Pensez-vous que notre système électoral est trop bureaucratique ? Si oui, que faudrait-il faire pour le débureaucratiser ?
La difficulté du sujet concernant le droit électoral est qu’il s’agit de tenir compte d’impératifs contraires. Parmi ceux-ci, il y a l’égalité de traitement entre les candidats, la sincérité du suffrage et le droit à la protection des candidats. Nécessairement, cela implique des formes et des procédures assez précises. En conséquence, mécaniquement, la débureaucratisation va vite toucher des limites. De plus, les matrices du droit électoral impliquent un droit formaliste et ce droit formaliste empêche la débureaucratisation.
En revanche, la question pourrait plutôt être celle de l’adaptation. Contrairement aux pays anglo-saxons, pour toutes les élections en vigueur en France, le régime n’est pas le même : d’abord, selon l’élection, le mode de scrutin est différent ; mais aussi autant de règles applicables concernant les dépôts de candidature, les recours contentieux, les inéligibilités ou autres incompatibilités. Sans doute, un élément pourrait être l’adaptation et la simplification du Code électoral par des règles communes et plus homogènes.
Au regard de la situation de Valérie Pécresse après le premier tour à l’élection présidentielle et de son endettement personnel qui s’élève à 5 millions d’euros, faudrait-il repenser notre droit électoral pour éviter les endettements personnels ?
Il est absolument anormal que faire de la politique coûte de l’argent et produise aussi un endettement personnel. Le sujet n’est pas de savoir si Valérie Pécresse a de l’argent ou pas. Faire de la politique, c’est servir l’intérêt collectif, ça demande de l’énergie, du temps ; ça ne doit pas en plus coûter de l’argent, de ce point de vue là, il est anormal qu’elle soit endettée.
Il faut revenir aux origines de la règle des 5 % qui est une règle édictée en 1979 qui répond à une logique de protection des deniers publics et donc de faire en sorte de limiter les candidatures. Cette règle de limitation des candidatures découle de la règle des 500 signatures. Le nombre de candidats, aujourd’hui, est raisonnable. Les candidats qui auraient obtenu ces signatures pourraient être remboursés de leurs frais de campagne sans soucis. La solution serait sûrement celle de la banque de la démocratie comme l’a proposé François Bayrou. Ce qui éviterait également de voir des candidats contraints d’aller s’endetter auprès d’une banque étrangère parce qu’aucune banque française ne veut pas leur prêter, ce qui n’est pas normal. Ce serait une banque d’État qui avance de l’argent aux candidats dès l’instant où il y a un filtre aux candidatures.
Quelles sont les grandes problématiques actuelles de notre système électoral ? Quelles seraient les solutions pour y remédier ?
Il est vrai que notre système électoral a été longtemps défaillant sur la question du financement puisque la première législation sur le financement des campagnes électorales et partis politiques ne date que de 1988 et n’a pris sa pleine mesure qu’au milieu des années 1990. Depuis, à chaque scandale, on durcit ce droit de la vie politique en créant un certain nombre de contraintes, dont des contraintes financières. À rebours de l’opinion dominante, je pense qu’on a atteint un pic de rigueur. Il ne faut pas décourager les personnes de faire de la politique et l’on doit donc lâcher du lest sur les contraintes liées à la transparence et à la déontologie. Cela peut certes heurter nombres de personnes pensent que l’on fait de la politique pour s’enrichir. Cependant, au vu des indemnités par rapport aux responsabilités, on peut dire que les personnes qui font de la politique ne sont pas là pour s’enrichir. Ils gagneraient sûrement plus d’argent en exerçant dans le privé. Pour ce qui me concerne, il faut alléger la législation sur le financement des campagnes et des partis politiques.
Il y a des nouvelles techniques de vote qui viennent d’autres pays. Que pensez-vous des votes électroniques et par correspondance ? Est-il juridiquement possible d’avoir recours à ce type de procédé ?
Le vote électronique peut être effectué le jour du scrutin et dans un bureau de vote. Le Conseil constitutionnel a autorisé le principe de machines à voter dès 1969. En revanche, pour le vote électronique à distance, la question est de savoir si un tel mécanisme satisfait au principe de sincérité du scrutin. En l’état des technologies, ce n’est pas certain et il n’y a pas de garanties qu’il n’y ait pas de hackeurs qui soient en mesure d’entrer dans les logiciels. On le voit aux États-Unis, le système n’est pas satisfaisant, il y a des contestations fortes, donc ça n’incite pas à le prendre comme exemple. Ce n’est pas certain que le Conseil constitutionnel accepte cette pratique par rapport au principe de sincérité du scrutin.
Pour le vote par correspondance, c’est autre chose encore. Ça peut consister à envoyer un bulletin de vote à une adresse. Mais, là encore, est-ce qu’il y a toutes les garanties pour éviter la tricherie ?
Néanmoins, il y a une difficulté nouvelle aujourd’hui qui est celle de trouver des assesseurs et des personnes pour tenir les bureaux de vote. L’avantage est qu’une machine électronique a besoin de moins de personnes, ce qui est un avantage non-négligeable.
Pensez-vous que le principe de transparence sur les déclarations de patrimoine auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique est obsolète ?
La transparence oui, mais avec des limites. Ces limites, c’est le fait que les déclarations de patrimoine soient publiées, car c’est s’offrir au voyeurisme des citoyens. Le contrôle par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique doit être effectué, mais que cela soit suivi par une forme de populisme, je ne suis pas certain que c’est nécessaire.
Concernant le financement des campagnes, êtes-vous pour une libéralisation ou pour un encadrement accru ? Que faudrait-il faire dans ce cas ?
Ça rejoint la question de l’adaptation. Un exemple de l’incohérence de notre droit, c’est la question de l’interdiction d’affecter des moyens publics à une campagne, sur le principe, c’est tout à fait logique, mais en pratique, c’est difficile de l’appliquer : je n’ai jamais vu un directeur de cabinet d’une collectivité territoriale dire à son patron qu’il ne s’occuperait pas de sa campagne électorale. C’est un exemple qui me pousse à aller vers un assouplissement : inclure le traitement du directeur de cabinet dans le compte de campagne.
Autre exemple avec la dernière campagne présidentielle où des ministres ont pu utiliser leurs réseaux sociaux habituels.
Le droit électoral est censé reposer sur le Code électoral. Or, notre code électoral pose problème parce qu’il est vieux (1956). Ce code n’intègre pas l’élection présidentielle, ni les élections européennes. Il n’intègre pas les lois de 1988 sur le financement de la vie politique. On voit bien qu’il est inadapté. Aussi, il ne définit pas la dépense électorale qui est une définition centrale. Il faudrait donc repenser le Code électoral qui est complètement obsolète.
Est-ce que vous pensez que les règles relatives aux campagnes électorales privent les citoyens du débat démocratique ?
Sur le plan juridique, il est clair que l’égalité qui s’applique quinze jours avant le scrutin est une règle qui me paraît obsolète parce que les rédactions s’appliquent à faire du chronomètre et plus à faire du fond. L’équité doit s’appliquer tout au long de la campagne.
Plus politiquement, on ne peut pas obliger un candidat à débattre s’il ne veut pas débattre. Emmanuel Macron n’avait aucun intérêt politique à descendre dans la mêlée en tant que président sortant, mais aussi au regard du contexte international. Je ne vois pas comment il pourrait y avoir un processus de contrainte obligeant à ce qu’il y ait des débats. La liberté de faire campagne est un principe du droit électoral.
Propos recueillis par Alexandre Saradjian et Théo Dutrieu