Joseph Macé-Scaron est journaliste, il a été directeur de la rédaction du Figaro Magazine et directeur de la rédaction de Marianne. Il est l’auteur du roman « La surprise du chef » édité en 2021.
L’émergence d’un candidat surprise serait-elle le fruit d’un contexte mondial ?
J’ai toujours pensé qu’il serait hautement paradoxal, dans le contexte actuel d’une crise sans précédent, à la fois sanitaire, sociale, cultuelle, culturelle et morale, que le seul domaine dans lequel il n’y ait pas d’incidence soit la sphère politique. En amont de cette crise, il y a eu déjà quelques surprises : une ancienne vedette de télévision, un clown, un retraité… mais on pouvait toujours penser que c’était imputable au contexte. Aujourd’hui, la manière dont on nous présente en permanence la présidentielle comme un affrontement pré-écrit entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, alors que nous sommes dans une période de grands bouleversements, cela me parait totalement insensé. Or, la politique est le premier domaine qui connait des variations, des changements, ce qui pourrait donc aboutir à une surprise générale.
Assiste-t-on à une explosion des partis politiques ?
Un peu d’histoire politique : l’idée qu’il puisse exister des formations politiques qui soient des coquilles vides est très ancienne. S’il faudrait remonter avec précision dans l’histoire, la première fois qu’un parti s’est constitué à partir de rien, tout simplement pour aider un politique, remonte à Pompidou avec le Centre démocratie et progrès. Ils étaient des démocrates chrétiens qui refusaient de partir avec Jean Lecanuet pour l’élection de 1965, ils ont été approchés par Georges Pompidou et ont créé de toutes pièces ce parti. Un autre parti plus médiatique créé de cette manière : le Front National. On l’oublie trop souvent mais le Front National est une coquille vide. Au départ, c’est simplement une étiquette qui réunit quelques nationaux ensembles pour les législatives, portée par Ordre Nouveau. Ordre Nouveau est dissout, ce qui fait que ses adhérents se dispersent. Jean-Marie Le Pen en fait alors un parti avec 2-3 personnes. Lorsqu’il se lance dans la politique, Brice Lalonde, qui a été ministre, créé Génération Écologique, il me dit alors : « mon modèle c’est le Front National ». Ce n’est pas dans l’idéologie mais bien dans la structure, le faitque le mouvement soit dévolu à son leader. Emmanuel Macron n’a donc rien inventé avec l’acronyme de ses initiales « En Marche ».
Peut-être alors une accélération de l’explosion des partis…
Je pense que les partis politiques sont inhérents à la démocratie. Il n’existe pas de démocratie sans partis politiques. Quelle que soit la forme du parti, il a existé une sorte de surprise au lendemain des présidentielles où l’on a pensé à l’explosion du système de partis et un chamboulement total de la manière de faire de la politique, mais on constate qu’ils sont toujours là pour les élections locales notamment. Le problème, c’est qu’à force de croire à cette fin, le parti de la majorité présidentielle ne s’est jamais constitué ainsi. La nature politique a horreur du vide et on se trouve désormais avec une sorte de parti présidentiel dépourvu de démocratie interne, qui n’a pas vraiment de militants mais plutôt des trolls. Il est intéressant de constater que la seule création politique de la macronie soit celle de trolls sur les réseaux sociaux.
Il y a beaucoup de débats autour de la candidature d’ÉricZemmour à droite, notamment de nombreuses questions des médias en destination d’Éric Ciotti, peut-on dire que les médias participent à l’émergence d’un candidat surprise ?
De toute manière, les médias aiment les candidats surprises dans la mesure où ils font vendre et surprennent le lecteur avant même l’électeur. Ils cherchent en permanence ce type de profil. Cela fait des mois que l’on sort du chapeau des profils susceptibles d’incarner cette candidature. Je fais toujours la distinction entre les médias, qui cherchent ces éléments, et la majorité des éditorialistes qui sont pour la plupart bloqués dans ce scénario Marine Le Pen/Emmanuel Macron. Une rupture existe entre ces deux visions. Beaucoup de journalistes, plutôt sur le terrain que sur les plateaux, lorsqu’ils analysent réellement les sondages, les envies des Français, constatent que les Français rejettent ce match inéluctable. De même que 5 ans auparavant, ils refusaient ce match Hollande-Sarkozy, y préférant Fillon-Le Pen puis Macron-Le Pen. Pour les médias, il est important que le client soit bon, c’est le cas d’Éric Zemmour, mais c’est aussi le cas d’un Michel Onfray s’il en avait l’ambition.
