(Entretien) Geoffroy Lejeune, « Eric Zemmour arrive dans ce contexte en unifiant la bourgeoisie patriote et l’électorat populaire »
(Entretien) Geoffroy Lejeune, « Eric Zemmour arrive dans ce contexte en unifiant la bourgeoisie patriote et l’électorat populaire »

(Entretien) Geoffroy Lejeune, « Eric Zemmour arrive dans ce contexte en unifiant la bourgeoisie patriote et l’électorat populaire »

 

Geoffroy Lejeune est directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles.

Bonjour Geoffroy, comment expliquer votre intuition de 2015, avec l’ouvrage « Une élection ordinaire » ?

 

Ce n’était pas réellement une intuition à proprement parler, mais plutôt une information que j’avais lue dans la presseselon laquelle Philippe de Villiers et Patrick Buisson, compagnons de chemin d’Éric Zemmour, l’avaient encouragé à se présenter à la présidentielle de 2017. Cette histoire m’avait amusé et je lui avais alors demandé son avis. Ses réponses étaient alors claires, il me disait que ce n’était que des boutades, des bons mots et que je ne devais pas perdre mon temps avec cette anecdote. J’avais alors compris que la probabilité serait faible. Cependant, l’anecdote continuait de me tarauder et j’ai proposé à mon éditeur de la raconter sous forme de roman en inventant la suite. Je précise que j’ai inventé ce scénario, mais que j’avais l’intime intuition que c’était plausible car Zemmour était sur une ligne d’union des droites du RN et de LR – avant l’UMP. J’étais aussi persuadé que l’apparition d’un candidat hors système politique venu pulvériser tout ce qu’on connaissait était de nature à convaincre nombre d’électeurs. Le making-off de ce livre,c’est que je n’ai pas inventé grand-chose. Je me suis servi de mes connaissances du milieu politique comme toile de fond et j’ai donc mis en scène des réalités. En ce sens, j’ai décrit une rivalité entre Marine Le Pen et sa nièce qui existait réellementou entre Sarkozy et Fillon. L’objectif était de bâtir un récit plausible sur l’état de la droite et de l’échiquier politique français. 

 

Le contexte que vous décrivez dans le livre est très proche de celui actuel…

 

Il en est beaucoup plus proche aujourd’hui qu’à l’époque où je l’ai écrit. Les pièces du puzzle se sont rapprochées : le Rassemblement national qui ne convainc pas et est incapable de remporter la mise, Les Républicains qui perdent leurs électeurs par paquets car trop décevants dans l’exercice du pouvoir et trop timorés dans les propositions, une gauche éparpillée. La seule nouveauté est Emmanuel Macron, il réunit tout ce qu’il y a de modéré dans l’échiquier politique. En fait, cette position n’empiète pas sur les positions d’Éric Zemmour, dont le discours est aux antipodes d’un Emmanuel Macron.

 

N’avez-vous pas plutôt identifié les tendances structurelles et philosophiques politiques ?

 

Nous étions très nombreux à croire en cette tendance à l’époque. Je n’ai fait que reprendre à mon compte les débats politiques du camp de la droite. Ceux qui en ont beaucoup parlé étaient Patrick Buisson, Jérôme Fourquet, ou même Philippe de Villiers ou Éric Zemmour. Le Front national est condamné à la stérilité politique et qui ne gagne que très peu d’élections. Il récupère tous les thèmes de la droite républicaine : sécurité, immigration, régalien et dans un deuxième temps il gomme sa particularité en se plaçant dans une stratégie de dédiabolisation voulue par Marine Le Pen. Il perd donc ses fondamentaux et son ADN. Sur le fond, le programme n’a pas trop changé mais, l’incarnation si. 

