Frédéric Paya est rédacteur en chef Economie-Finance à Valeurs Actuelles, il est l’auteur de l’ouvrage « Normes, réglementations et lois… Mais laissez-nous vivre ! » traitant de l’inflation des normes en France.
Comment expliquer cette frénésie pour les lois en France ?
Parce que la France a un goût immodéré pour la formalisation. Est-ce une surprise si en Chine la France s’appelle le pays de la loi ? En fait cette frénésie n’est pas nouvelle. Déjà au 16ème siècle Montaigne disait : « Nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure [… ]. Les plus désirables, ce sont les plus rares, les plus simples, et les plus générales ». Trois siècle plus tard, Georges Pompidou s’adressait à Jacques Chirac, en 1966, en lui disant : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements, dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ! ». Cette frénésie s’explique de plusieurs manières. Il y a débord le jeu des alternances politiques qui démontent systématiquement ce qu’a fait la précédente majorité. C’est le cas des heures supplémentaires défiscalisées crées par Sarkozy, annulées par Hollande et réintroduites par Macron. Il y a aussi l’évolution de la société et des techniques ainsi que la vanité de nos dirigeants qui se plairont d’autant plus à édicter des normes et des lois qu’elles portent leur nom. Sans oublier le fameux principe de précaution et les transpositions de lois européennes. Il y a enfin la multiplicité des faiseurs de normes qui raisonnent en silo sans se soucier si elle n’existe pas déjà ! Conséquence, il y a 11.500 lois, 330.000 articles, 130.000 décrets et 400.000 normes. Ce qui se retrouve dans l’épaisseur du journal officiel : 13.000 pages en 1974 et 78.000 en 2018.
Quel impact négatif ont ces lois sur nos vies ?
Soyons honnête les normes, les lois et les réglementations sont d’abord faites pour nous rassurer. Cela dit, est-ce qu’à force de trop faire de lois et réglementations, le législateur ne va pas trop loin ? Inconsciemment ou consciemment d’ailleurs, en essayant de nous faire rentrer dans le cadre d’un monde qu’il juge merveilleux ou dont il dessine les contours ? On sait qu’il ne faut pas manger trop salé ou trop sucré. Après la taxe sodas ; il y a eu une tentative du retour de la gabelle en 2018. La France insoumise a déposé une proposition sur l’alimentation industrielle et certains députés se sont saisi des teneurs en sel. Plus récemment et cela a été un déclencheur de la crise des gilets jaunes (ceux qui se sentent les grands oubliés des décisions prises à Paris et dont ils subissent les conséquences sur leur vie de tous les jours), il y a eu la baisse des limitations de vitesse. Une de route de Bourgogne d’une trentaine de kilomètres compte ainsi plus de 40 changements de vitesse ! Difficile de garder à la fois un œil sur la route et sur le compteur de vitesse. Cet abaissement est arrivé au même moment que la taxation des carburants.
Beaucoup de lois, mais sont-elles respectées ?
Nul n’est censé ignorer la loi dit-on. On devrait donc la respecter. Mais face à cette avalanche ou ce foisonnement de lois, de normes et de réglementations qui échappent souvent à leurs créateurs, il est très facile de « passer au travers de la raquette ». Souvent par ignorance. Ainsi peu de patrons savent que dès qu’ils emploient plus de 100 salariés, ils sont tenus de mettre à la disposition de leurs salariées une salle où elles peuvent allaiter. Cette salle doit répondre à un certains nombres de normes obligatoires. Autre exemple, celui des pots en entreprises où la responsabilité du patron peut être engagée. Seuls le cidre, la bière, le vin et le poirée sont autorisés. Les alcools forts non. Beaucoup de gens ignorent donc la loi. D’autant plus que certaines sont extrêmement spécifiques. Le Tour de France vient de se terminer attirant comme chaque année des millions de téléspectateurs. Quasiment tous ignorent que la hauteur de la chaussette d’un coureur cycliste est encadrée par un règlement de l’Union cycliste internationale qui dit « Les chaussettes et les couvre-chaussures utilisés en compétition ne doivent pas dépasser la hauteur définie par la moitié de la distance entre le milieu de la malléole latérale et le milieu de la tête du péroné. »
La France, ennemie de la liberté ?
Heureusement, non. Comme je le disais précédemment, les lois, normes et réglementations sont d’abord faites pour protéger les Français. Le problème vient du fait que de nombreux écrits d’ajoutent chaque année et que la France ne fait guère d’efforts pour limiter cet empilement ; c’est justement cela qui peut donner l’impression que la France peut paraître de temps en temps, l’ennemi de la liberté ou des libertés. Aujourd’hui, la machine normative et législative est inexorablement lancée et il semble fort difficile de la stopper. Interrogé sur la manière de réduire le nombre de pages du code du Travail, Michel Sapin, ancien ministre socialiste du Budget, avait proposé de réduire la taille de la police de caractères… Plus sérieusement, revenir en arrière serait sans doute considéré par nos politiques comme un aveu de faiblesse.
