour laquelle nous traitons de la même manière l’ensemble des invités que nous recevons : je pense à Jacques Attali, Jean-Christophe Cambadélis ou François Bégaudeau, et les invités le savent. Le rôle du journaliste n’est pas de donner son avis personnel mais d’apporter une grille de lecture.
Le dernier point, c’est la capacité à faire des coups médiatiques avec des entretiens qui vont toucher un large public et le diversifier. Ce travail de programmation est essentiel. Livre Noir a su imposer une marque sur ses entretiens, une marque basée sur l’esthétisme, la bienveillance et la diversité. Le plus dangereux pour un média est de s’enfermer dans sa propre audience. Nous avons toujours accepté d’être critiqué selon les personnes que l’on recevait, et nous n’avons jamais appelé à soutenir des candidats dans des élections. Nous voulonsconserver notre liberté et nous diversifier sur plusieurs formats parce que YouTube connaît une baisse d’attention du public. Les utilisateurs migrent vers Instagram ou Tik-Tok par exemple.
Vous revenez à la rentrée avec une équipe remaniée et bien plus nombreuse, quel est le sens de cette révolution interne ?
Cette année, nous étions globalement en stand-by en conservant des entretiens à volet réduit. Deux défis s’offraient à nous. Le premier, se réinventer après la période présidentielle. Trop de médias s’assoient sur une rente, ce que nous refusons. Le deuxième, c’est le défi financier, en se donnant les capacités de réunir une équipe renforcée et d’accéder à un contenu rigoureux et exigeant. Nous n’avonsjamais eu autant de collaborateurs chez Livre Noir. Nous sommes actuellement dix-sept journalistes et techniciens en cette rentrée de septembre. Ce sont des jeunes qui, majoritairement, viennent d’écoles de journalisme. Cette donnée est importante et encourageante, car depuis deux ans, des jeunes issus des courants dits conservateurs sortent des écoles de journalisme et ne craignent plus de s’assumer. C’est un défi à droite de sortir de l’éditorialisation sans pour autant tomber dans le factuel. Il faut être capable d’expliquer aux gens concrètement ce qui fait qu’une campagne peut fonctionner ou non. Les élections européennes sont un autre objectif pour Livre Noir, qui est d’abord un média politique. Cette campagne s’annonce passionnante. Pour la couvrir, nous avons désormais un journaliste dédié à chaque parti politique à droite. Cet objectif de pouvoir couvrir tous les partis de droite explique l’élargissement de l’équipe, mais également le fait d’être sur plusieurs supports. Nous avons récemment ouvert un site internet avec plus d’une cinquantaine d’articles en trois jours (www.livrenoir.) En tant qu’entrepreneur, mon objectif est d’être numéro un des médias digitaux indépendants : YouTube et les réseaux sociaux. Nous lançons de plus un magazine trimestriel avec une équipe dédiée. Ce sera un magazine ambitieux diffusé à 30 000 exemplaires, ce qui est supérieur à de nombreux médias indépendants. Un grand travail est engagé : une campagne de promotion, 160 pages qualitatives avec des reportages photos à l’international et en France et une diffusion dans près de 5 000 kiosques à travers la France. Sur le sujet de l’immigration, thème central de notre magazine, nous avons réuni les meilleurs experts et des politiques de différentes sensibilités.
Comment expliquer l’ampleur que prennent les médias alternatifs de droite depuis quelques années, alors que c’était un format dominé par la gauche ?
Deux types de médias dominent. Tout d’abord, les médias qui reposent sur des personnalités comme les influenceurs ou les Youtubeurs, personnalités qui utilisent l’humour pour vulgariser la pensée politique. Puis, sont apparus les médias alternatifs, en raison du rééquilibrage qui a été permis par des grands médias comme Cnews, qui ont crédibilisé de facto des médias indépendants. En revanche, je tiens à apporter une nuance. Si d’un côté les médias alternatifs fonctionnent parce qu’il y a un public, les moyens pour se professionnaliser manquent encore. C’est un sujet sur lequel, dans les mois à venir, j’aimerais mobiliser la communauté de droite. Je suis abasourdi de voir à quel point la gauche arrive à lever de l’argent et avoir des donateurs pour se développer, alors qu’à droite ce sont plutôt des jeunes qui vont créent leurs médias avec peu de moyens. Pourtant, ces jeunes ont des audiences impressionnantes. Certains médias atteignent des scores gigantesques sur les réseaux sociaux, se comptant en dizaine de milliers d’abonnés, alors qu’ils sont gérés par une seule personne sans financement. J’espère qu’à travers le succès de cette relance de Livre noir, nous puissions mettre en lumière la nécessité de consolider ces différents médias et offrir la perspective à des jeunes qui veulent s’engager à leur tour. De grands investissements à droite sont faits dans des associations, c’est très bien, mais l’aspect médiatique est complètement négligé. Pour la Convention de la droite, nous n’avions eu que deux donateurs !
Pour vous, la droite a-t-elle encore un train de retard sur ces nouvelles formes de communication ? Quels sont ses axes d’amélioration ?
L’enquête ! Nous avons beaucoup de retard à ce niveau. L’opinion est adaptée pour des formats télévisés, mais le format écrit permet de gagner en crédibilité. Les Français ont beau adhérer majoritairement à nos idées, ils continuent à lire Libération, Médiapart et le Monde parce qu’ils apportent des informations vérifiées et factuelles avec un vrai travail d’enquête. Tant que nous ne sommes pas capables de rivaliser avec eux, notamment dans le suivi des militants d’extrême gauche comme eux le font avec les militants d’extrême-droite, nous ne changerons jamais les paradigmes. Cela passe par deux étapes : des journalistes qui savent le faire, ce qui nous manque cruellement à droite, dans la mesure où il faut recevoir une formation approfondie et que les médias d’enquête sont à gauche. Pas un seul média à droite n’est capable de donner de l’argent et du temps pour faire de l’enquête. Quand je parle d’enquête, il ne faut pas que ce soit de l’enquête neutre, il faut que ce soit assumé : enquêter sur les islamistes, sur l’extrême-gauche, etc. C’est une logique entrepreneuriale dans la mesure où faire un média d’enquête, c’est un travail de longue haleine. C’est un travail de construction qui reste à faire. Je crois par exemple que les médias indépendants devraient s’associer dans le cadre d’un organisme indépendant financièrement, sur le même modèle que ce que fait la gauche, à but non lucratif, possédé par les salariés ou les abonnés, et que chaque média consacre un peu de son temps, une fois par an, sur une enquête commune. Cet organisme est nécessaire, car il est impossible de créer ex nihilo un média d’enquête.
Propos recueillis par Théo Dutrieu