Kevin Luciano est maire de Vallauris Golfe-Juan, premier vice-président de la Casa. Il est avocat, maître de conférences des faculté de droit à l’université de Nice Sophia-Antipolis, docteur en droit des affaires et droit international de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il est marié et père de deux garçons âgés respectivement de trois ans et onze mois
Aux élections municipales vous avez fait le choix de ne pas être investis, quelles sont les raisons de ne pas porter d’étiquette politique ?
A mon sens, il y a deux types d’élections, le scrutin municipal et tous les autres. Le premier est une élection de proximité, dans laquelle l’étiquette politique n’a pas ou très peu de sens ; les seconds sont bien davantage.
Au niveau local ce qui est fondamental, c’est de créer un double lien personnel et programmatique. Un projet qui, finalement, échappe en grande partie aux contingences de la politique politicienne. Ainsi la plantation d’arbres ou la construction d’une médiathèque, la promotion du patrimoine communal n’est ni de droite, ni de gauche. Je pense qu’être non investi et rencontrer les électeurs était la démarche la plus honnête et la plus transparente, d’autant plus que je n’étais pas encarté au sein d’un quelconque parti. Dans ces conditions, je n’aurais pas trouvé légitime et rationnel d’aller solliciter une investiture.
Au terme de cette échéance électorale, nous constatons une abstention de plus en plus croissante. D’après vous, notre démocratie est-elle en danger ?
La question du danger qui guetterait la démocratie relève d’une problématique complexe. L’abstention peut représenter un vrai problème, mais est-ce un épiphénomène conjoncturel ou, au contraire, un phénomène qui a vocation à s’inscrire durablement dans le paysage politique ? Lors de ces élections municipales, la démocratie n’a, à mon sens, pas été mise en danger. En revanche, ce qui représente un véritable trouble, c’est le constat d’un moindre sens de l’intérêt général, qui va bien au-delà des élections et se répercute sur la vie quotidienne même. Jusqu’à présent les scrutins présidentiels et municipaux ont bien résisté à l’érosion du sens civique. S’il s’avérait que cela ne devait plus être le cas, il faudrait à l’évidence s’en préoccuper.
Pour votre premier mandat, quelles ont été les premières difficultés auxquelles vous avez dû faire face ?
Il y en a beaucoup. Evidemment vient, d’abord, à l’esprit la crise de la Covid-19. Etant entendu qu’il y a la dimension sanitaire et, surtout, la crise économique inhérente aux mesures étatiques prises pour y pallier. Comme toutes les villes de France, nous avons beaucoup de petits commerces en difficulté, je pense aux bars et restaurants, mais aussi à nos artistes, aux céramistes, à toutes les activités qui sont en lien avec le tourisme et/ou sont induites par les professions que je viens de citer. Ensuite, j’hérite d’une commune dans une situation calamiteuse : urbanisme non maîtrisé, finances dégradées, services désorganisés, lien social détérioré, etc, etc. Le bilan de Madame Salucki, mon prédécesseur, a été dramatique pour Vallauris Golfe-Juan, dont le déclin au cours de ces six dernières années a été fulgurant et draconien. Enfin, nous éprouvons naturellement les difficultés affectant l’ensemble des collectivités de France, avec un gouvernement qui n’assume plus ses missions fondamentales, ce qui contraint les communes à y pallier ; aussi, il n’y a guère de concertation avec les élus locaux, davantage d’objurgations. A cela s’ajoute un temps administratif incompressible, avec des contraintes fortes qui résultent de procédures rendant l’action publique longue à mettre en place et parfois difficile à piloter.
Sur quels fondements basez-vous votre action politique locale ?
Hormis l’écoute, la disponibilité et le travail qui sont naturels, mon action repose sur trois éléments fondamentaux : la proximité, le pragmatisme et la Justice. Au niveau local, l’idéologie apparaît devoir s’effacer devant la nécessité de rassembler et de proposer les solutions les plus appropriées pour obvier aux entraves. Ce qui me semble important, c’est de privilégier l’efficacité sans jamais occulter la Justice. Les deux doivent aller de pair.
