Bonjour Laurence Trochu, vous étiez présente au sommet de la Démographie qui s’est déroulé à Budapest. Quel était l’objectif de ce sommet ?
Le Sommet de la Démographie a lieu chaque année à Budapest depuis 2015. Je m’y suis rendu à l’invitation de la Présidente hongroise Katalin Novak. Je prépare la 3ème édition de la Journée des Conservateurs, qui aura lieu le 14 octobre à Asnières, et cela m’a conduit à rencontrer des parlementaires et des politiques hongrois, italiens, espagnols, britanniques que je fais intervenir à cette JDC. La Hongrie est donc un incontournable des Conservateurs ! https://mouvementconservateur.cividesk.com/sites/all/modules/civicrm/extern/url.php?u=3851&qid=1137045
Ce Sommet réunit des chefs d’Etat et de gouvernement, des représentants de partis politiques et des experts des sujets débattus. Le thème de cette année était « La famille est la clef de la sécurité ». Katalin Novak, qui a été secrétaire d’Etat à la famille, puis Ministre de la famille avant d’être Présidente de Hongrie, a un bilan époustouflant en matière de politique familiale. Exonération d’impôts pour les femmes de moins de 30 ans décidant d’avoir ou d’adopter un enfant, pour les mères de 4 enfants et plus, prêt à taux 0 de 33 000 euros pour une naissance dans les 5 ans, aide financière conséquente pour l’achat d’un véhicule 7 places dès 3 enfants …. Ces mesures s’inscrivent dans un programme dont on voit déjà les résultats sur la courbe de natalité. En 2010, la Hongrie comptait 1,25 enfant par femme ; en 2021, c’est 1,6 enfant par femme.
On comprend dès lors pourquoi Viktor Orban considère la Hongrie comme un incubateur pour les autres pays.
La démographie française est en déclin. Quelles sont pour vous les raisons de cette chute ?
Ce matin même, l’INSEE a publié les chiffres de la natalité et ce sont les pires depuis 1945 ! Au premier semestre 2023, 334.000 bébés sont nés sur notre territoire, 25.000 de moins qu’en 2022 sur la même période.
Cela fait exactement dix ans que le Mouvement Conservateur alerte sur les conséquences des choix qui ont été faits sous la présidence de Monsieur Hollande. Aujourd’hui, nous en voyons les dégâts considérables au point que le Haut-Commissaire au Plan, Monsieur Bayrou, a pu dire récemment « L’effondrement de la natalité que nous sommes en train de vivre […] est probablement la plus mauvaise nouvelle que notre peuple pouvait recevoir de lui-même ». Mais avant de préciser ces terribles conséquences sur notre pays, prenons le temps de regarder comment, méthodiquement, les progressistes ont détruit la politique familiale et, au final, la famille elle-même.
La mesure la plus emblématique du quinquennat Hollande a été le rabotage du quotient familial. Ce mécanisme unique en Europe, créé après la guerre pour relancer la natalité,permettait de limiter l’impôt sur le revenu en fonction du nombre d’enfants. En arrivant au pouvoir en 2012, la gauchen’a eu de cesse d’abaisser ce plafond, de 2 334 euros à 2 000, puis à 1 500 euros par demi-part. Plus de 1,3 million de familles ont été pénalisées pour un montant total de 1,5 milliard d’euros par an.
Le second moyen a été de réduire drastiquement les allocations familiales. Le gouvernement de François Hollande avait même envisagé de supprimer les allocations familiales pour les foyers les plus aisés, il les a finalement réduites drastiquement. Depuis 2015, elles ne dépassent pas 32,37 euros pour deux enfants pour les familles déclarant plus de 90 000 euros de revenus annuels, quatre fois moins qu’auparavant ! Au total, selon la CNAF, 455 000 familles ont vu leurs aides baisser. Avec cette mesure, le principe même de la politique familiale est mort : les aides aux familles sont devenues des aides sociales. Notons d’ailleurs que cette réduction a pénalisé en premier lieu les classes moyennes avec des effets de seuil qui les faisaient basculer dans la catégorie « trop riches pour être aidées » alors que la réalité de la vie quotidienne était tout autre.