Cette inflation des lois est-elle un phénomène typiquement Français ou s’inscrite-elle dans un processus global ?
Non car le monde change chaque minute et qu’il est nécessaire d’adapter les systèmes législatifs aux évolutions. Le sénateur Jean Bizet, président de la Commission des affaires européennes, s’est intéressé à la manière dont nos voisins européens s’en sortaient d’un point de vue législatif. Ainsi, les Allemands ont créé le Normenkontrollrat ; le Conseil fédéral de contrôle des normes. C’est un organisme indépendant qui rapporte à la Chancellerie fédérale ; il a une approche holistique, donc une vision globale. Son objectif ? Avoir la réglementation la plus rigoureuse tout en réduisant son coût pour le citoyen, et en diminuant la bureaucratie. Au Royaume Uni, quand il y a transposition d’une loi européenne, les entreprises britanniques ne doivent pas désavantagées par rapport à leurs concurrents européens. En Suède, le Conseil des normes baptisé Regelrådet effectue un examen indépendant de règles supplémentaires pour réduire le fardeau réglementaire inutile ! En Italie, dès qu’il y a transposition, l’administration italienne analyse son impact pour déterminer quelle est la solution juridique la moins coûteuse. En France, il y a bien eu une tentative avec la création, le 8 janvier 20104, du Conseil de simplification coprésidé par le député de l’Essonne Thierry Mandon et le chef d’entreprise Guillaume Poitrinal. Mais ce Conseil a eu une durée de vie de trois ans.
La crise de la COVID-19 et surtout sa gestion, nous montre également ce besoin de tout légiférer, dans d’autres pays, l’Etat a choisi de faire confiance en ses administrés. Cela montre-t-il la manie des politiques à répondre par la norme aux crises politiques ?
C’est ce que nous appelons dans notre livre, la réponse émotionnelle. Dans une de ses études le Conseil d’Etat le confirme : « L’attrait de la norme tient au fait qu’elle constitue une réponse instantanée à une attente suscitée par un événement. C’est la réaction au journal de 20 heures ou à une crise que l’on ne parvient pas et, de plus en plus souvent, que l’on ne cherche même plus à résoudre autrement ». Tout le monde se souvient du cas, en 2007, d’une petite fille mordue au visage par un American Staffordshire, décédée quelques jours plus tard. Aussitôt, les députés ont déposé une proposition de loi « visant à interdire la détention des chiens d’attaque et à renforcer les règles qui s’appliquent aux chiens de garde et de défense ». Or depuis 1999, existe une loi qui encadre la détention de ces chiens dangereux.
L’affaire du squat à Théoule-sur-Mer, montre-t-elle l’incompréhension des français vis-à-vis de leurs lois ?
Cette affaire a montré les dérives des lois. Si elles ont été faites pour protéger les locataires et c’est très bien ainsi, des individus malhonnêtes qui connaissent très bien la législation, en profitent toutefois pour la détourner à leurs avantages. Ainsi un propriétaire qui voudrait récupérer son domicile, peut être attaqué par le squatteur pour violation de propriété. Et il sera même davantage puni que celui qui occupe illégalement le domicile. C’est de là que vient l’incompréhension des Français ; ils ont l’impression que le droit de la propriété est bafoué.
On dit souvent que les entreprises françaises croulent sous les normes, faut-il les libérer ? En outre, refaire confiance en nos entreprises ?
C’est en effet surtout sur les entreprises que ces lois ont un lourd impact. Le code du travail comporte 3800 pages quand l’édition de 1978 en comptait au plus une centaine. Sans parler des autres codes. Ce n’est peut-être donc pas sans surprise que la France se classait au début des années 2010, 126ème pays sur 144 en termes de complexité administrative selon le World Economic Forum. On pourrait parler des seuils sociaux, du calcul du bénéfice imposable (157 000 signes, soient une centaine de pages pour un roman), de l’hygiène, etc. Autant de textes qui évoluent et qui font de la France un pays avec uns instabilité législative importante. Et qui pèsent sur l’économie puisque l’on estime le poids des normes à 3 points de PIB, soit 60 milliards d’euros chaque année.
N’est-ce pas essentielle d’encadrer les pratiques à l’aide de ces lois ? Les lois ne représentent-t-elles pas finalement un gage de sécurité ?
C’est bien ce que nous avons voulu démontrer dans notre ouvrage. Si les lois sont un gage de sécurité pour le particulier, l’entreprise et la Société, c’est leur empilement incontrôlable et incontrôlé qui rend l’ensemble souvent illisible et parfois injuste.

Propos recueillis par Paul Gallard