Frédéric Saint Clair est politologue.
Bonjour monsieur Saint Clair, Marine Le Pen descend inéluctablement dans les sondages, quelles sont les raisons de cet effondrement ? Est-ce la preuve du peu d’ancrage du RN à l’échelle locale ?
Les mécaniques électorales locales et nationales fonctionnent sur des rythmes différents. Il y a bien évidemment des liens, mais rappelons-nous qu’Emmanuel Macron a été élu en 2017 sans aucun ancrage local, sans même avoir jamais été élu auparavant. Il me semble que Marine Le Pen est peut-être en train de souffrir de cette pensée antisystème qu’elle a alimenté pendant des années. Son « système » n’est pas le système mainstream social-libéral, UMP-PS, au sein duquel Emmanuel Macron est venu s’insérer, mais c’est un système tout de même. Un système national, qui, aux yeux d’un certain nombre d’électeurs s’est trop normalisé, manque de pugnacité et d’irrévérence vis-à-vis des poncifs de la politique politicienne, et qui mérite d’être taclé comme les autres systèmes. Pour le dire autrement, on a longtemps cru que le dégagisme ne concernait que les partis de gouvernement ; Eric Zemmour est en train de nous montrer que le dégagisme pourrait bien concerner également les franges extérieures du spectre politique.
A contrario, Éric Zemmour ne cesse de monter, quelle est sa base électorale ?
Difficile de le dire avec précision aujourd’hui. Je vois trois socles plus ou moins disjoints qui pourraient se rassembler autour de son nom. Une partie des électeurs de François Fillon restés chez LR, et se sentant marginalisés au sein de ce courant, et absolument pas représentés par les Bertrand, Pécresse, Barnier et autres. Ensuite, une très large partie de l’électorat RN, même si aujourd’hui ces électeurs, sensibles au discours d’Eric Zemmour, continuent de faire confiance à Marine Le Pen. Enfin, une frange d’abstentionnistes, des déçus de la politique, qui pourraient voir en Eric Zemmour le candidat anti-système de droite par excellence.
La France peut-elle vivre ce qu’ont vécu les États-Unis avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ou du Royaume-Uni avec Boris Johnson, alors qu’elle avait fait le choix du mondialisme en 2017, plutôt que celui du souverainisme ?
Il faut à mon avis se méfier des comparaisons, surtout avec les pays anglo-saxons qui ont des logiciels politiques et des mécaniques partisanes assez différents des nôtres. Les Etats-Unis et la Grande Bretagne n’ont jamais abdiqué leur souveraineté. La dynamique politique des USA s’articule davantage autour d’une dimension isolationniste héritée de la doctrine Monroe que Trump a réactivée comme aucun président américain dans l’histoire récente. Quant à l’Angleterre, elle n’a jamais été partie prenante du projet européen ; elle n’a jamais renoncé ni à sa souveraineté monétaire, ni à sa souveraineté politique. Elle est une île, dans tous les sens du terme. Mais, la question que vous posez concernant l’articulation du questionnement français actuel autour des deux options politiques que sont le mondialisme et le souverainisme est tout à fait pertinente. Car effectivement, consciemment ou non, cette tension traverse la réflexion politique occidentale, et la France n’y échappe pas. On se pose, encore et encore, la même question : Fukuyama avait-il raison ? Les démocraties-libérales ont-elles gagné ? De plus en plus d’arguments penchent du côté du « non », ce qui, mécaniquement, fait pencher la balance du côté du souverainisme. Zemmour et Onfray sont deux marqueurs intellectuels de ce revirement, l’un à droite et l’autre à gauche. Le Pen et Mélenchon le sont dans la sphère partisane. Et même Emmanuel Macron, mondialiste s’il en est, a dû confesser après le premier choc pandémique de mars 2020, notre besoin de souveraineté. C’est dire si cette question est d’actualité !
Zemmour candidat du système médiatique ?
