Vous avez récemment été désignée par votre groupe parlementaire pour siéger au sein de la commission d’enquête sur TikTok, quels sont les dangers de ce réseau social ? Est-ce un enjeu de souveraineté ?
Près de 15 millions d’utilisateurs sont actifs chaque mois en France sur TikTok avec un temps moyen passé sur le réseau social de 95 minutes par utilisateur chaque jour. La législation chinoise oblige TikTok à coopérer avec les services de renseignements. Outre-Atlantique, TikTok est interdit sur les téléphones des fonctionnaires américains depuis le début de l’année. Il est évident que nous devrons tirer toutes les conclusions lorsque la commission d’enquête aura terminé les auditions qui sont sous serment.
D’ores et déjà, nous sommes inquiets de l’addiction chez les jeunes de ce réseau social. C’est une préoccupation pour beaucoup de sénateurs surtout si même la Chine limite le temps d’utilisation de TikTok à 40 minutes par jour chez les moins de 14 ans.
Nos investigations sont limitées à la France. Elles porteront notamment sur les accusations d’espionnage et de propagande régulièrement portées contre la plateforme : exploitation des données, transparence de son fonctionnement, et stratégie d’influence.
Ces réseaux sociaux doivent-ils être régulés ou alors, au contraire, rester dans la situation actuelle afin de préserver la liberté d’expression des utilisateurs ?
C’est une éternelle question et elle est fondamentale. Nous sommes évidemment attachés à la liberté, mais dans une certaine mesure. Il faut donc vérifier que les réseaux sociaux, et en particulier TikTok, ne vont pas trop loin. Nous avons à cœur de protéger tout d’abord la jeunesse et, ensuite, les données qui sont de l’ordre du privé. Il faut donc réguler dans une certaine mesure pour préserver cette liberté.
Le champ d’action du Sénat s’arrête aux frontières de la France. Les salariés et dirigeants de la branche française de l’entreprise peuvent donc se voir contraints de répondre à nos demandes.
Cette commission d’enquête pourrait aboutir à une proposition de loi sur l’encadrement des réseaux sociaux type TikTok.
La question de l’anonymat des réseaux sociaux revient fréquemment. Encore récemment, avec les créations d’ « armée numérique » qui sont utilisées pour faire des campagnes de décrédibilisation… Est-ce qu’il est possible d’envisager une régulation de l’anonymat tout en préservant la liberté d’expression ?
Ce sont des questions juridiques très importantes. Il y a aussi la transposition du droit européen parce que les États sont souverains, mais sur le domaine des réseaux sociaux, ils ne sont pas seuls à pouvoir décider. Ce sont donc des réflexions globales à avoir. Bien évidemment, il ne faut pas que les réseaux sociaux puissent faciliter les débordements dans le cas des harcèlements qui est un sujet qui me tient particulièrement à cœur et où l’on voit bien qu’il faut quand même réguler et protéger les jeunes publics par différentes façons : par les conditions d’utilisation, problématique d’accès, mais aussi par le renforcement des sanctions, mais aussi par un renforcement du contrôle parental.
Par ailleurs, quelque chose a été renforcé en ce sens à l’Assemblée nationale en corsant le contrôle parental avant 15 ans. Je tiens beaucoup à ce que les conditions d’utilisation soient rendus plus lisibles, notamment pour un jeune public et même pour les parents parce que très souvent, les réseaux jouent leur ambiguïté là-dessus. Par conséquent les jeunes adolescents – ou les jeunes enfants qui n’ont pas l’âge requis – ne connaissent pas les dangers qu’ils encourent parce qu’il n’y a pas de garde-fous.
Vous êtes membre du conseil d’administration de Radio-France. Le mariage entre deux chaines du calibre de M6 et TF1 a été abandonné en raison de l’opposition de la Haute Autorité de la Concurrence. Quel est votre point de vue sur les situations de monopole dans les médias ?
L’idée était de marier deux grands de la télévision privée gratuite en France pour créer un champion capable de résister à Netflix, Amazon et consorts. Avec plus de 70 % de parts de marché sur le marché publicitaire de la télévision linéaire, la nouvelle entité TF1 – M6 avait peu de chance de décrocher le feu vert de l’Autorité de la concurrence. Il faut faire attention à toutes ces situations de monopole et de concentration, nous sommes très attachés au pluralisme et à la liberté de l’information. Comme mes collègues, je suis très attentive à cela.
L’État doit-il rester actionnaire de certains groupes médiatiques tels que France Inter, Radio-France ou France TV ?