Dans le même esprit, la Prestation Jeune Enfant (PAJE) a été réduite de moitié (184 euros à 92 euros) pour les foyers dépassant le plafond de 45 575 euros de revenus annuels. Concrètement, c’est 1100 euros de moins par enfant par an. Selon la CAF, ce sont près de 250 000 familles qui ont subi une diminution de leur aide, et 50 000 qui en ont perdu le bénéfice du fait du relèvement du plafond des ressources.
Les questions démographiques sont évidemment en lien avec la famille. Ce trouble démographique n’est-il pas révélateur d’un problème de la place de la famille en Europe ?
J’aime à reprendre la phrase que Viktor Orban a prononcée lors du Sommet de la Démographie : « La décision d’avoir des enfants est certes dans nos poches, mais elle est aussi dans nos têtes ! ». Et c’est cela que les progressistes ont bien compris. Souvenons-nous de l’obligation faite aux parents de se partager le temps du congé parental. Najat Vallaud-Belkacem, alors Ministre des Droits des Femmes, porte une très lourde responsabilité dans cette baisse de la natalité. Beaucoup de couples n’ont pas pu mettre en œuvre cette obligation ; les mères ont du reprendre le travail plus tôt et les couples ont vécu cette contrainte comme le signal d’une incompatibilité entre vie professionnelle et vie familiale.
Ce faisant, la situation en crèche s’est terriblement tendue. Elisabeth Borne a présenté au printemps dernier sa réforme de l’accueil du jeune enfant censée créer un pompeux « service public de la petite enfance ». En matière de « service », il n’y a pas grand-chose dans ces annonces. Comment la majorité pense-t-elle créer 200 000 places en sept ans alors qu’elle n’est pas arrivée à en créer 30 000 en cinq ans ? Tout provient du manque de vocations, qui peut s’expliquer par des rémunérations trop basses, mais aussi par une considération insuffisante à l’égard des métiers de la petite enfance, conséquence d’une politique anti-familiale menée depuis 50 ans.
Et en matière « publique », il faut avoir le sens de l’ironie. Car faute de capacité à multiplier les crèches, c’est désormais vers les assistantes maternelles que le gouvernement se tourne, après les avoir ignorées pendant des décennies. 120 000 d’entre elles sont sur le point de partir à la retraite et les vocations se tarissent. Pendant longtemps, seul le modèle de la crèche collective a été encouragé. Pourtant, le modèle de l’assistante maternelle est plus économique et offre une meilleure personnalisation de l’accueil des enfants. La CNAF devrait d’ailleurs porter à l’échelle nationale un grand plan de revalorisation de ce métier, pour inciter les jeunes françaises à l’envisager. Mais avec un plan d’un milliard par an, nous arriverons loin de la cible, prévient le Haut Conseil à la Famille. Or, alors que la branche Famille était excédentaire de plus de 3 milliards, le gouvernement a préféré puiser dans cet excédent pour s’efforcer, sans succès, de combler le trou de l’Assurance maladie.
Encore une fois, derrière ces mesures techniques se cache un profond mépris de la femme qui fait le choix de se consacrer au soin et à l’éducation de son enfant. Il faut le dire haut et fort : ce n’est rien d’autre qu’une violence faite aux femmes ! Tout cela signe en réalité l’arrêt de mort du rôle irremplaçable des mères de famille. Respecter et protéger les femmes, c’est pourtant reconnaître et valoriser ce qu’elles ont d’unique, le fait de porter la vie et d’avoir avec l’enfant un lien charnel qu’aucune idéologie ne peut abolir, n’en déplaise à Simone de Beauvoir avec sa négation de l’instinct maternel.