Oui, mais pas du système médiatique mainstream. Il est le candidat d’un système médiatique propre à cette droite « hors les murs » qui a ses organes de diffusion propres, et dont les journalistes peuvent parfois être intégrés dans des rédactions plus « traditionnelles ». En revanche, le système médiatique mainstream se délecte du phénomène Zemmour tout simplement parce qu’il est une incroyable machine à buzz… Ce qui est paradoxal, car idéologiquement, il est tout ce que ce système abhorre. Et sa victoire à la présidentielle (victoire très hypothétique à cette heure, je le concède aisément, et victoire à laquelle ce système ne croit pas, même s’il aime jouer à se faire peur) signerait la fracture dudit système. Car comment imaginer qu’un Zemmour Président de la République continuerait de financer avec de l’argent public la bien pensance sectaire et moralisatrice de Radio France, de France TV, ou de certains quotidiens nationaux largement perfusés avec les deniers de la nation ?
La France est à droite, les études le démontrent, les scores des candidats également, que manque-t-il aux Républicains pour capter cette dynamique ?
Il leur manque à peu près tout : Une pensée politique structurée et cohérente tout d’abord. Ensuite un véritable courage politique fondé sur des convictions. Et enfin, un personnel politique qui soit à même de porter ce projet. Les Républicains ont en leur sein des responsables politiques, locaux ou nationaux, de grand talent. Mais, pour une raison qui échappe à tout le monde, ce sont toujours les mêmes figures médiatiques sans envergure qui captent la lumière. Et lorsqu’un nouveau visage tente une percée, tout le système partisan s’organise pour le repousser. Or, l’absence de renouvellement des élites est synonyme de mort programmée, surtout à une époque où le dégagisme fonctionne à plein régime.
Les républicains peuvent-ils profiter du fait que Zemmour capte des voix à Marine Le Pen pour se diriger vers un deuxième tour ?
Les derniers sondages tendraient à laisser penser qu’Eric Zemmour soit en passe de ringardiser dans un même élan à la fois Marine Le Pen et l’ensemble des candidats potentiels de LR. Mais, dans l’hypothèse où sa côte de popularité faiblirait, ou se stabiliserait, on pourrait imaginer un match à trois pour la qualification au second tour : MLP, EZ et le candidat LR. Tout est possible.
La sécurité sera-t-elle une nouvelle fois la grande invitée de ces présidentielles ?
Plus que la sécurité, qui était en vérité le grand thème de 2007 et de l’élection de Nicolas Sarkozy, c’est la civilisation qui semble au rendez-vous de 2022 – même si, pour une majorité de Français, les questions économiques et sociales, et peut-être même environnementales, ne sont jamais très loin. Mais en vérité, la problématique civilisationnelle est la grande question du XXIe siècle. Il est donc de bon ton qu’elle soit placée en haut de la liste de l’agenda présidentiel 2022. L’insécurité (physique comme culturelle), ainsi que l’immigration, sont liées étroitement à cette problématique. Elles ne manqueront évidemment pas d’être abordées par l’ensemble des candidats. Un durcissement est d’ailleurs déjà sensible dans l’ensemble des propositions de la droite et du centre, alors que la campagne ne fait que commencer…
La droite doit-elle se ranger derrière une sorte de national-populisme ?
Je ne sais pas ce que la droite doit faire. Je ne suis même pas certain qu’il existe à ce jour une bannière qui soit à même de fédérer l’ensemble des attentes. La question nationale est assurément centrale, elle rejoint la problématique de la souveraineté que vous avez évoquée, est qui est en vérité la condition sine qua non de toute politique. La question du populisme est plus ambiguë. Populiste n’est pas synonyme de populaire, et si certains intellectuels se sont essayés à la réhabilitation du terme, il ne fait pas consensus aujourd’hui à droite. Il est d’ailleurs souvent perçu comme un anathème. Par ailleurs, la nécessité de repenser la notion de liberté (dont nous avons été largement privés, pour des motifs et des résultats plus que douteux, pendant la crise du Covid) s’impose également, et donc la notion conjointe de libéralisme. Ainsi que la nécessité de développer et d’étayer une pensée réellement conservatrice, à la française. Difficile de ranger tous ces courants sous une même bannière. Le ralliement se fera donc probablement derrière une personnalité porteuse d’une vision et d’un discours, indépendamment de son étiquetage. Par ailleurs, avant qu’un ralliement puisse être envisagé, il me semble nécessaire qu’une grande clarification idéologique des droites soit engagée, et qu’une segmentation partisane claire en découle. La multiplication des partis, des personnalités, le chevauchement des programmes, des positions idéologiques, est une source de confusion incroyable qui non seulement nuit à la victoire de la droite, mais surtout qui alimente la défiance et amplifie la crise démocratique.