Durant cette crise sanitaire, selon vous quelles sont les causes du ralentissement et des grandes problématiques que l’on a pu observer ?
Les causes du ralentissement sont multiples. D’abord, nous avons une épidémie que l’on n’attendait pas, laquelle a conduit à prendre des mesures qui peuvent paraître très radicales. Au niveau local, nous subissons ces mesures décidées au niveau national sans discussion, même si nous sommes convaincus qu’il est indispensable de protéger la santé de la population. Je suis particulièrement préoccupé par les conséquences économiques et sociales qui vont survenir. Elles commencent déjà à se faire sentir dans certains secteurs d’activité, mais je crains qu’à l’horizon du printemps, nous ayons de gros soucis avec des faillites. Ma plus grande préoccupation se porte sur les petits commerçants, artisans et professionnels qui ne peuvent plus payer leurs charges et continuer leur activité. Nous vivons dans une région où le tissu économique repose en grande partie sur le tourisme. Or, la fermeture des restaurants, par exemple, induit un ralentissement d’autres activités liées au commerce local, je pense aux pêcheurs, aux maraîchers, aux fleuristes, aux bouchers etc…. Nous risquons des chutes en cascade. Pour le moment, l’Etat a accepté de réaliser des échelonnements de charge, de verser des aides financières. Cependant, à un moment il faudra les payer et je crains que cela soit très difficile.
La France ne paye-t-elle pas également sa désindustrialisation à travers cette crise ?
Hélas, notre pays souffre depuis de nombreuses années d’une dramatique désindustrialisation. Nous l’avons vu par la réponse médicale et technique à la crise, lorsque l’on doit faire appel, entre autres, à la Chine pour l’approvisionnement en médicaments. C’est non seulement alarmant pour notre tissu économique, mais également pour notre sécurité elle-même. Nous pourrions multiplier les exemples. A poursuivre cette lente descente aux enfers, notre pays va au devant d’immenses troubles tant au plan économique que social.
Face à cette crise sanitaire, ne faudrait-il pas revoir notre politique en matière de fiscalité nationale / locale pour permettre aux entreprises de se relancer ?
Au-delà même de la crise, la France souffre d’un indéniable problème de fiscalité ; celle-ci est de longue date trop élevée et très injuste, notamment pour les classes moyennes et les entreprises non-internationalisées qui ne profitent pas des échappatoires fiscales dont bénéficient les grands groupes. A cet égard, notre système repose sur une logique qui peut apparaître confiscatoire pour les unes et excessivement laxistes vis-à-vis des autres. Aussi, l’impôt –lorsqu’il est excessif- dévalorise le travail, nuit à la compétitivité et freine la création de richesses. Précision utile, dans mon propos il y a lieu d’entendre le terme de « fiscalité » dans une acception large englobant l’impôt bien sûr, mais aussi les cotisations sociales et autres charges qui sont extrêmement pénalisantes.
Vous l’avez compris, la fiscalité n’est pas une question uniquement liée à la crise ; elle constitue une problématique qui depuis trop longtemps pénalise notre pays. Attention, je ne suis pas partisan d’un Etat faible et sans moyens, bien au contraire. Je crois aux services publics de qualité : des forces de l’ordre efficaces et bien équipées, une armée forte qui permette à la France d’être respectée dans l’ordre international, des hôpitaux de pointe, des établissements d’enseignement supérieur fer de lance d’une recherche publique de premier plan… L’impôt s’avère indispensable pour financer les dépenses publiques. Néanmoins, il doit être plus modéré et moins pénalisant pour le travail, tout en appréhendant beaucoup mieux les entreprises et opérations transnationales. Je pense par exemple aux GAFA et aux transactions financières, avec lesquels il faut aller beaucoup plus loin en termes d’imposition, pour baisser corrélativement la fiscalité sur les entreprises qui produisent et emploient du personnel en France tout en rendant du pouvoir d’achat aux Français.
Quel jugement portez-vous sur la politique actuelle ?
