(Entretien) Hovhannes Guévorkian, « Il y a encore des prisonniers de guerre arméniens détenus en Azerbaïdjan »
(Entretien) Hovhannes Guévorkian, « Il y a encore des prisonniers de guerre arméniens détenus en Azerbaïdjan »

(Entretien) Hovhannes Guévorkian, « Il y a encore des prisonniers de guerre arméniens détenus en Azerbaïdjan »

Pouvez-vous me décrire la situation en Artsakh depuis la guerre du Karabakh de 2020 ?

La situation s’était stabilisée depuis deux ans parce que les forces de maintien de la paix se sont déployées aux termes de l’accord de cessez-le-feu de novembre 2020. Grâce à leur présence, la population arménienne de l’Artsakh a pu regagner en grande partie ses habitations dans la zone libre. En revanche, les foyers restent vides dans la région de Hadrout et de Chouchi occupées par l’Azerbaïdjan car tout Arménien qui s’y aventurerait risquerait d’être assassiné par les forces azerbaïdjanaises. Nous avons donc environ 120 000 personnes qui se concentrent dans la zone libre. La guerre, l’occupation par l’Azerbaïdjan de vastes territoires artsakhiotes et la concentration de la population dans la zone libre induit un déficit de logement et c’est dans cette direction que le gouvernement artsakhiote centrait en priorité ses efforts. Avant le blocus, l’Artsakh était devenu un grand chantier où l’on construisait des logements, à la fois pour les quelque 16 000 personnes revenus en Artsakhmais dépourvues de logement et pour les quelque 22 000 personnes restées en Arménie dans l’attente d’un relogement en Artsakh. Evidemment, le blocus exercé par l’Azerbaïdjan depuis le 12 décembre 2022 a mis un terme à cette importante politique de construction et de réhabilitation de logement.

Est-ce que la République d’Artsakh est menacée de disparition par l’invasion azerbaïdjanaise mais aussi par le blocus qu’elle subit ?

C’est l’objectif poursuivi par l’Azerbaïdjan, son objectif numéro un : détruire l’Etat artsakhiote. Pour la simple raison que l’État est la seule structure qui puisse garantir d’une manière pérenne la sécurité d’un peuple menacé. Nous sommes dans un contexte où la Turquie et l’Azerbaïdjanveulent détruire et faire disparaître le peuple arménien depuis 150 ans. Les structures étatiques de l’Artsakh et de l’Arménie sont de véritables obstacles pour arriver à leurs fins. L’Azerbaïdjan prend possession de territoires arméniens et y exerce une épuration ethnique en les vidant de ses natifs arméniens. On a l’exemple du Nakhitchevan qui était une région peuplée majoritairement d’Arméniens jusqu’en 1920, année où elle a été placée sous la juridiction azerbaidjanaise par les bolcheviques. Aucun Arménien ne vit plus dans cette région. Dans les régions de Hadrout et de Chouchi de l’Artsakh, après deux ans d’occupation azerbaïdjanaise, il n’y a plus d’Arméniens non plus et tous les éléments patrimoniaux qui peuvent rappeler leur présence, comme des lieux de culte, des cimetières ou des maisons, sont détruits pour nier que leur présence n’ait jamais existé et pour créer un environnement hostile à leur éventuel retour dans ces régions.

C’est la raison pour laquelle je voudrais souligner que présenter le conflit du Karabagh comme un différend territorial est une manière de le vider littéralement de son sens, tout en vidant ce territoire des hommes qui y sont enracinés. C’est bien le déni par l’Azerbaïdjan des droits des Arméniens de l’Artsakh qui a conduit à ce que nous appelons le conflit du Karabagh. La création en 1991 de la République d’Artsakh et l’existence de l’Etat artsakhiote ont protégé les populations arméniennes de l’Artsakh durant les 30 dernières années.

Pensez-vous que le destin de l’Artsakh est lié à celui de l’Europe et de l’Occident en général ?

Il y a évidemment dans notre Histoire de nombreux exemples qui attestent de liens avec l’Europe et surtout avec la France. Cette affinité historique de même que le tropisme arménien pour la démocratie devraient revêtir de l’importance pour l’Occident car nous incarnons en réalité l’esprit européen dans notre région. Ceci dit, vu les menaces existentielles qui planent sur notre nation, nous collaborerons avec toutes les forces qui nous aiderons. Parce que ce qui est en jeu est le droit inaliénable et suprême à l’existence de notre peuple face à des Etats criminels qui veulent nous voir disparaître.