J’y suis favorable. A l’heure de la concentration des médias en France, la présence de l’Etat comme actionnaire permet de garantir le pluralisme. L’Etat permet la diffusion de contenus diversifiés et moins populaires qui ne seraient pas présents sur une antenne privée. Il faut garantir une certaine diversité des points vue et accorder une place à la réflexion. Ce qui doit primer c’est la mission consistant à informer, cultiver, distraire, en s’adressant à tous les publics et sans faire la course à l’audience. Une radio comme France Culture, par exemple, n’existerait pas si elle n’était pas portée par Radio France.
La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak a fustigé C8 et CNews, est-elle sortie de son rôle ?
En prenant parti, la Ministre est sortie de sa réserve et n’a pas respecté l’indépendance des médias. Elle est en dehors de son rôle. Je pense aussi que quand on est capable de faire ce genre de commentaire, il faut savoir de quoi on parle et montrer qu’on est compétente sur ces sujets.
Je vous donne un exemple : depuis trente ans, le paysage audiovisuel français ne cesse de se transformer. De nouveaux usages sont apparus, tendant à privilégier les vidéos en ligne sur les chaînes traditionnelles. Un projet de loi sur l’audiovisuel se fait toujours attendre. Avec mes collègues de la Commission culture et ceux de la Commission des finances, nous demandons au ministre de la culture d’avancer sur cette nouvelle loi qui préciserait, entre autres, son financement, surtout après la suppression de la redevance TV qui a été décidé à la hâte… Surtout qu’Emmanuel Macron, dès le début de son quinquennat, avait dit qu’il fallait réformer l’audiovisuel.
Nous avons fait plusieurs rapports au Sénat sur la gouvernance de l’audiovisuel public, sur le fait que ce serait bien de mutualiser. On attend encore de grandes annonces qui tiennent la route sur l’audiovisuel.
Quel est l’objectif de l’INA ? Est-ce un lien indispensable avec les anciennes générations ?
Bien sûr. L’INA assure la conservation des archives audiovisuelles et exploite ses collections en éditant et en produisant des contenus originaux qui sont très intéressants. Ces missions sont importantes pour garantir la sauvegarde pérenne, l’enrichissement et la modernisation des collections audiovisuelles nationales.
Vous étiez Vice-présidente de la mission sénatoriale sur le cyberharcèlement. Depuis les 35 propositions émises par cette mission, avez-vous constaté des évolutions ?
Oui, nous avons proposé 35 solutions concrètes dans le cadre de cette mission sénatoriale pour tenter de contrer et de mieux prévenir ce fléau qui concerne près de 20 % du public scolaire. Avec mes collègues, nous avons auditionné la communauté éducative, des représentants d’associations de prévention du harcèlement, la police, la justice, ou encore les responsables de réseaux sociaux.
Ce phénomène prend, hélas, de l’ampleur entrainant des catastrophes et des drames. L’idée était de faire en sorte que tous les acteurs prennent conscience de la gravité de la situation. Dans la foulée, une proposition de loi avait été rédigée par un député. Elle ne comportait pas le mot « cyberharcèlement ». Or, aujourd’hui, le harcèlement et le cyberharcèlement sont les faces d’une même pièce. Le cyberharcèlement augmente considérablement les phénomènes de harcèlement qui quitte la sphère de l’école pour entrer dans la sphère privée ce qui est extrêmement préjudiciable. Au Sénat, nous avons fait évoluer le texte de cette proposition de loi en y intégrant le mot « cyberharcèlement » dans son titre et en y ajoutant des éléments concrets.
On va avoir, au Sénat, un débat là-dessus mi-avril. Je suivrai avec une très grande attention ces questions. Le phénomène n’a pas été enrayé et aurait même tendance à s’accroître même si des choses ont été tentées.
Sur cette problématique, il y a tout un travail à mener sur les acteurs du monde éducatif ? Le Gouvernement a-t-il pris en compte vos revendications ?
Oui, absolument, il y a évidemment un travail à mener sur l’éducation, la pédagogie à l’école.
Les annonces gouvernementales ne sont pas encore totalement à l’échelle, il y a encore beaucoup de choses qui sont tentées – Monsieur Blanquer en avait fait une priorité de son ministère – mais on a l’impression que ce sont des usines à gaz… Il faudrait un vrai plan national anti-harcèlement.
J’ai été défendre mon rapport d’information sénatorial « prévenir la délinquance des mineurs et éviter la récidive » auprès des conseillers du Ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse. Ils sont très intéressés par notre travail.
Il faut que toute la communauté éducative sur laquelle pèse beaucoup de choses puisse avoir les outils, puisse être formée régulièrement pour traiter de ces phénomènes et mener un travail de prévention. Il y a trop de cas qui échappent encore…
Propos recueillis par Théo Dutrieu.