Sur la politique locale, je porte un jugement indulgent. On remarque que l’Etat se désengage de beaucoup de ses missions. Et ces missions, parce que les élus locaux sont en première ligne, les collectivités les assument. Missions juridiquement transférées ou non, nous avons l’obligation morale de les assumer. Nous sommes donc contraints de faire plus avec moins de moyens, ce qui s’avère naturellement très délicat. Sur la politique nationale de manière globale, sans accabler qui que ce soit, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’injustice, d’inefficacité et d’incohérence. Enfin, sur le système politique lui-même, force est de déplorer un manque de courage et un formatage de la pensée.
Quelle est votre vision sur la droite de demain ?
Le concept de droite se révèle complexe. A cet égard, sans doute serait-il plus correct de parler des droites. Depuis la révolution, le clivage droite /gauche a considérablement évolué. Il existe un brouillage des frontières de telle sorte qu’il peut sembler difficile de s’y retrouver. On serait d’ailleurs surpris des réponses si l’on interrogeait nos concitoyens sur les notions de droite et de gauche. Pendant la campagne, on me l’a d’ailleurs reproché. Parce que j’attache une grande importance à l’autorité, à la nécessité de sanctionner les comportements déviants et que je n’ai pas honte de défendre des valeurs fondamentales comme la Patrie, le mérite, la justice, la liberté d’entreprendre, le travail ou encore l’amour de notre histoire, mes adversaires ont cherché à me qualifier d’extrême droite. Il n’en est rien !
Cela me conduit plus précisément à votre question ; j’ai la conviction que, en dépit de sa grande diversité, la droite repose sur un corpus idéologique commun à ses différents courants. Je considère qu’elle n’existera demain que si elle est capable de proposer une alternative à l’idéologie du « progressisme » mondialiste qui consiste à abattre toutes les limites et attaches, qu’elles soient territoriales, naturelles, historiques…. Comme l’a magistralement théorisé Gramsci, l’hégémonie culturelle détermine la domination politique. Or, la droite ne saurait avoir d’avenir véritable que si elle est capable de réinventer et d’imposer son paradigme idéologique. En d’autres termes, elle ne peut espérer concurrencer le Président Macron ni ses successeurs en proposant peu ou prou la même vision et les mêmes solutions, lesquelles s’articulent autour de la dissolution de l’identité et d’un modernisme exalté. Au contraire, la droite doit puiser les forces de la reconquête dans son ADN historique, en s’appuyant sur la souveraineté nationale, l’enracinement – « besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine » pour paraphraser la philosophe Simone Weil – ou encore l’ordre et la sécurité. Elle doit sans honte exalter la Terre et les morts, valoriser notre Histoire et nos traditions, en cessant de baisser la tête devant ceux qui honnissent notre pays. Il est illusoire de vouloir se projeter si l’on n’a pas en partage un héritage. Renan l’a superbement démontré en soulignant que « la nation est une âme, un principe spirituel », qui se compose de deux dimensions, dont l’une est dans le passé, l’autre dans le présent ; l’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est la volonté de continuer à faire valoir cet héritage. Je pense, entre autres sujets, à la défense de notre langue. En outre, la droite s’inscrit indéniablement dans la modernité. Elle doit proposer des solutions novatrices pour faire revivre ses valeurs, en particulier le travail et la Justice. A n’en pas douter, une réforme de l’impôt et du financement de la protection sociale apparaît nécessaire pour restaurer la compétitivité des entreprises tout en augmentant le pouvoir d’achat des salariés et des retraités. De même, la protection de l’environnement – jusqu’alors préemptée par la gauche de la gauche – constitue un impératif qui correspond, de mon point de vue, à l’esprit de la droite et doit s’inscrire dans ses propositions.
Il y aurait tant d’autres choses à dire. Dommage que le format de cette interview ne le permette pas. Mais je suis à votre disposition pour en discuter avec plaisir !
Propos recueillis par André Missonnier
Très intéressant et bien détaillé !!!!!
M. Luciano a beaucoup de temps libre pour exposer ses convictions philosophico-politiques Il se prend très au sérieux,,. Mais il ferait bien, s’il veut qu’il lui reste une petite chance de gagner l’élection départementale, de critiquer un peu moins les uns et les autres…Et puis, un peu moins de présence sur les divers réseaux, un peu moins de photos, et un peu plus de travail à la mairie feraient moins jaser…