Tiraillées, les femmes du 21e siècle sont déchirées entre maternité et vie professionnelle. Annoncer une grossesse à son patron génère du stress et même de la honte ! Jongler entre la vie familiale et la vie professionnelle instille le sentiment de devoir être partout et de n’être bien nulle part. « Quand reprends-tu le travail ? » n’est plus une question mais une injonction d’ordre moral.
Pourtant, l’Unicef reconnaît les 1000 premiers jours de l’enfant comme « une période d’importance critique dans le développement humain et la construction du capital santé de chacun ». En France, où règne le « en même temps » gouvernemental, ce sont les mêmes qui annoncent que « miser sur les 1000 premiers jours, c’est miser sur l’avenir » et qui ont réduit la liberté des parents d’organiser le congé parental à leur rythme. Il fallait comprendre : dès les 1000 premiers jours, c’est dans la crèche de collectivité que, bon gré, mal gré, doit s’épanouir votre enfant. « Les enfants n’appartiennent pas à leurs parents », affirmait Laurence Rossignol en 2013 sur France 2, avant de devenir ministre de la Famille. Mais les places de crèches, nous ne les avons pas. Et selon un rapport de l’IGAS du 11 avril 2023, en raison d’un taux d’encadrement insuffisant dans les crèches, se multiplient les maltraitances.
Nos sociétés ne sont-elles pas organisées d’une manière qui ne laisse pas la place aux individus de penser à fonder une famille ?
C’est exactement ce que disait à la tribune du Sommet de la Démographie le Président bulgare Roumen Radev ! Nous poussons nos enfants à faire de bonnes études, à avoir une bonne situation professionnelle, nous sommes préoccupés par leur réussite socio-économique. Mais que faisons-nous pour les inciter à fonder une famille ? Je suis une maman de 6 enfants ; les plus grands ont 24, 22 et 20 ans donc cette interpellation du Président bulgare m’a particulièrement touchée, car si nous voulons une société solide, il nous faut transmettre à nos propres enfants la joie de fonder une famille.
La transition démographique est bien évidemment un enjeu politique, car il en va de la survie de notre modèle social. Nous pourrions faire toutes les réformes possibles des retraites, tant que le renouvellement des générations n’est pas assuré, aucune solution ne sera efficace. Comme disait le fondateur de l’INED, le démographe regretté Alfred Sauvy, « nous ne préparons pas notre retraite par nos cotisations, mais par nos enfants ». Mais il se joue quelque chose de plus profond. Une nation qui n’a plus d’enfants se meurt, au sens propre et au sens figuré. C’est le signe d’un déclin, d’une désespérance, d’un fatalisme. C’est tout simplement la survie de la Nation dont il s’agit : sans enfant, il n’y a pas d’avenir possible, alors même que d’un point de vue simplement économique, le prix Nobel d’économie, l’américain James Heckman rappelait à Budapest que l’éducation est un investissement efficace.
Dans le contexte actuel où domine la peur de la fin du mois et de la fin du monde, donner la vie est un défi. Mais Viktor Orban affirmait qu’on ne devait pas oublier que c’était aussi une joie. On nous impose des débats sur l’idéologie du genre, sur les manières de « faire famille » en décomposant et recomposant les liens, en gommant la différence des sexes. Christiane Taubira avait promis « un changement de civilisation » avec la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Elle a de fait enfoncé le dernier clou sur le cercueil de la famille en achevant la destruction des repères familiaux.
