(Entretien) Xavier Driencourt, « Une des forces de la diplomatie française est, je crois, sa capacité d’initiative »
(Entretien) Xavier Driencourt, « Une des forces de la diplomatie française est, je crois, sa capacité d’initiative »

(Entretien) Xavier Driencourt, « Une des forces de la diplomatie française est, je crois, sa capacité d’initiative »

Xavier Driencourt était haut fonctionnaire, il fut à deux reprises Ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020 ainsi qu’Ambassadeur de France en Malaisie.

Bonjour monsieur Driencourt, quel doit être le rôle d’un ambassadeur ?

Evidemment le rôle d’un ambassadeur aujourd’hui au début du 21ème siècle n’est plus celui joué par les frères Cambon à Londres et Berlin à la veille de la première guerre mondiale ni même celui d’André François-Poncet en 1939 à Berlin. Il n’a plus le monopole de l’information, sauf de quelques informations très confidentielles et évidemment non publiques.

Le rôle de l’ambassadeur est aujourd’hui multiple : de mon expérience d’ambassadeur en Malaisie puis en Algérie, je dirais qu’il doit analyser, décrypter, comprendre, faciliter, anticiper. Il ne s’agit pas de transmettre de l’information brute, les agences de presse, les réseaux sociaux aujourd’hui sont là. Il faut en revanche pouvoir analyser cette information, la déchiffrer, la mettre en perspective, comprendre le processus de décision, le comportement et les motivations des acteurs. Il faut, à partir de là, anticiper : quel sera la séquence suivante ? Que devra faire la France ? Que devrons nous dire ? L’ambassadeur est aussi un passeur : il doit faciliter les contacts, mettre les gens en relation grâce à son réseau de contacts pour, le moment venu, en cas de crise, activer ces contacts utiles. Et ces contacts, ce ne sont bien sûr pas uniquement les contacts formels ou officiels dans les administrations, ce sont aussi et surtout des journalistes, des influenceurs, des universitaires, des hommes d’affaire, des gens qui représentent l’opinion publique etc… qui, le moment venu, en cas de crise ou de difficulté, peuvent être utiles. Qui appeler en cas de crise ? Quelles sont les personnes qui en urgence, pourront débloquer telle situation ?

Je prends un exemple tiré de ma propre expérience :  au début du Hirak, en Algérie, j’ai reçu un appel téléphonique du Président de la République qui voulait connaître mon avis sur ce mouvement populaire et la position que devait prendre la France. Il est clair que dans ces circonstances, un ambassadeur ne peut pas dire la même chose que ce que tel ou tel journal écrit. Le Chef de l’Etat attend autre chose de son ambassadeur. Il me revenait d’expliquer au Chef de l’Etat la situation politique, d’analyser les forces et les faiblesses du mouvement populaire, de donner aussi mon avis personnel, d’anticiper les évolutions possibles et enfin, de recommander telle ou telle initiative. C’est là où l’on voit véritablement le rôle et le pouvoir (discret certes) d’un diplomate.

La diplomatie française est réputée à travers le monde, quels en sont ses leviers ? Sur quels points peut-on encore l’améliorer ?

Une des forces de la diplomatie française est je crois, sa capacité d’initiative. Nous avons des idées, des convictions et nous sommes capables en quelques heures de déposer un projet de résolution à l’ONU, de déposer un texte au conseil de l’UE, de mobiliser notre réseau diplomatique, de faire porter une initiative par les Chefs d’Etat. C’est une très grande forcé qui remonte je pense à l’implication personnelle du Chef de l’Etat dans la diplomatie depuis le début de la Vème République… et même avant.

Vous étiez plus particulièrement ambassadeur en Algérie, quelles sont les relations qui unissent nos deux pays ?

Je serais intarissable sur l’Algérie qui mériterait un texte à elle-seule. J’y ai passé presque huit ans, à deux reprises, une première fois entre 2008 et 2012, une seconde fois de 2017 à 2020. Donc, deux périodes bien différentes, la première avec un Président algérien, Bouteflika, tout puissant, la seconde dans une période très troublée qui a vu justement la chute de Bouteflika.

Si je peux résumer ce qui illustre notre relation avec l’Algérie, je dirais que trois choses la caractérisent :

Premièrement, il y a près de 10% de la population française qui a un lien avec l’Algérie, entre les pieds-noirs, les harkis et leurs descendants, encore très présents politiquement, les Français d’origine algérienne, les binationaux, les Algériens vivant en France, les Français qui ont combattu ou simplement travaillé en Algérie, les pieds-rouges, une population donc très diverse, sociologiquement, politiquement, mais qui représente près de 7 M de personnes. C’est énorme. Avec aucun autre pays, la France n’a ce lien humain, historique et presque charnel.

Deuxièmement, l’Algérie, de ce fait, c’est autant de la diplomatie que de la politique intérieure française : tout ce que dit un politique français sur l’Algérie, l’immigration, l’islam ou la laïcité, tout ce que dit bien sûr un ambassadeur à Alger est scruté, pesé, décortiqué en Algérie, mais aussi en France par une multitude d’acteurs. Ces 7 M. de personnes dont je parlais, ce sont aussi des électeurs !

Enfin, troisième caractéristique de notre relation, l’importance de la mémoire. C’est le seul pays où l’ambassadeur doit non seulement préparer l’avenir mais aussi gérer le passé et l’histoire. Et dans ce domaine également, chacun de ses gestes, de ses propos, de ses silences est aussi interprété.

