Bonjour madame Garnier, vous avez interpellé Eric Dupont-Moretti – recadré de manière légitime par monsieur Larcher – sur la question des violences conjugales liées à l’affaire Chahinez de Mérignac, la chaine pénale a montré ses limites sur cette affaire ?
La chaîne pénale a été défaillante mais surtout la politique gouvernementale. L’affaire Chahinez montre que malheureusement tous les dispositifs étaient votés, inscrits dans la loi – le bracelet anti-rapprochement pour les conjoins violents, les téléphones graves-dangers pour les femmes victimes de violences conjugales – mais aucun de ces dispositifs n’étaient appliqués. C’est bien beau de voter, à grand renfort de communication, des textes de loi que tout le monde rejoint – lutter contre les violences conjugales tout le monde est d’accord bien-sûr – cependant quand on s’aperçoit derrière qu’en termes d’application ça ne suit pas du tout, là il y a un problème à dénoncer. M. Dupont-Moretti – avec sa délicatesse qu’on lui connait – m’a répondu en substance « ce n’est pas notre faute, la distribution des bracelets dépend de la justice et non de nous ». L’exécution des lois c’est aussi à l’exécutif d’en rendre compte. J’ai travaillé dans l’industrie automobile, votre mission est de fabriquer une voiture qui roule, ce n’est pas vous qui fabriquez les pneus, ni les roues, mais n’empêche qu’à la fin quand la voiture sort de l’usine elle doit rouler. Si ce n’est pas le cas, vous ne dîtes pas au client que ce n’est pas votre faute car vous ne fabriquez pas les roues… C’est la même chose dans ces affaires-là. On dénonce cette politique de communication car derrière rien ne suit. C’était déjà le cas durant la crise sanitaire avec les masques et les tests. Au-delà de cette affaire dramatique, on touche un vrai sujet sur le fait que notre Gouvernement est plus porté vers la communication que vers le service au Français.
Au sein des établissements scolaires, de plus en plus de jeunes filles deviennent la cible de harcèlement – c’est la triste affaire Alisha mais aussi Marjorie qui a défendu sa petite sœur victime de harcèlement – faut-il encore accentuer notre politique en direction de ces jeunes ?
La lutte contre ce qu’on peut appeler des « violences sexistes » est fondamentale. La sensibilisation des jeunes dans les établissements scolaires est nécessaire. Au-delà de cette sensibilisation, il faudra s’intéresser aux causes de ces difficultés que l’on rencontre. C’est moins politiquement correct c’est sûr. Une grande cause de ce harcèlement est l’image de la femme, de la jeune fille, qui est véhiculée notamment par la pornographie. Tant que l’on ne se donnera pas les moyens de lutter contre cette représentation de la Femme, donc contre les causes de cette « femme objet » que fabrique la pornographie, alors on n’arrivera pas à agir de manière efficace sur les causes. Bien-sûr, il faut maintenir notre action en direction des symptômes dont les harcèlementsfont partie mais aussi réfléchir en amont aux causes de ce problème.
Sur l’affaire Marjorie, les témoignages de ses amies indiquent que les jeunes filles ont de plus en plus peur de se défendre et de sortir, la nouvelle génération est-elle ultra violente ? Un phénomène qui touche de plus en plus les jeunes filles…
Des violences dans les sociétés il y en a toujours eu. Il est intéressant d’aller vers le fond de ce sujet. Durant des décennies, les violences dans la société ont eu tendance à régresser. Aujourd’hui, sans qu’elles atteignent le niveau des siècles derniers, on constate que les courbes sont entrain de s’inverser. La société redevient violente. Il y a une question liée à la médiatisation de ces événements : les chaînes d’informations en continu y participent en relayant les faits divers. Le délitement de la société participe à cette montée de la violence et le désagrègement du vivre ensemble. Là encore, ce sont des symptômes mais il faut une nouvelle fois s’attaquer aux causes. On peut, par exemple, évoquer la politique familiale. Nous n’avons rien fait pour éviter la désagrégation de la cellule familiale. Plusieurs études d’analystes et sociologues, de tout bord politique, ont montré que lorsque la cellule familiale se désagrège, ça complique notre façon de vivre ensemble car certes la cellule familiale n’est jamais parfaite mais c’est l’endroit où l’enfant apprend l’autorité. La question de l’autorité est également essentielle. Si l’on veut vivre paisiblement ensemble nous devons adopter des règles communes. Pourquoi accepte-t-on ces règles communes ? Jean-Jacques Rousseau y répond parfaitement :c’est parce qu’on estime qu’en se soumettant collectivement aux règles communes, on en tirera plus de bénéfices que d’inconvénients. Quand on conduit on accepte la contrainte de s’arrêter au feu rouge car nous savons que le bénéfice est de ne pas se faire rentrer dedans par autrui. L’ensemble de ces règles est essentiel pour le vivre-ensemble. Aujourd’hui, on les perçoit parfois comme des contraintes par notre individualisme mais c’est ce qui nous permet de faire communion. L’Etat doit le réaffirmer : la règle, la loi, l’autorité, sont indispensables pour vivre ensemble. Il faut donc faire appliquer nos lois avec autorité et fermeté. Ces mots ne sont pas à la mode et pourtant ils sont essentiels. En Loire-Atlantique, nous avons les fameuses Zones à défendre (ZAD) – que je préfère appeler les ZOND (Zone de non-droits)- qui fleurissent. Je me suis toujours battue pour le démantèlement de ces zones. On ne peut pas défendre l’occupation illégale de notre territoire et je regrette que beaucoup d’élus, de gauche et d’extrême gauche, les défendent. Si on veut vivre ensemble ça passera par de la fermeté et de l’autorité.
