(Entretien) Gérard Longuet, « On a besoin d’un État compétent »
(Entretien) Gérard Longuet, « On a besoin d’un État compétent »

(Entretien) Gérard Longuet, « On a besoin d’un État compétent »

Crédits photo : Sénat

La période de l’après-covid a démontré le phénomène de désindustrialisation française, en particulier sur des industries de première nécessité, peut-on encore réindustrialiser la France ou est-ce une utopie ?

Ce n’est pas une utopie mais une nécessité absolue. C’est beaucoup plus difficile qu’il n’y parait. L’industrie demande des conditions extrêmement favorables. Nous sommes dans un monde complètement ouvert, concurrentiel, et par conséquent on ne peut produire des objets que si on le fait dans les meilleures conditions. Il faut mener une réflexion sur nos filières productives et a contrario, les filières dans lesquelles nous sommes moins performants. Nous ne pourrons être efficaces dans tous les secteurs industriels.

Après cet état de fait, la réponse d’un gouvernement responsable est d’aider les entreprises implantées en France. Cela peut vous paraître étrange quand on connait ma tendance libérale, mais je suis favorable à un ministère de l’Industrie. Non-pas un ministère qui régisse mais qui analyse et étudie. Nous avions cette compétence et cette expertise sur notre territoire, avec de jeunes ingénieurs venant des grands corps, qui travaillaient dans le service public et nous avons besoin de cette expertise. On peut évidemment l’acheter sur le marché, mais si l’État n’a pas sa propre expertise, il risque de s’illusionner sur ce qu’il peut ou non faire.

Mais comment réussir concrètement cette réindustrialisation ?

Il y a trois conditions pour réussir dans l’industrie. La première ce sont des capitaux et surtout, prendre des risques. Il faut accepter de risquer la perte d’argent. Tous les développements industriels ne sont pas couronnés de succès. Existe-t-il en France, une épargne disponible pour financer des opérations à risque ? Faute d’avoir une épargne organisée pour préparer les retraites, comme l’ont des pays anglo-saxons et asiatiques. Si nous n’avons pas des capitaux pour assurer nos vieux jours, nous n’aurons pas cette capacité de prendre des risques. On ne peut faire 100 % de capitaux de risque quand on a à charge les retraites. Aujourd’hui, on ne s’appuie que sur quelques organismes publics tels que l’ADEPI, la Banque des territoires, il n’y a pas cet effet de masse d’un pays qui représente 4 % du PIB mondial.

La deuxième condition est d’avoir des coûts salariaux qui soient réalistes. Quand on a fait les 35h, on a assassiné l’industrie française sur les biens de consommation courants. Quand j’étais président de la région Lorraine, lors des 35h en 1997, les Allemands et américains investissaient en Loraine car la région se trouve au cœur de l’Europe et les coûts de production étaient raisonnables. Depuis 1997, le coût du travail français a dépassé fortement celui de l’allemand, les investisseurs sont allés dans d’autres pays – notamment en Allemagne redevenue terre d’opportunités.

La dernière condition c’est une liberté d’initiative. La France est un pays perfectionniste, avec une réglementation qui prévoit tout, qui impose tout et décourage ainsi bien trop d’investissements. Les exigences sont largement supérieures aux autres pays. L’initiative a besoin de liberté, de tolérance et des risques raisonnables. Beaucoup des premiers avions se sont écrasés avant de voler, à un moment il faut accepter de ne pas tout encadrer par la norme.

Finalement est-ce si important de réindustrialiser quand on a la valeur ajoutée…

La réindustrialisation est une nécessité absolue car si l’on ne produit pas, on ne maîtrise pas toute une filière de production. L’idée de ne faire que de la valeur ajoutée est une erreur. Nous avons besoin de savoir-faire, de matière grise et d’emplois sur l’ensemble du territoire. Le système actuel de valeur ajoutée concentre les emplois sur quelques métropoles. C’est tout un territoire qui a besoin d’activité et l’industrie permettra d’apporter de l’emploi de manière décentralisée – notamment dans des territoires isolés. Il suffit de prendre l’exemple de Michelin. C’est une affaire mondiale dont le siège et les équipes dirigeantes sont à Clermont-Ferrand. J’en suis certain, on peut le faire mais il faudra de la volonté et laisser de la liberté.

Certains politiques mettent en avant une nationalisation des industries à haute importance stratégique…

C’est une absurdité car l’État est le plus mauvais actionnaire qu’il soit. L’État a des préoccupations bien trop différentes et il est donc incapable de prendre une décision stable. Une décision peut favoriser le développement international, assez rapidement les critiques vont abonder sur le fait que les technologies doivent être françaises, puis nous aurons des considérations sociales (RTT, responsabilité sociale et sociétale). L’État se doit d’être exemplaire dans tous les domaines : environnement, normes sociales, relations du travail, féminisation. Ce sont des préoccupations nobles mais elles l’écartent de son objectif initial de rentabilité. Il suffit de prendre en exemple les entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire pour se rendre compte que ce n’est pas viable : la SNCF par exemple, on constate que ça ne marche pas bien. On a besoin d’un État compétent, qui donne des informations justes et d’un Gouvernement et d’une vie parlementaire qui aient les yeux ouverts sur l’écosystème industriel. Un ministère de l’Industrie qui aide les entreprises, oui ! Un ministère des finances qui contrôle les entreprises sur des critères farfelus, c’est non ! François Mitterrand avait commencé à le faire en 1981, ce fut un échec cuisant.

L’idée de souverainisme est dans toutes les têtes, est-ce une solution viable ?

