Droite de demain lance la semaine « Femmes de droite » avec comme objectif de mener une réflexion sur les enjeux de la féminisation de la société. Vous considérez-vous comme « féministe » ?
Tout dépend de ce qu’on entend par « féministe ». Si « féministe » signifie : penser qu’une mère de famille doit pouvoir accomplir sa vocation professionnelle et dès lors partager avec son mari le soin aux enfants et l’organisation familiale, alors je suis féministe. Si être « féministe » signifie : penser qu’il n’y a que des fonctions et pas de rôles, que tout doit être également partagé, que les hommes pourront bientôt être enceints etc, alors je ne suis pas féministe.
Cette forme de féminisme – qui est souvent qualifiée de néoféminisme – est-elle dangereuse pour notre société ? Y a-t-il un risque de « guerre des sexes » ?
Bien sûr, il y a aujourd’hui un féminisme radical, porté par l’aigreur et le désir de vengeance historique – un désir ridicule, car chaque époque a ses coutumes et il est aberrant de vouloir se venger sur les hommes d’aujourd’hui du comportement de leurs ancêtres, qui avaient d’autres mentalités et d’autres définitions du juste. Ce féminisme radical hait les hommes et cherche à s’en passer de toutes les façons possibles. Cela encourage l’homosexualité féminine, par exemple. Par ailleurs, les hommes sont affolés de voir que la supériorité imméritée qui leur était conférée du fait même qu’ils étaient des hommes, a disparu. Avec les femmes ils ont perdu des servantes pour trouver à la place des concurrentes : rude découverte ! Il leur faut du temps pour reprendre leurs esprits et s’adapter à une situation qui leur demande de changer du tout au tout. Je crois que les femmes doivent être indulgentes devant ces difficultés rencontrées par les hommes, et être patientes, parce que des changements pareils ne peuvent se faire en un jour. Sinon, c’est évidemment la guerre des sexes, à laquelle nous assistons actuellement.
Ce modèle de société, issu de la pensée « woke », n’est-il pas dangereux tant il remet en cause les structures fondamentales des sociétés occidentales ? On en vient à remettre en cause les sexes biologiques…
Le courant woke hérite du marxisme et est en même temps une forme de néo-progressisme. C’est une forme de marxisme parce que pour lui l’existence humaine est fondée sur la domination et sur la lutte – mais au lieu de la lutte des classes nous avons ici la lutte des races ou des sexes. C’est du néo-progressisme radical au sens où les structures ontologiques elles-mêmes sont mises en cause, l’être humain est considéré comme le créateur de soi jusqu’aux racines. A ce stade c’est un déni de réalité : le changement de sexe, dont vous parlez, est un leurre – on bricole les apparences avec la chirurgie, mais la génétique est toujours là.
L’adversaire proclamé par ces néoféministes est le « patriarcat », qui y a-t-il derrière cette notion ?
Contrairement à ce que disent les traditionalistes, le patriarcat n’est pas simplement un récit inventé par les progressistes, l’invention d’un adversaire qui n’a jamais existé. Le patriarcat signifie le gouvernement masculin dans la famille et la société, gouvernement qui prive les femmes d’un grand nombre de possibilités dont elles seraient capables. Jusqu’à il y a peu, les femmes étaient considérées comme des enfants, immatures par nature : elles n’avaient pas droit aux études supérieures, ne pouvaient ni ouvrir un compte en banque ni signer un contrat de travail etc. Et elles étaient traitées en conséquence dans la vie de tous les jours. Cela existe encore dans les pays musulmans. Le patriarcat a toujours existé partout (contrairement à ce que prétendent certaines thèses sur les matriarcats anciens : les thèses de Bachofen sont considérées comme controuvées), il est simplement la conséquence de la force physique masculine biologiquement supérieur à celle féminine, et aussi de la faiblesse conférée à la femme par les grossesses et le soin aux enfants. Comme le dit Simone Weil « on est toujours barbare avec les faibles », c’est la loi de la vie. Pourtant, il me semble que
c’est un progrès de civilisation que de renoncer à cette maîtrise sur les faibles.
L’arrivée au pouvoir de ces idéologues notamment au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale doit-il nous interroger sur l’état de notre pays ?
Dés qu’une idéologie se développe, elle atteint toutes les couches élitaires, dont celle politique. Pendant les années 60 et 70, la grande majorité des élites françaises était
marxisante d’une manière ou d’une autre, y compris dans les rangs des politiques. Jusqu’aux huissiers de l’Assemblée Nationale qui, je m’en souviens, portaient le petit insigne « faucille et marteau » dans le revers de leur veste. Nous avons eu un ministre de la défense qui était appointé chaque mois par la Roumanie communiste (pour quels services ? se l’est-on même demandé ?…) Alors, naturellement, c’est le cas pour le courant woke, sauf que celui-ci n’est pas du tout aussi dangereux que l’ancien communisme. Je vous avoue que personnellement je ne pense pas que ce courant soit capable de se développer bien davantage. Il est trop cinglé. Il suffit de brandir la réalité pour le mettre en danger. Regardez ce qui se passe aujourd’hui avec la question des mineurs transitionneurs. Un simple pragmatisme suffit à faire reculer les idéologues, lesquels évidemment utilisent la violence (ce sont des idéologues !), mais le pragmatisme l’emporte. La clinique Tavistock va être fermée, les Suisses diffusent des enquêtes sur les jeunes détransitionneurs, idem en Suède, Danemark etc. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de voir avec le wokisme la fin du monde. Pourtant, il faut se battre avec force, et avec des arguments, parce que ces gens sont des fanatiques, donc dangereux – c’est Robespierre.
Peut-on évoluer en « femme de droite » dans la France de 2023 ?
J’avoue que je ne comprends pas la question. Femme ou homme, la question est de savoir ce qu’est « être de droite » aujourd’hui. Peut-être vais-je vous étonner : notre situation s’est bien améliorée. Il y a 40 ans, quand j’étais étudiante, être de droite était un lourd handicap, parce que tout ce qui pensait, ou presque, était marxisant. Mon vieux maître Julien Freund, pourtant couvert de gloire, ne trouvait pas d’éditeur… Les choses de ce côté ont considérablement changé. Nous sommes nombreux à être des intellectuels de droite, il y en a plein les universités, et jusqu’au sommet, plein l’Académie des Sciences morales et politiques ! Pourtant, tout en essayant de comprendre ce que vous voulez dire avec cette expression « femme de droite », j’ajouterai un mot. Une femme peut juste rencontrer des problèmes, si elle est « féministe » dans le premier sens que j’ai donné plus haut, avec la droite traditionnelle, qui n’accepte même pas ce premier sens du féminisme. Vous avez en France un milieu, étroit mais réel, qui n’accepte pas qu’une femme ait une carrière en même temps que des enfants. Car son rôle exclusif serait de s’occuper des enfants, et si elle veut faire une carrière, alors elle doit « rester fille » comme on disait il y a un siècle. Ce milieu comme je l’ai dit, est petit, mais quand on est à droite on a bien l’occasion de le rencontrer, et ma famille elle-même en compte un grand nombre. Ce sont des gens terriblement intolérants (« la tolérance, il y a des maisons pour çà ») et c’est bien cette intolérance qui les fait détester, et traiter d’extrémistes. Aussi, quand on est une femme « féministe » au premier sens, on se trouve mieux avec une droite modérée qu’avec une droite traditionaliste, auprès de laquelle on se sent constamment désapprouvée.
Propos recueillis par Théo Dutrieu