Surtout, cette époque est celle d’un effondrement de la droite. Son péché originel est d’avoir laissé s’établir une digue artificielle, voulue par François Mitterrand, entre elle et le Front national. Charles Pasqua plaide pour une alliance avec le FN et raconte à Eric Zemmour en 2002 qu’il y a eu une rencontre dans cette optique entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, ce que nie le premier tandis que le deuxième la confirme. A partir de ce moment, la droite n’a cessé de vouloir se dissocier du FN et a affaibli son discours et abandonné ses thèmes. En 2007, c’est le sursaut : Nicolas Sarkozy récupère tout le corpus idéologique de la droite… mais ne l’applique pas une fois au pouvoir. Après la défaite de Sarkozy, un nouveau sursaut a lieu avec la campagne droitière de François Fillon. En attendant, en réalité, les politiques de droite n’essayent plus de récupérer les électeurs du Front national mais se positionnent dans une concurrence avec Emmanuel Macron ; c’est en train de les tuer. Eric Zemmour arrive dans ce contexte en unifiant la bourgeoisie patriote et l’électorat populaire, pour refaire ce que Malraux appelait « un métro à six heures du soir », un grand parti de droite qui sera intransigeant sur les questions régaliennes et prendra la défense des travailleurs sur les autres sujets. C’est la démarche de Nicolas Sarkozy de 2007. On sait que c’est la seule stratégie qui fonctionne à droite.

 

A votre avis, comment a-t-il pu passer de quelqu’un qui n’était pas intéressé par cette optique à la réalité d’un candidat à la présidentielle ?

 

Cela s’est fait en plusieurs étapes. Dans un premier temps, je persiste et signe qu’il était sincère lorsqu’il disait ne pas être intéressé par une fonction politique. Il considérait qu’une victoire politique passait d’abord par une victoire culturelle. Il était donc à la meilleure place pour mener ce combat culturel avec une grosse audience, des livres qui marchent incroyablement et une tribune dans l’un des plus gros tirages. Il a considéré que c’était là où il était le plus utile, sans s’embarrasser de tous les inconvénients d’une personnalité politique. En 2017, il se dit flatté par les livres et sondages qui testent une potentielle candidature. 2019 est un véritable tournant dans la mesure où les responsables politiques lui proposent une place éligible sur leurs listes aux européennes, sur celle de Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen ; il y réfléchit, mais finalement refuse. 

Quand je lui ai posé la question d’une potentielle candidature, il me répond « je suis un symptôme du vide mais non la solution de la droite. Si l’on parle de moi, c’est qu’il n’y a personne d’autres, mais je ne suis pas fait pour ça ». Peu de temps après, il franchit le pas et intervient à la Convention de la droite. C’est un pas très important dans la mesure où il s’exprime sur l’estrade, aux côtés de responsables politiques tels que Marion Maréchal. Un discours dans lequel, pour la première fois, il distille ses solutions aux problèmes qu’il identifie. Cela ne lui réussit pas, il est très attaqué et son corps lui joue des tours. On le voit grisonnant, malade, enroué et vouté. Il enchaine avec son émission quotidienne sur CNews, Face à l’info, durant laquelle, pendant une heure, il élargit son champ d’expertise. Il construit une vision globale et ne se contente plus des débats politico-politiciens. Il n’abordait pas les sujets d’écologie, d’énergie ou de pouvoir d’achat. L’audience est au rendez-vous, l’espace politique semble se dessiner à droite, aucune figure ne se démarquant, et sa réflexion commence à murir de plus en plus. Et pourquoi pas lui ? Une équipe se forme autour de lui afin de préparer sa candidature avec les jeunes de génération Z, des hauts fonctionnaires qui lui fournissent des notes et Sarah Knafo qui travaille sa campagne. Finalement, il se laisse embarquer et il est au bord de la candidature. 

 

Vous disiez que ses idées étaient populaires mais pas le personnage, est-ce qu’il y a eu une évolution depuis ?

 

Pas vraiment. C’est son problème actuellement. Il réussit à augmenter dans les sondages sans pour autant améliorer sa côte personnelle. Cela apparaît à la fois comme une marge de progression tout comme une épine dans le pied. Il n’apparaît pas comme quelqu’un de sympathique, ni de rassurant, il n’incarne pas l’autorité. Il incarne plutôt la violence que la force. Un trait d’image dans lequel on ne le voit pas rassurant pour résoudre les problèmes qu’il dénonce. Ce n’est pas figé,mais il faut beaucoup de travail pour améliorer son image. On peut dire qu’il est fort électoralement malgré sa propre impopularité. C’est simple, il est rejeté par près de 75 % des Français mais sondé à 40-45 % au second tour de la présidentielle. Des gens votent pour lui mais sans l’aimer pour autant. 

