(Entretien) Stella Kamnga, « Le modèle français est en danger »
(Entretien) Stella Kamnga, « Le modèle français est en danger »

(Entretien) Stella Kamnga, « Le modèle français est en danger »

Crédit Photo : Valeurs Actuelles

Pourquoi avoir pris la parole récemment contre Assa Traoré dans la presse ?

J’estime qu’aussi honorable que puisse être le fait qu’Assa Traoré défende son frère, faire passer cette mort pour un crime raciste est indécent. Elle fait un effet d’homme de paille en voulant faire le buzz. C’est une tentative de plagiat du traitement médiatique de l’affaire George Floyd aux Etats-Unis, et elle cherche à expliquer que les deux faits sont identiques ; je ne suis pas d’accord. Quand on regarde le passé d’Adama Traoré, on constate qu’il a laissé des victimes sur son passage et il faut défendre ces victimes aussi. Elle a tout à fait le droit de vouloir lever le voile autour de la mort de son frère mais ses accusations de racisme supposé ou de violences, ça n’est pas le combat légitime. Son discours est incohérent et truffé de mensonges.

Concernant toutes ces idées venant des Etats-Unis, doit-on craindre leur arrivée en France ?

On doit les craindre. Malheureusement, la France est impactée depuis des années par la culture américaine et, pas seulement par la culture Woke. Cette culture a imprégné notre société à tous les niveaux. Si l’on demande à n’importe quel jeune Français qui est son chanteur préféré ou sa marque préférée, ce sera toujours américain. Cette culture nous impacte de la pire des manières. On accepte un côté laxiste, un côté nauséabond de la culture américaine. Nous n’avons pas besoin de cela en France. Les deux structures de société sont radicalement différentes. Par exemple, en France il n’existe aucune ségrégation raciale, les communautés sont censées vivre ensemble. Ces idées ont amené à une communautarisation de la France, en particulier depuis que les flux de populations se sont accentués. La culture américaine est différente par cet aspect, puisque les populations ont toujours vécu en communautés avec des quartiers exclusivement composés de personnes noires, asiatiques, hispaniques ou blanches.

La France est-elle divisée avec toutes ces idées ? Le modèle français est-il en danger ?

Le modèle français est en danger dans la mesure où nous n’avons pas réussi à assimiler et intégrer les populations immigrées. Le communautarisme ne fait que prendre de l’ampleur. C’est parce que nous n’avons pas su expliquer aux personnes arrivées nouvellement en France qu’il fallait qu’elles s’intègrent, qu’elles agissent en citoyens et qu’elles respectent leur pays d’accueil, que ces personnes ne souhaitent pas s’intégrer. Ils considèrent que s’assimiler c’est effacer leur identité.

Sur la liberté d’expression, les mouvements dont nous parlions s’indignent du manque de liberté d’expression en France, quel est votre avis ?

C’est totalement lunaire qu’Assa Traoré se plaigne du manque de liberté d’expression dans la mesure où elle se permet de prendre la parole, de mettre une cible dans le dos des policiers qui ont procédé à l’interpellation de son frère en publiant leur photo, en publiant leurs noms. Les personnes qui défendent sa cause sont susceptibles d’aller agresser en représailles ces policiers. Elle se place en symbole de la personne muselée alors qu’elle ne fait que s’exprimer. Elle se mêle à toutes les manifestations – dont la plupart qui n’ont aucun lien avec son combat – dans lesquelles elle prend la parole et s’exprime. C’est aussi une personne qui a une tribune importante dans les médias mais aussi paradoxalement celle qui se plaint le plus d’un manque de droit de parole. La réalité est qu’il existe une forme de censure quand on ne pense pas comme l’opinion majoritaire – de gauche. Par exemple, je suis considéré comme noire par cette gauche, assimilée, mais comme je ne me place pas dans une posture de victime du racisme et du système de notre pays alors on ne me donne pas la parole. Pire, je reçois très régulièrement des menaces de mort, de viols et de violences. Il y a un réel problème de liberté d’expression dans notre pays mais pas du camp que l’on pense…

Est-ce que vous pensez qu’actuellement nous sommes entrées dans une concurrence victimaire des idéologies de la division ?

