(Entretien) Xavier Driencourt, «La diplomatie est fondée sur la défense de nos intérêts propres et sur la réciprocité »
(Entretien) Xavier Driencourt, «La diplomatie est fondée sur la défense de nos intérêts propres et sur la réciprocité »

(Entretien) Xavier Driencourt, «La diplomatie est fondée sur la défense de nos intérêts propres et sur la réciprocité »

Récemment, on a assisté à une résurgence des tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie. Qu’est-ce qui explique cette relation bilatérale difficile ?

La relation franco-algérienne a toujours été compliquée, et ce, depuis 1962. Il y a toujours eu des hauts et des bas. Donc, cela n’est pas franchement une résurgence des tensions, c’est plutôt une quasi normalité. On s’aime, on se brouille, on se réconcilie…L’histoire, la guerre d’Algérie, les événements de l’année 1962, le fait également que le discours antifrançais est fondamentalement la source de la légitimité du pouvoir algérien, tout ceci explique la complexité et la difficulté de notre relation. 

Ces deux États ont un lourd passé qui les lie. Pensez-vous que le travail de la commission d’historiens, dont fait partie Benjamin Stora, sera un bon moyen d’apaiser les tensions ?

Le travail mené par Benjamin Stora est utile évidemment et cette commission devrait jouer un rôle important. Mais compte tenu des pesanteurs de part et d’autre, de ce que le Président de la république appelle l’instrumentalisation de l’histoire par l’Algérie, on mesure les probables difficultés. Les historiens examineront-ils l’ensemble des problèmes ? On saura très vite sur quoi les historiens buteront.

Éric Ciotti s’est déplacé à Rabat pour évoquer les liens historiques entre la France et le Maroc mais aussi pour promouvoir un partenariat entre les deux pays. Le Maroc est-il un partenaire plus fiable que l’Algérie dans la région du Maghreb ?

Je ne le crois pas. Nos relations avec le Maroc sont de nature différente de celles que nous entretenons avec l’Algérie, mais tout autant compliquées. C’est se faire des illusions que de vouloir jouer l’un contre l’autre. Il faut maintenir, comme cela a été le cas dans le passé, une forme d’équilibre entre les deux pays. C’est notre intérêt.

Dans le même temps, le Maroc a du mal à comprendre la volonté de la France de persister à nouer des relations avec l’Algérie. De quelle façon la France peut-elle réussir à nouer une relation stable à la fois avec Alger et avec Rabat ?

Nous devons parler à l’Algérie comme nous devons parler à Rabat. Ne pas le faire serait absurde. Parler avec les uns et les autres ne signifie pas pour autant faire plaisir à chacun de ces Etats. La diplomatie est fondée sur la défense de nos intérêts propres et sur la réciprocité. Le Maroc ne peut critiquer la France de traiter avec l’Algérie si la France estime y avoir intérêt.

Cela dit, il y a actuellement je pense, une sorte de « pari algérien »  fait par la France, en ce sens que depuis un à deux ans, nous avons fait le choix de privilégier la relation avec l’Algérie et de miser sur le Président Tebboune. Comme le disait là encore le Président Macron, « le problème est que Tebboune est pris par le système politico-militaire algérien ». Cette formule résume bien la difficulté de l’exercice. Et c’est notre chef de l’Etat qui le dit !

Ce pari sera-t-il gagnant ? J’en doute, pour les raisons évoquées précédemment et parce qu’ également, les Algériens nous connaissent bien mieux que nous ne les connaissons. Ils savent anticiper nos réactions et disposent de multiples leviers vis-à-vis de la France.

Un équilibre entre les deux pays, Maroc et Algérie, est nécessaire mais est également difficile tant les sujets de discussion, visas, immigration, Sahara occidental pour le Maroc, mémoire pour l’Algérie sont sources de frictions. 

En début d’année, le Président de la République a dit vouloir entamer un changement de “logiciel” avec les États africains. Est-il possible pour la France de renouer les liens avec ces États sur un continent où la présence chinoise s’accentue chaque jour ?

Ce sera difficile, non seulement parce que la présence chinoise est importante, mais aussi parce que la vision par ces États et par ces peuples de la présence française en Afrique est aujourd’hui différente de ce qu’elle était il y a 20 ans. La relecture de l’histoire, le procès fait à la colonisation, mais aussi la perte d’influence de la France, largement due à ses difficultés internes, économiques notamment, y sont pour beaucoup. 

Le ministre de l’Intérieur a provoqué une crise diplomatique avec l’Italie sur la question migratoire. Avait-il raison d’accuser l’Italie ?

On peut imaginer qu’il s’agit d’une manœuvre de diversion pour éviter de s’appesantir sur la question des Comores et de l’opération menée à Mayotte. N’oublions pas que l’Italie se trouve en première ligne en Europe et utilise tous les moyens dont elle dispose, y compris probablement en laissant passer les réfugiés africains ou autres vers la France… Le fait est que le cadre juridique international, les Conventions de Schengen et de Dublin, qui étaient, en leur temps, adaptées, ne le sont plus forcément aujourd’hui. Comment agir aujourd’hui efficacement dans un tel cadre international fait pour un problème qui était alors accessoire tandis qu’il est aujourd’hui devenu essentiel ? Chaque Etat défend ses intérêts nationaux, et pour certains, c’est plus difficile que pour d’autres ! Donc, ne jetons pas la pierre sur l’Italie.

Les relations avec l’Italie sont ambiguës depuis de nombreux mois malgré la signature d’un traité d’amitié et des gouvernements différents. Qu’est-ce qui explique ces divergences récurrentes entre Paris et Rome ?

Les relations bilatérales avec l’Italie n’ont jamais été très simples, même avant la signature de ce traité d’amitié. L’Italie a mal vécu notre partenariat avec l’Allemagne, a mal admis que la France semble parfois, sinon la prendre de haut, du moins ne pas la considérer comme un des « grands » de l’Europe alors qu’elle est un membre fondateur. Regardez comme elle fit des pieds et des mains il y a quarante ans pour appartenir au G7 tandis que la France voulait l’en écarter, ne la considérant pas comme un « grand » pays. Rien n’est facile entre l’Italie et nous, mais là encore, notre intérêt à chacun est de se respecter et d’avoir un dialogue apaisé.

Propos recueillis par Théo Dutrieu.

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