Il faut un certain courage pour renoncer à son origine et pour décider volontairement sa propre acculturation. Et ce courage ne peut résister aux pressions inévitables s’il n’est étayé par un grand désir. C’est ce que découvre le témoignage de Claire Koç, émouvant parce qu’il glorifie ce combat qui ne va pas sans blessure, sans rupture. Aujourd’hui, en France, c’est presque un exploit. L’Immigration aujourd’hui reste l’Immigration. Peu d’arrivants, s’intègrent et même après plusieurs générations beaucoup d’immigrés, ne se sentent pas Français.
Il n’en a pas toujours été ainsi. C’est ce que je voulais dire à Claire Koç, en la remerciant de sa convaincante sincérité.
Je suis née à un carrefour. Ma famille est issue de quatreorigines. Laquelle aurait eu autorité pour s’accrocher à moi, et me contraindre ? Mon père est suédo-italien et ma mère franco-catalane… Quel pays était ″mon″ pays ?
Aucun de mes ancêtres n’avait hésité à devenir Françaiset patriote. Et nous ne nous sommes jamais envisagés autrement que comme Français. Je n’ai jamais eu d’autre culture que française, et à part quelques recettes de cuisine, catalane ou italienne…
Pourquoi ?
Tout d’abord parce que ces gens avaient eu besoin de la France, et ils le savaient. Elle était leur salut. C’est à la Colonie qu’ils l’ont trouvée, et se sont donnés à elle, comme ouvriers, comme soldats, comme pères de famille. Le français a été la seule langue parlée, l’école, leur seul nourriture, et la France, leur seule patrie. On était assimilé, sans que jamais la question de l’assimilation ne soit posée. Elle était évidente,l’assimilation.
Dans l’Algérie de 1870, tous les arrivants de toutes les régions de France, ceux d’Espagne, du Portugal, d’Allemagne, de Pologne, de Russie, de Suisse, étaient des européens, et des judéo-chrétiens. Tous sont devenus des Français d’Algérie. Ils étaient juifs, catholiques, protestants, orthodoxes, ou ils n’étaient rien, nul ne s’en souciait ? Aucune religion n’était militante, aucune origine ne prédominait. Tous ceux qui étaient là avaient de bonnes raisons d’avoir quitté les paysages de leur enfance, ils gardaient des souvenirs mais n’avaient pas de regrets. Et lorsqu’ils ont dû fuir, en 1962, ils ont pleuré tout autant les biens qu’ils abandonnaient, que le fait que la France ne les reconnaissait plus.
Ils ont pleuré parce qu’oubliant qu’ils étaient Français par amour, elle les a ensevelis sous le vilain vocable de ″Pieds Noirs″ qui n’avaient jamais eu de sens pour eux qui depuis trois ou quatre générations ne voulaient qu’être des Français à part entière, et le sont restés, malgré leur peine.
Claire a eu beaucoup plus de mérite que nous, et aujourd’hui, ce sont les ″Claire″ qui portent nos espoirs.
Louise Munk