C’est déjà un peu le cas, l’exemple de Théoule-sur-Mer est frappant…
Quand ce n’est pas chez soi c’est cool mais quand ça arrive pour soi, là on crie au scandale. Je suis désolé, mais les règles doivent s’appliquer. La dernière fois, je voyais dans les médias qu’à Cléron quelqu’un s’était construit dans une forêt un habitat précaire – entre la cabane et la maisonnette – que les services de l’Etat ont voulu évacuer. De nombreux collectifs ont pris fait et cause pour la personne en réclamant le « droit à l’habitat léger ». Désormais, ça voudrait dire que n’importe qui peut venir et planter sa tante sur votre bout de jardin ? On marche sur la tête.
La question du voile est très prégnante dans ces quartiers. Il isole les jeunes femmes à la fois dans leurs difficultés à s’intégrer socialement et professionnellement, et lorsqu’elles l’enlèvent elles subissent des pressions sociales de leur entourage, comment les aider ?
C’est une question difficile. Il est évident qu’il existe des pressions. De ce point de vue-là, la loi française interdit le port de la Burka ce qui permet d’enlever une forme de pression. Il faut redire que la religion musulmane n’impose aucunement le port de ces vêtements qui masquent la femme au regard des autres. Dans la religion musulmane – telle qu’interprétée par certaines personnes – la femme est cachée du regard des hommes. Je crois qu’il faut réaffirmer que dans notre société française l’Homme est l’égal de la Femme. Nous n’avons pas à accepter des signes distinctifs qui manifestent l’infériorité de la Femme par rapport à l’Homme. Dans un certain nombre de pays musulmans de nombreuses femmes se battent pour enlever leur voile. Je crois que la première manière de les aider c’est en affirmant qu’en France, ce type de vêtement distinctif n’est ni souhaité, ni autorisé par la loi car les femmes et les hommes sont égaux. Il faut dézoomer et regarder les combats de ces femmes.
L’isolement des femmes est encore important, quelles sont vos propositions pour régler cette problématique persistante ?
Non-seulement il reste persistant mais je crains qu’il ne soit amené à augmenter durant les années à venir. L’isolement est peu évoqué et pourtant c’est un sujet qui sera essentiel. Deux éléments me font dire ça. Le premier c’est la pyramide des âges, les femmes vivent plus longtemps que les hommes et mécaniquement vieillissent seules plus que les hommes. Il y a une deuxième question qui se situe au niveau des familles monoparentales. Elles sont nombreuses aujourd’hui. Sur une ville comme Nantes, c’est 30 % des familles qui sont monoparentales et dans une immense majorité des cas ce sont les femmes qui ont la charge des enfants, avec des difficultés financières importantes. La précarisation économique et sociale est aussi liée à l’éclatement de la cellule familiale. Un autre exemple d’isolement : tout ce qui concerne les aidants familiaux qui sont souvent des femmes. Il faut distinguer la solitude et l’isolement. A Nantes, 52 % des ménages au sens INSEE du terme sont constitués d’une personne seule. Un logement sur 2 à Nantes est une personne seule. Les gens vivent de plus en plus seuls. Pour autant, dans ces gens, on retrouve des étudiants, des jeunes actifs, ils ont des relations sociales, sortent et ne sont donc pas isolés. A contrario, certaines personnes ne vivent pas seules et où, pour autant, elles vivent une forme d’isolement. Je pense aux femmes qui accompagnent leur conjoint malade, qui ne peuvent pas sortir finalement de chez elles. Il y a une forme d’isolement qui, dans les faits n’est pas une solitude dans le sens INSEE du terme. Au niveau des solutions, c’est très compliqué. Je pense qu’il faut établir déjà un diagnostic précis. Nous manquons de données chiffrées mettant en relief ces réalités. Au-delà de la solidarité nationale qui peut s’exercer, je crois aussi en une solidarité citoyenne. Des dispositifs étatiques existent mais il faut aussi des initiatives solidaires. Le cas de la lutte contre la précarité est intéressant. L’association Lazare, implantée dans différentes villes de France, fait un travail formidable. Cette association ce sont des jeunes actifs, bien insérés dans la société qui font le choix de donner des années de leur vie afin d’être colocataires de personnes sans domicile. Ça existe aussi pour les femmes. Nous aurions pu évoquer d’ailleurs ce sujet des femmes sans domicile qui souffrent énormément de cet isolement, elles se cachent car elles ont peur. L’Etat ne peut pas tout faire. Il doit aider, soutenir et accompagner mais rien ne peut remplacer les associations comme Lazare. C’est une affaire de fraternité et d’humanité.
Quels seront vos prochains combats au Sénat ?
J’aimerais investiguer un certain nombre de sujet. Comme nous parlions précédemment l’isolement des femmes me préoccupe particulièrement. La question de l’impact du numérique sur la vie quotidienne des plus jeunes. Ce sont des sujets trop souvent délaissés.
Propos recueillis par Paul Gallard