Il y a bien sûr, et je ne les oublie pas, des couples qui souffrent et des belles histoires qui se terminent mal. Cette douloureuse réalité ne doit pas pour autant nous empêcher de dire, études à l’appui, que les enfants issus d’une famille traditionnelle sont confrontés à moins de difficultés. Une étude INSEE de 2021 mettait ainsi en lumière une plus grande pauvreté dans les familles monoparentales, plus de difficultés scolaires et de problèmes de santé mentale. Hervé Mariton, ancien député et maire de Crest, tire de cette étude une conclusion tout à fait pertinente « Il ne s’agit évidemment pas de stigmatiser les familles monoparentales ; leur situation justifie une attention particulière. Mais faut-il en encourager la fréquence ? Ainsi, avoir ouvert la PMA aux femmes seules est une lourde responsabilité (…) Autant qu’aider les familles monoparentales à affronter une situation difficile, ne faut-il pas aussi encourager la «famille traditionnelle». C’est l’enjeu de la politique familiale, c’est aussi l’enjeu de la conjugalité. » (Figaro du 8/8/23)
Est-ce que l’immigration est une solution à nos problèmes démographiques ?
C’est le choix d’Emmanuel Macron à travers le projet de loi immigration à venir ! Le hasard a fait qu’en même temps que le Sommet de la Démographie, nous assistions impuissants à l’arrivée de 11 000 migrants sur la petite île de Lampedusa. J’étais donc à Budapest au moment où Marion Maréchal se rendait à Lampedusa soutenir le gouvernement de GiorgiaMeloni abandonné par l’Union Européenne. L’immigration et la démographie sont les 2 faces d’un même problème : ceux qui ont choisi et favorisé le déclin démographique sont les mêmes qui choisissent d’y répondre par la solution de l’immigration.
Lors des élections européennes de 2024, c’est cette question qui sera posée aux Français : êtes-vous de ceux qui choisissent le déclin et se résignent à une immigration incontrôlée qui vient bouleverser notre identité, nos manières de vivre et notre sécurité ? Ou bien faîtes-vous le choix de faire vivre l’âme de la France, parce qu’être français, c’est une culture, des valeurs, des traditions que nous aimons et que nous voulons transmettre à nos enfants ? Voulez-vous investir dans d’autres pays pour relever le défi démographique ou voulez-vous investir dans votre propre pays ?
Comment permettre une évolution de la démographie sur notre continent ?
Les quelques jours passés en Hongrie sont porteurs d’espoir, car ce pays a démontré qu’une politique familiale efficace était une question de volonté politique. Je vous livre en conclusion les 12 points de la Présidente Katalin Novak que je transpose afin de dessiner une vraie politique familiale pour les Français.
1. Nous devons avoir la liberté d’élever nos enfants, sans idéologies néfastes.
2. Nous ne pouvons pas permettre que nos enfants soient privés de leur sentiment de sécurité fondé sur leur sentiment d’identité. (Elle faisait clairement référence aux théories confuses sur le genre enseignées aux enfants dans certains pays occidentaux.)
3. Nous devons avoir au pouvoir des décideurs favorables à la famille.
4. La France ne doit pas donner son consentement à des décisions anti-famille sur des questions internationales.
5. Sécurité pour nos familles : nos jardins d’enfants, nos écoles, nos villages, nos villes, notre pays et nos frontières doivent rester sûrs.
6. Des opportunités adéquates pour ceux qui ont des enfants : nous ne devons pas laisser ceux qui choisissent d’avoir des enfants se retrouver dans une situation pire que ceux qui ne le font pas ; il ne faut pas laisser quelqu’un qui a un enfant risquer d’être entraîné dans la pauvreté.
7. Nous ne devons pas laisser les finances nous empêcher d’avoir des enfants.
8. Nous devons avoir du respect pour les personnes âgées.
9. Nous devons offrir une véritable liberté de choix aux femmes, nous devons leur éviter d’avoir à choisir entre fonder une famille ou faire carrière.
10. Nous devons aider les jeunes à trouver un logement pour eux-mêmes.
11. Nous devons avoir un système d’enseignement public, d’enseignement professionnel, d’enseignement supérieur et de santé public compétitif.
12. Nous devons prêter attention aux familles françaises qui vivent au-delà de nos frontières.
Propos recueillis par Théo Dutrieu