En 2021, à gauche, on connait le rallye de qui est la plus victime. Qui souffre le plus en France. Que ce soient les opposants à un soi-disant racisme systémique, les néoféministes – qui veulent supprimer tous les hommes de la planète – en passant par la cause genrée, tout est sujet désormais à être minorité et victime. C’est comme le terme féminicide utilisée à tort et à travers, il veut dire qu’une femme est tuée en raison de son sexe, ça équivaut au terme d’infanticide. Désormais, dès qu’une femme est tuée par un homme violent, on emploie ce terme pour donner du poids à la cause néoféministe. A partir du moment où on est opposé à cette forme de féminisme, on est contre la cause de la femme, contre les noirs, les arabes, les orientations sexuelles… Tous ces militants ont basculé vers l’extrémisme et font passer leur cause pour une vérité absolue. Ce sont devenus de véritables gourous. Il n’y a pas de juste mesure avec ces gens, soit on est avec eux, soit contre eux. Du moment où vous vous opposez à eux, on doit vous faire taire. Ils veulent imposer leur manière de penser.

Que pensez-vous de l’avènement de ces idéologies sur la sphère politique – on peut penser au poids de la France Insoumise ?

Il n’y a pas de cohérence dans tous ces combats. Les vraies victimes ne sont pas entendues parce que ces idéologues ne les considèrent pas comme telles. Ces minorités passent la ligne politique uniquement car elles font du buzz. Elles n’ont pas de socle idéologique clair et profitent des événements de l’instant pour se faire connaitre. C’est exactement pour ces raisons que vous verrez des militants écologistes manifester en faveur de Black Lives Matter et vice-versa. Les deux combats n’ont aucun lien, mais c’est parce qu’ils ont entendu parler de ceux-ci dans la presse. Ils veulent de la visibilité. La France Insoumise utilise habilement cette stratégie. Du moment où un combat est médiatisé, elle vient se greffer comme un parasite pour en phagocyter la lumière. Le résultat : toutes ces minorités qui marchent ensemble main dans la main ne sont en réalité pas solidaires. Le problème israélo-palestinien l’a démontré à merveille. La communauté LGBT a manifesté son soutien aux palestiniens avec des drapeaux et affiches mais quand on regarde de plus près ce que les Palestiniens pensent des LGBT, il y a un fossé. C’est incohérent. Entre minorités ils font semblant de se soutenir.

Pour inverser la tendance, le mieux est-il de passer par une bataille politique ou plutôt d’agir sur la sphère des idées ?

Les deux. Il faudrait que les politiques arrêtent de se compromettre avec des combats de la sorte. A partir du moment où ils essaient de se greffer à ces manifestations alors qu’ils devraient défendre les vraies victimes, ils ne sont plus cohérents. Les politiques ne cherchent plus la sincérité mais la visibilité. Les élus sont sensés représenter le peuple dans son ensemble. Or, ils ne défendent que ceux qui sont visibles médiatiquement. La politique est devenue une affaire de communication. Les véritables problèmes des populations passent en secondaire ; que ce soient les élus de gauche comme de droite. C’est pour cela que les Français font de moins en moins confiance aux politiciens. Ils promettent beaucoup durant les campagnes électorales mais après, quand on fait le bilan, on est loin des promesses initiales.

En quoi vos actions sont importantes pour lutter contre ces idéologies ?

Je ne suis pas là pour être une donneuse de morales ou dicter la marche à suivre à quiconque. Je me suis fait connaitre indépendamment de ma volonté et je me suis dis que j’aimerais être une passerelle entre ces deux mondes. Expliquer aux noirs qu’on peut être français et s’assimiler correctement en France sans se renier, et de l’autre côté montrer aux blancs que l’on peut être noir et ni raciste, ni dénué de raison. Expliquer que les noirs ne sont pas tous des racailles, que ce sont des gens qui veulent s’intégrer. Ma démarche, je l’espère, pourrait éviter la montée de ce communautarisme qui nous divise. En outre, il y a des communautés qui s’opposent. Réconcilier les citoyens, c’est ça mon combat.

Propos recueillis par Paul Gallard

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