 

Vous parliez à ce moment d’une connivence entre la gauche d’Onfray et la droite de Zemmour, est-ce le cas actuellement ?

 

En fait, dans le livre, il gagne en traversant plusieurs étapes. Le préalable à tout est de réussir à réunir en son lit deux rivières, celle du Front national et des Républicains, de les assécher et de prendre le maximum d’électeurs des deux côtés pour que sa candidature s’impose à droite. Une telle union ne suffit pas pour remporter la mise et il doit alors unir sous une même bannière les différentes chapelles souverainistes dont Michel Onfray fait partie. C’est le cas aussi d’un Nicolas Dupont-Aignan ou d’un Florian Philippot. Quand on voit les positions de Michel Onfray sur Zemmour, on se dit que la frontière est friable. Michel Onfray est sympathique avec lui et a même dit qu’il pourrait voter pour lui. Il a un vrai pouvoir de séduction sur les électeurs souverainistes. La droite classique ne peut plus unir les souverainistes car elle ne l’est plus et Marine Le Pen le peut mais elle a déjà atteint ses limites concernant cet électorat. 

 

Votre seule erreur n’était-elle pas seulement le fait que vous n’aviez pas vu venir l’échec cuisant de la gauche ? Vous mettiez François Hollande au deuxième tour…

 

Absolument. Je ne pensais pas à un tel raz-de-marais Emmanuel Macron. Dans mon livre, je faisais d’Emmanuel Macron un soldat téléguidé par Hollande pour flinguer Manuel Valls, qui m’a confirmé cette version. Ce plan s’est retourné contre son instigateur. En revanche, je maintiens le fait quefaire arriver Hollande au deuxième tour dans une perspective de droite désunie n’était pas idiot ; on pouvait penser qu’en tant que président sortant, il serait au deuxième tour. Emmanuel Macron était le candidat avec beaucoup de certitudes pour le second tour. Hollande et Macron ne sont pas les mêmes politiquement, c’est sûr, mais en l’occurrence c’est la même social-démocratie libérale. François Hollande s’étaitsitué dans un strausskahnisme sociétal avec le tournant de la rigueur en 2015, et Emmanuel Macron agit de la même manière – avec quelques coups de barres à droite de temps à autre. Je n’étais convaincu par aucun d’entre eux, et Emmanuel Macron a gardé l’électorat hollandiste de 2012. Je ne trouve pas si ridicule d’envisager un Macron ou Hollande face à Zemmour, si la droite se rend divisée sur le champ de bataille à travers ces trois candidatures. 

 

On sent un léger coup de mou dans cette pré-campagne pour que vos prédictions arrivent à échéances, quelle doit être la stratégie Zemmour ?

 

L’opinion a porté un regard différent sur Eric Zemmour entre août et novembre, il incarne celui qui renverse la table. Toutes ses outrances lui sont alors profitables et il ne s’interdit pas d’aller dans des événements polémiques, d’avoir des paroles violentes à la manière d’un trumpisme à la française. C’est puissant et ça explique la montée électorale. Cependant, la campagne ne prend plus des airs d’explosion du système mais bien d’un candidat sérieux potentiellement qualifié au second tour. Les gens changent alors de regard sur lui et se demande s’il peut incarner le costume de Président. Comme ce n’est pas le cas, car il a une posture provocatrice, un peu déroutante voire angoissante, une partie de ceux qui voulaient voter pour lui s’en détournent. La seule chose à faire est de changer de costume en prenant une envergure présidentielle. Il faut qu’il soit capable de rassurer ses potentiels électeurs. Attention à ne pas en oublier ses thèmes fondamentaux. 

Propos recueillis par Paul Gallard

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