(Entretien) Gaelle Frontoni, « Nombreux sont les élèves qui n’ont aucune maîtrise de la langue »
(Entretien) Gaelle Frontoni, « Nombreux sont les élèves qui n’ont aucune maîtrise de la langue »

(Entretien) Gaelle Frontoni, « Nombreux sont les élèves qui n’ont aucune maîtrise de la langue »

Pour entamer cette interview, commençons sur le thème de l’orientation. Pensez-vous que les politiques publiques en la matière sont efficaces ?

Je ne suis pas certaine qu’elles soient efficaces, ni que la plateforme Parcoursup soit vraiment idéale. Nous qui sommes des professionnels de l’Éducation nationale, et donc de l’orientation, peinons à comprendre le fonctionnement de cette plateforme et son algorithme, parfois extrêmement arbitraire et qui classe les élèves selon des critères pas très simples pour les familles. C’est-à-dire qu’à moyenne égale, à niveau égal, des élèves seront pris ou refusés en fonction de leur déterminisme social ou, tout simplement, de leur rang de classement dans un groupe. La réforme de lycée a fortement compromis la notion de classe et, à l’inverse, a introduit la notion de groupe par spécialité, ce qui fausse la donne et donc ajoute de la complexité. Il en résulte de l’incompréhension de la part des familles sur le fonctionnement de cet outil et, dès lors, une très forte anxiété pour les élèves. Cette plateforme provoque, en définitive, une désorientation… des choix d’orientation des élèves.

En ce qui concerne les filières dites techniques, professionnelles, pensez-vous qu’elles sont valorisées en France ?

Non. Mais la vraie question n’est pas de savoir si elles sont valorisées ou non. En effet, depuis une trentaine d’années, les familles ne veulent plus orienter leurs enfants plus tôt, même s’il y a des projets d’orientation vers la voie professionnelle qui pourraient être performants et/ou adaptés. La majorité des familles souhaite que leur(s) enfant(s) ai(en)t le bac, si bien qu’on a augmenté le nombre de bacs professionnels pour répondre à cet enjeu, à cette demande sociale. Néanmoins, même avec cette solution le projet d’orientation n’est pas suffisamment travaillé par les élèves, ni même accompagné par les familles, car ces dernières veulent absolument la voie générale, la voie classique, quitte à ce que leurs enfants fassent de nombreux Masters.

Il s’avère en effet compliqué de convaincre les familles de penser différemment à ce propos, y compris pour des emplois locaux, en tension, où il y a encore du recrutement et qui sont accessibles après un bac ou bac+2 réalisé en alternance ou dans le cadre de la formation continue. Nous sommes, en fait, à un carrefour de situations, car on se retrouve avec une offre professionnelle très contingentée et courte ; des jeunes qui ne veulent pas forcément s’en emparer ; et une orientation qui se fait par défaut. Par conséquent, on n’arrive pas à obtenir de bons résultats, à l’exception de certains cas particuliers où les projets sont nourris et accompagnés par les familles et sont partie intégrante d’un vrai choix d’orientation.

Le choix de l’orientation reste majoritairement subi, si bien que depuis un certain nombre d’années, le recrutement s’appauvrit, en particulier dans des filières en tension, où les jeunes n’ont plus suffisamment envie d’aller travailler.

Partons dorénavant sur le phénomène de l’absentéisme, qui est assez récurrent. À votre avis, faut-il sanctionner les élèves absentéistes ?

À ce sujet, il y a eu un système pertinent de mis en place dans le passé, mais que tout le monde n’a pas appliqué, consistant à ce que les allocations familiales soient supprimées dès lors que l’élève n’était pas présent et/ou assidu.

Je pense à titre personnel que sanctionner les élèves ne servirait à rien, car ce sont plutôt les parents les fautifs. En effet, un élève de moins de 16 ans qui ne se lève pas pour aller à l’école, c’est, quelque part, une faille éducative des parents. Il nous faut donc réfléchir à sanctionner les parents dont les élèves ne répondent à cette condition de l’assiduité à l’école et leur faire comprendre que l’école est obligatoire et nécessaire, aussi bien pour les filles que pour les garçons, afin d’obtenir un socle de connaissances et de formation solide. Or, à part toucher « au porte-monnaie », je ne vois pas ce que l’on pourrait faire d’autre. En effet, tous les dispositifs et moyens existent déjà : le rappel aux obligations, les lettres recommandées, les entretiens avec les familles, l’accompagnement des familles… mais, dans 80% des cas, ces mesures sont un échec, car on ne parvient pas à faire revenir les élèves à l’époque. Il nous faut donc orienter les sanctions sur le volet financier.