Quel électorat pour ce candidat surprise ?
Ce candidat surprise ne peut venir que de la droite. Afin de préciser, c’est une droite partant du centre-droit jusqu’à une droite plus radicale. Majoritairement, la France est de droite. Un livre est sorti le 16 septembre, La fracture de Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, qui est une grande étude de la tranche 18-30 ans. Une telle étude avait déjà été menée lors de la décennie précédente. On constate que cette partie de la population est très sensible à un discours de droite, teinté d’un engagement et d’une obsession pour l’environnement mais quireste un discours valorisant la famille et l’autorité. Un tiers des personnes interrogées considèrent qu’il est préférable qu’un militaire puisse arriver au pouvoir. Par rapport aux générations précédentes, c’est une véritable rupture. Ce spectre politique est très important et c’est l’électorat de ce candidat surprise. Maintenant, en termes de sociologie électorale, cela va de la petite bourgeoisie déclassée à une forme de bourgeoisie plus aisée, peu parisienne mais on la rencontre partout. C’est un vivier électoral, on peut même dire un boulevard politique.
Ce candidat surprise doit-il nourrir son idéologie d’un rejet de la mondialisation ? On l’a vu pendant la crise sanitaire ou les gilets jaunes.
Cette critique est difficile à faire pour ce candidat car pour beaucoup de personnes, la faillite de l’Etat est souvent liée au déclin de la Nation. Donc, ces personnes sont critiques envers la mondialisation mais pour en réclamer une forme de régulation. Je crains que le discours qui consiste à dire qu’il faut revenir à une souveraineté en opposition à la mondialisation ne rencontre des difficultés à passer. Il est indéniable que des pans entiers nécessitent une forme desouveraineté : le domaine migratoire par exemple. C’est difficile de dire que la mondialisation a des effets terribles et qu’il faut revenir à un souverainisme exacerbé. L’Europe a failli – qui sera le grand absent du débat -, elle a été incapable de répondre aux enjeux sanitaires, aux politiques, sociales, climatiques, militaires et diplomatiques ; les citoyens veulent une forme de protection. Il y a un double mouvement : uneaffirmation de notre souveraineté nationale mais en parallèle d’une régulation de la mondialisation. Je prends un exemple concret : quand une entreprise française se trouve mise en danger par l’extraterritorialité du droit américain, ce n’est pas notre souveraineté qui nous sauvera, en particulier pour des entreprises françaises qui ont des sièges en Angleterre, en Belgique ou en Italie. On ne pourra lutter contre ce fléau qu’en portant la contradiction au niveau mondial.
L’émergence d’un tel candidat n’est-elle pas aussi l’expression d’un mal plus profond, d’une crise de la citoyenneté ?
Si on s’interroge autant sur l’émergence d’un candidat surprise c’est parce qu’il existe un appétit démocratique qui s’explique par une forme de déclin de la citoyenneté. Actuellement, le citoyen pense qu’il n’est plus le bienvenu autour du grand banquet démocratique ; que les décisions se font de toute manière sans son accord. Les personnes pour lesquelles il pourrait voter sont impuissantes en raison de l’Europe, des institutions financières, des lobbys, des ONG ou des sondages ; une forme d’impuissance politique qui par ricochet provoque cette crise de la citoyenneté. A partir de ce constat, il est logique que le citoyen s’interroge sur un candidat surprisequi secoue cet immobilisme dans lequel nos démocraties se morfondent. Autrefois, au cours des deux dernières décennies, il y avait non-pas des candidats surprises mais des partis surprises. A chaque élection européenne, on voyait régulièrement surgir une formation politique : CPNT, Bernard Tapie, Pasqua-Villiers ou les écolos. En voyant que ce message envoyé à l’Europe ne trouvait aucun écho, il est normal qu’il se soit déporté en direction de l’élection mère. Depuis l’élection de Macron, c’est exactement ce qui arrive. Emmanuel Macron n’est absolument pas une réponse à cette crise de la citoyenneté, c’est un symptôme.
On parle beaucoup d’un candidat militaire dans votre ouvrage, Pierre de Villiers aurait-il pu incarner ce candidat ?
Il n’y a pas eu de candidature de Villiers mais ce qu’est vrai c’est que le monde militaire est en ébullition. Cela va dans l’étude que j’ai abordée, La fracture, sur les jeunes de 18-30 ans dont un tiers seraient favorables à la venue d’un militaire à la tête du pays. Si on la reporte aux enquêtes qui existent depuis 1981, c’est un vrai décrochage. Il y a une soif d’autorité dans notre pays accompagnée par un désir d’intégrité.