De ce fait, les relations entre les deux pays sont très particulières, uniques en leur genre et très fragiles également.

L’instabilité du régime algérien est-il un danger pour la politique française ?

Comme l’Algérie, je disais, c’est de la politique intérieure française, tout ce qui concerne ce pays a des répercussions en France. Nous n’avons aucun intérêt, compte tenu de cette proximité, (Marseille est à 800 kms d’Alger) à avoir de l’autre côté de la Méditerranée un pays instable, une société malheureuse, un peuple divisé. Les Algériens eux-mêmes le disent, y compris les autorités de ce pays : tout ce qui se passe en Algérie a des conséquences en France. Si l’Algérie va mal, la France ira mal. Compte tenu de la population qui, sur le sol français, a un lien avec l’Algérie, c’est clair. Songez que chaque Algérien a un frère, un cousin, un oncle etc… en France.  Il suffit enfin de regarder la carte de l’Algérie qui est entourée de pays en crise ou en difficulté : la Libye, les pays du Sahel pour voir la fragilité de cet environnement stratégique.

Récemment le Président Emmanuel Macron s’est excusé selon-lui, des « crimes contre l’humanité » de la France lors des événements d’Algérie, a-t-il bien fait ? Quelle doit être la position de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies ?

Je disais que la mémoire est un des sujets clef dans la relation bilatérale. Je corrige ou nuance votre propos : le Président Macron ne s’est pas excusé, c’est bien d’ailleurs ce que les Algériens lui reprochent. Il est allé plus loin dans les gestes concrets que ne l’avaient fait ses trois prédécesseurs, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, mais il s’inscrit évidemment dans cette continuité. Le discours de Constantine du Président Sarkozy en décembre 2007 était déjà allé extrêmement loin dans sa condamnation du fait colonial et cela n’a pas été relevé à l’époque. Le Président Macron a une approche de « petits pas », gestes nombreux et forts symboliquement : la réhabilitation de Maurice Audin, d’Ali Boumendjel, la restitution des crânes réclamés par l’Algérie, tout cela est très fort et concret. Il s’est fixé une limite en ce sens qu’il n’y a pas d’excuses ou de repentance vis-à-vis de la colonisation ; il y a une condamnation de faits répréhensibles. Nous ne pouvons accepter l’instrumentalisation de cette histoire

Cela dit, 2022 sera l’année du soixantième anniversaire des Accords d’Evian et de l’indépendance de l’Algérie mais aussi une année électorale en France. Compte tenu de ce que je disais sur l’importance de la population qui, en France a un lien avec l’Algérie, le chemin sera semé d’embûches pour ce qui concerne la mémoire.

La France – depuis l’Europe – a conclu des accords financiers avec les pays tampons que sont la Libye, l’Algérie et la Turquie concernant l’immigration, quels sont les résultats de cette politique ? Sommes-nous désormais dépendants de ces pays ?

A ma connaissance, il n’y a pas d’accord financier avec l’Algérie. L’UE (et non la France) a un accord avec les autorités libyennes et turques pour qu’elles contiennent les vagues migratoires, mais rien avec Alger. On voit bien que tous ces accords sont fragiles, regardez ce qui se passe avec le Maroc qui ouvre sa frontière au gré de ses relations avec l’Espagne.  Nous jouons en France vis-à-vis de la Grande Bretagne le rôle que joue la Turquie vis-à-vis de l’UE : les Accords du Touquet font de la France le garde barrière de l’émigration vers la GB, comme la Turquie le fait vis-à-vis de l’Europe.  Ces accords ne peuvent être que des expédients provisoires dans un contexte totalement inédit et de ce fait nous dépendons de la bonne volonté de ces pays : encore une fois, regardez ce que fait le Maroc. Après ces solutions provisoires avec la Turquie ou la Libye et le Maroc, il est clair que face aux probables prochains bouleversements géostratégiques (je pense notamment à l’Afghanistan, à l’Ethiopie notamment mais aussi à d’autres pays) il faut imaginer et mettre en œuvre des solutions plus fortes et durables, tant européennes que nationales : c’est affaire de volonté politique.

De quelle manière doit se matérialiser la politique française en matière de francophonie ? Doit-on user de notre soft power culturel – à la manière américaine – totalement abandonné sous François Hollande et Emmanuel Macron ?

Oui, nous avons une carte formidable avec la francophonie et nous pourrions utiliser davantage cette carte. Nous le faisons un peu avec les étudiants étrangers en France, mais nous pourrions être encore plus attractifs comme le font les universités australiennes, néo-zélandaises, britanniques etc. pour lesquelles les étudiants étrangers constituent un véritable marché.

Que pensez-vous d’un retour du ministère de la coopération ?

Pourquoi pas ? Il n’y a plus de ministère en charge de la Coopération depuis 1997. Mais depuis quelques années il n’y a même plus de ministre délégué à la Coopération auprès du Ministre des affaires étrangères et c’est bien cela le problème : l’AFD (Agence française de développement) qui, n’a pas de ministre délégué à la Coopération au-dessus d’elle, donc aucune autorité politique n’a, de ce fait, aucune tutelle politique et se comporte comme un ministère de la Coopération à part entière, mais sans en avoir la dimension politique ni la légitimité car elle n’est qu’une banque. C’est donc là que réside le problème : aujourd’hui l’AFD définit et met en œuvre la politique de coopération française sans que le pouvoir politique (ministre ou ministre délégué à la Coopération) intervienne. De mon point de vue, c’est inacceptable.

Propos recueillis par Paul Gallard

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