Ce que je vais dire est peut-être extrêmement fort, mais être parent, c’est une fonction, une obligation ; or cette fonction, cette obligation, c’est d’abord l’éducation et l’accompagnement dans l’orientation de ses enfants, dès leur plus jeune âge, afin qu’ils comprennent que l’école est obligatoire et constitue un vecteur de réussite sociale, par lequel il faut absolument passer.

En lien avec l’absentéisme, justement, il y a la question de la baisse du niveau des élèves en France. Comment lutter contre ce phénomène ?

Il importe, tout d’abord, de revenir aux fondamentaux dans l’éducation : savoir lire, écrire, compter. Ce sont des prérequis obligatoires desquels on s’est peut-être trop dispersés ces dernières années, pour ce qui concerne le premier cycle. Au primaire, il importe en effet d’ancrer la maîtrise de la langue. Sans cette maîtrise de la langue et de la culture, on ne parviendra pas à faire augmenter le niveau des élèves. En effet, il faut que les élèves puissent, en premier lieu, comprendre les consignes, ce que l’on attend d’eux, afin de pouvoir progresser ensuite ; or, sans ces bases linguistiques nécessaires et à acquérir, c’est mission impossible. Ces bases, qui guidaient l’enseignement il y a encore quelques années, doivent redevenir la priorité. Aujourd’hui, nombreux sont les élèves qui n’ont aucune maîtrise de la langue, tant d’un point de vue oral qu’écrit, en arrivant au CP.

Ensuite, une fois que les fondations seront de nouveau posées, on pourra en venir aux mathématiques, aux disciplines scientifiques, aux langues étrangères, entre autres, et ainsi avancer dans ces domaines. Mais la priorité reste l’acquisition de ces savoirs basiques : lire, écrire, compter, qui servent tout au long de la vie et permettent en effet, dans le cadre de l’enseignement, d’étudier de nouvelles matières ensuite. Redonnons du sens dans l’apprentissage.

Vous parliez des fondamentaux. En principes fondamentaux qui régissent notre société, il y a la laïcité. Il-y-a-t-il une crise de la laïcité selon vous ?

Je dirais que oui, car on cherche perpétuellement un politiquement-correct – qui fragilise notre vision de la laïcité -, pour ne pas faire de vague, pour ne pas choquer les minorités (ndlr : fanatiques) qui, à l’heure actuelle, essaient par tous les moyens de percer les barrières de l’école et de nous imposer leur diktat et leurs vues. Par conséquent, c’est extrêmement difficile pour les écoles de tenir face à cette pression que l’on subit, en particulier médiatique. En effet, à chaque fois qu’il y a un fait mettant en cause la laïcité, tout le monde est vent debout. Garantir la laïcité dans les établissements scolaires devient difficile car à chaque fois qu’il y a un fait la mettant en cause, il est traité de manière émotionnelle. Or on voit que c’est très compliqué de sortir de l’émotionnel dans ces situations. En effet, on n’en reste pas aux faits, on ne juge pas les faits, mais l’on se cantonne à de l’émotionnel. La sanction n’est donc pas facile à mettre en place. Et c’est ainsi que des chefs d’établissements comme moi, hésitent à sanctionner, parce que nous n’avons pas l’impression d’être soutenus dans le maintien d’une position forte et pourtant conforme.

En guise d’ouverture à cet échange, diriez-vous plutôt « Éducation nationale » ou « Instruction publique » ?

Instruction publique. Tout simplement car « Éducation nationale », les familles l’entendent comme si nous allions, à l’école, prendre en charge l’éducation des enfants, effectuer leur rôle, le rôle parental. Or cette éducation relève en effet du privé, du rôle des familles. À l’inverse, l’instruction et la montée en compétences des élèves font et doivent faire partie de notre travail. Si l’on veut redonner du sens à l’apprentissage – cela fait peut-être passéiste de revenir à l’appellation « ministre de l’Instruction publique -, je pense donc qu’il il nous faille insister sur notre rôle qu’est d’instruire, bien plus que d’éduquer. L’éducation aux savoirs-faire et savoirs-être, c’est la mission des parents. La montée en compétences, l’instruction et la transmission du savoir, c’est la nôtre.

Propos recueillis par Romain Lemoigne et Alexandre Saradjian

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