Soyons clairs. Un gouvernement doit proposer à ses citoyens d’être capable de retrouver le chemin de la liberté au sein du système mondial. Un pays doit tenir compte de son environnent tel qu’il est. C’est bien beau de dire que l’on est souverainiste, encore faut-il préciser de quelle manière et avec quels risques, avec quels atouts et quels types de comportement. La seule manière d’assurer l’indépendance de la France, c’est d’avoir une balance économique équilibrée – voire excédentaire. Si la France ne s’endette pas, que sa balance commerciale est excédentaire, elle a alors sa liberté et peut donc choisir d’investir où elle le souhaite : dans la culture, dans la francophonie, dans les dépenses militaires. Si elle n’a pas d’argent, elle ne pourra pas faire ces investissements. Actuellement, nous sommes largement déficitaires. Ce que je reproche aux souverainistes, c’est qu’ils partent d’une idée qui est bonne : la France doit être souveraine, libre de choisir son destin. Au moment de la France sous Napoléon Ier, nous représentions 5 % de la population mondiale, donc le pays le plus peuplé d’Europe. Aujourd’hui, nous représentons à peine 1 %. L’idée c’est donc de se dire qu’avec 1 % de la population et 4 % de la richesse, comment faisons-nous pour être équilibrés sur le terrain économique ? Il faut regarder toujours en termes d’échanges. Le cinéma français par exemple, on dit qu’il est formidable mais si on regarde son exportation, on voit qu’il n’est pas si intéressant que cela. Les souverainistes ont le même biais idéologique en regardant trop leur nombril ou alors ils expliquent qu’ils sont à l’article de la mort. Il faut reconnaître que la France n’utilise pas au mieux ses atouts, cette crise sanitaire ne l’a que trop démontré. Au niveau des vaccins, on peut dire ce qu’on veut, mais les vaccins n’étaient pas français. Les moyens financiers et le manque de liberté ont fait que les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas voulu se lancer et les organismes publics n’ont apparemment pas su dicter les règles du jeu. Autre facteur, on constate un déclassement intellectuel de la France au niveau des études. Mais on a réglé le problème, on n’évalue plus nos élèves et comme cela le problème n’existe plus. Malheureusement le classement international, lui, existe et on voit très nettement l’échec du supérieur français.

 Dans cette logique de puissance – concept libéral – on constate que les pays en expansion sont aussi les plus grands, peut-on lutter contre ces hyperpuissances ?

Il faut distinguer la Chine qui est un pays exceptionnel de par sa taille et son organisation. Les États-Unis demeurent la première économie mondiale avec une population dynamique, une démographie positive, contrairement à l’Europe. C’est un pays qui a l’avantage d’avoir une puissance technologique et financière exceptionnelle. La Russie c’est un peu différent. C’est un pays que j’apprécie fortement, il doit être un partenaire pour l’Europe et en particulier pour la France. Cependant, son PIB est équivalent à celui de l’Italie. Ce n’est plus une grande puissance économique. Son atout : 17 millions de KM2, avec des réserves de sous-sols sans limite, et une population qui représente la somme de la France et de l’Allemagne conjuguée. Une population porteuse de convictions qui est capable d’assumer des politiques audacieuses.

Sur le plan économique, les deux grandes puissances sont donc la Chine et les États-Unis. Pouvons-nous être indépendants de ces deux superpuissances ? Ils ne nous feront pas de cadeaux et ils ont raison. Il faut donc avoir une stratégie sur ce que nous apportons, de leur poids et de leurs capacités. Pour moi, un candidat à la présidence de la République, c’est quelqu’un qui nous dit : « nous Français, nous n’avons pas d’ennemis, ni de véritables amis, mais des pays qui ont des intérêts, nous avons les nôtres, comment faire en sorte qu’ils soient compatibles ? ». Se déclarer souverainiste, c’est dire comment il faut faire pour que la France garde son rang et ne pas se laisser piétiner par ces puissances.

Doit-on faire bloc avec l’Europe ?

Au niveau de l’Europe, il existe un bémol, c’est que les Européens n’ont pas la même conception de leur responsabilité. De grands pays, très calmes et qui ne veulent se fâcher avec personne car ils vendent aux uns et aux autres. De plus petits qui ont une vraie personnalité mais pas les moyens que nous avons. Penser que les Européens sont des Français comme les autres est une grave erreur. Ils sont pour les uns Allemands, Hollandais, Danois, Hongrois, etc. Quand vous êtes Balte et que vous avez été occupé durant une soixantaine d’années, vous ne regardez pas la Russie avec le même œil. La Pologne qui a été dans son passé divisée en morceaux par les Austro-Hongrois ne regardent pas leurs voisins de la même manière que nous ; leurs besoins en matière de sécurité ne sont pas les mêmes. Le candidat à la présidence ne doit pas dire « L’Europe, l’Europe, l’Europe », mais il devra nous dire où sont nos intérêts et avec qui nous les partageons. En Méditerranée, nous avons les mêmes intérêts que les Italiens, les Grecs et Espagnols. En Afrique, nous sommes les seuls à s’en occuper. Par contre, les Balkans on ne s’en occupe guère alors que pour les Italiens et Autrichiens, ils sont fondamentaux. Pour les Polonais, la priorité est la situation en Ukraine. Le Président doit donc identifier de la meilleure manière les enjeux pour chaque pays et prendre la décision qui est la meilleure pour nos intérêts. Nous avons réussi en 1648, avec les traités westphaliens. Notre politique internationale ne doit pas avoir comme objectif de sauver la planète mais bien de sauver la France !

Propos recueillis par Paul Gallard

Un commentaire

  1. Fonteyne

    Bravo Gérard pour cette analyse, il est vrai que la grenouille ne peut pas se faire aussi grosse que le bœuf… La France a encore besoin des hommes comme toi. Je suis sû
    r que tu as encore un avenir en politique par ton esprit d’analyse….

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