Les experts du monde entier décrivent des exactions commises par l’armée azerbaïdjanaise contre les populations arméniennes ainsi que des destructions de patrimoine. Pouvez-vous nous expliquer la situation ? Quelles sont les conséquences en matière de droits de l’Homme ? Y a-t-il encore des prisonniers de guerre et des exactions qui sont commises ?

Oui, il y a encore des prisonniers de guerre arméniens détenus en Azerbaïdjan contrairement aux engagements de ce dernier. Plusieurs ONG ont émis des rapports qui, très clairement, dénoncent le comportement des autorités azerbaïdjanaises et les tortures exercées sur des prisonniers de guerre arméniens. Ce n’est un secret pour personne que les droits de l’Homme ne sont pas respectés par l’Azerbaïdjan. Ce pays se trouve au tréfonds des classements en la matière. Il est impossible de se fier à l’Azerbaïdjan quand on souhaite établir une paix car cet Etat ne respecte en aucun cas ses propres engagements.

Certains observateurs internationaux disent que les négociations ont été un échec dans le cadre du groupe de Minsk. À votre sens, pourquoi le groupe de Minsk a-t-il échoué dans sa résolution pacifique du conflit ?

Dans pratiquement toutes ses déclarations, le groupe de Minsk avance que le conflit du Karabakh doit être réglé de manière pacifique, c’est-à-dire sans usage de la force, sur la base des principes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de l’intégrité territoriale des Etats. Cet objectif posé par le groupe de Minsk a été constamment violé par l’Azerbaïdjan. Ces violations répétées par le régime de Bakou n’ont pas conduit à des condamnations claires de la part de ce même groupe de Minsk. Il me semble que c’est cet élément-là qui a encouragé l’Azerbaïdjan dans ses actions menées en contravention du droit international.

Sur le plan juridique, le droit international légitime de manière très solide les revendications des Artsakhiotes. Bien sûr, il suffit d’examiner l’histoire régionale avec unminimum d’honnêteté intellectuelle pour admettre les bases historiques qui justifient la présence millénaire des Arméniens sur ces terres et la justesse de leur revendication à y fonder un Etat. Cependant je voudrais souligner à nouveau qu’indépendamment de toute considération historique, cette revendication d’indépendance constitue une réponse politique aux ambitions criminelles de l’Azerbaïdjan qui entend éradiquer physiquement toute présence arménienne dans la région. Nous avons créé un État pour rester en vie.

Quels sont les éléments de droit international qui jouent précisément en la faveur de l’Artsakh ?

Il y a premièrement le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est un des principes qui constituent les objectifs annoncés dans la Charte des Nations unies. Le peuple artsakhiote a légitimement et pacifiquement exercé ce droit – c’est-à-dire le droit à l’autodétermination à l’instar de toutes les autres nations. 

Le deuxième élément ressortit au droit soviétique. Ce droit autorisait toute région autonome à se détacher d’une république fédérale si cette dernière proclamait son indépendance vis-à-vis de l’URSS. En conséquence, il a fallu attendre que l’Azerbaïdjan déclare son indépendance de l’URSS le 30 août 1991. Deux jours plus tard, le 2 septembre 1991, le Haut-Karabakh a alors à son tour déclaré son indépendance de cette nouvelle entité en utilisant les mêmes bases légales. Ce nouveau vote de l’Assemblée du Haut-Karabakh a ensuite été confirmé par un référendum populaire.

Comme déjà souligné, le troisième élément est le droit inaliénable à la vie et à la dignité. Quand une population est menacée d’extermination par un Etat qui a construit son identité et sa raison d’être sur le racisme le plus rabique, cette population menacée a non seulement le droit mais aussi le devoir le plus impérieux de déclarer son indépendance ; et c’est aussi un devoir pour la communauté internationale de soutenir cette population dans l’exercice de ce droit au titre de la responsabilité de protéger qu’elle s’est elle-même imposée.

Je souhaite le dire clairement : le droit est un outil dans la main des États et des Nations pour prévenir les guerres, les génocides et les massacres, et pas le contraire. Le droit ne peut pas être un outil pour justifier des guerres, des génocides et le nettoyage ethnique des Arméniens de l’Artsakh au nom de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan.

Propos recueillis par Alexandre Saradjian et Théo Dutrieu

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