Agnès Thill est députée de la deuxième circonscription de l’Oise, elle fut institutrice mais également directrice d’écoles primaires et maternelles. Elle a travaillé en ZEP.
Qu’est-ce que vous pensez du concept d’école inclusive ? Est-ce réellement le cas aujourd’hui ?
Je pense que tout n’est pas possible, et il faut être conscient de la réalité d’une classe : elle est déjà inclusive par la différence des enfants. Un adulte face à une classe 25-30 élèves – comme il n’y a aucune classe homogène – doit déjà s’adapter à moulte différences. Quand il y a un enfant en situation de handicap, c’est très bien, simplement l’école n’est pas toujours adaptée à cette situation : parfois il n’y a pas son AVS (Auxiliaire de vie scolaire), ou elle est à mi-temps. En tant que directrice d’école, j’ai été confrontée plusieurs fois à ce type de difficultés. Quand une AVS est investie, travaille en coopération avec les différents acteurs du champ éducatif de l’enfant, ça se passe bien, mais c’est loin d’être toujours le cas … Un exemple, un enfant trisomique venant d’Algérie à 6 ans. Il était scolarisé avec les grandes sections de maternelle. Ce fut pour lui très compliqué dans sa classe, son AVS n’était jamais là et la classe était perturbée. Ça met beaucoup d’enseignants en difficulté, il faut le reconnaître. J’ai rencontré de nombreux psychologues à ce sujet qui me disent que c’est une situation délicate. Ces psychologues reçoivent de nombreux enseignants dans leur cabinet car ces instituteurs ne s’en sortent pas. Les enfants en situation de handicap ont des particularités qui demandent beaucoup d’attention. Sans professionnels présents, les enseignants n’ont pas la possibilité de leur accorder le temps nécessaire. L’école et la société doivent inclure tout le monde, c’est une bonne chose, mais force est de constater que dans la réalité, les moyens ne sont pas adéquats. Et pourtant, les enseignants sont admirables, ils font tout leur possible pour inclure au mieux ces enfants. Cependant, il ne faut pas oublier de donner de l’attention aux autres enfants de la classe qui peuvent également avoir quelques difficultés, mais aussi à ceux qui réussissent bien, car eux aussi il faut leur donner de l’attention. Ce n’est pas parce que ces enfants y arrivent qu’ils n’aient pas besoin d’être félicités. Actuellement, l’école inclusive n’est pas une réussite malheureusement.
Justement vous parliez de moyens insuffisants, Barbara Lefebvre dans un chapitre de son essai « génération j’ai le droit » qui parle de ce handicap, est-ce le manque de formation et de sensibilisation des professeurs sur la question du handicap qui est à l’origine des difficultés ?
Effectivement, il y a de ça aussi. L’autisme est un bon exemple, avec certaines familles, quand il y a un bon dialogue, c’est possible d’arriver à de beaux résultats, mais il faut bien se rendre compte que l’enseignant est seul face à la diversité de sa classe, il doit aussi prendre en compte les réalités sociales de certains enfants, les difficultés financières des parents, c’est donc compliqué de donner l’attention nécessaire à un enfant autiste. Je pense qu’il faut intégrer les enfants en situation de handicap, mais il faut aussi accepter la différence. Nul n’est comme tout le monde, et tant mieux. Le problème de cette politique c’est qu’on ne peut plus penser la différence que comme une inégalité. On ne peut plus être différent. Il faut qu’on puisse s’adapter éducativement aux différences des enfants afin de leur donner un apprentissage de meilleure qualité. On peut former les enseignants, en général ils le font tout seul. Nos enseignants sont très compétents et dévoués pour appréhender le handicap, j’en connais qui se renseignent sur des livres, sur internet, pour apporter à l’enfant le meilleur apprentissage possible. La plupart du temps c’est en plus de leur temps de travail. Mais bon tout ce temps n’est pas donné aux autres. L’école doit garder aussi son rôle d’apprentissage.
Le gouvernement a permis aux parents de choisir si les enfants devaient reprendre ou non le chemin de l’école, est-ce une bonne chose ?
L’école doit être obligatoire pour tous. Les enfants auraient dû tous revenir à l’école. Le gouvernement se fait avoir à son propre piège en laissant la décision aux parents. Ce qui faut c’est qu’avant d’entrer dans leur maison, les enfants se lavent les mains et changent leurs vêtements. En revanche, je souligne un élément, les pédiatres ont alerté dans le Figaro (par Caroline Beyer le 15 mai 2020), qu’il faut absolument assouplir les protocoles de sécurité. On ne doit plus faire venir les enfants dans les écoles, dans ces conditions : ils ne peuvent plus se toucher, ni se parler, ils sont assis à un mètre les uns des autres, alors qu’un enfant ça grandit en interaction avec les autres ; ça frise la maltraitance. Si on met un enfant seul dans son coin, il ne va jamais s’épanouir. Soit on enlève les enfants de l’école, soit on les met mais dans des conditions normales. Bien-sûr, il faut expliquer les choses à ces enfants, et ceux qui ne respectent pas les règles feront cours par télétravail. Les conditions actuelles sont effrayantes.
Les méthodes de l’éducation nouvelle sont-elles une réussite actuellement ?
Je suis favorable à un retour de l’instruction nationale. L’éducation ce sont les parents qui la donnent. Je soutiens Jean-Michel Blanquer dans le triptyque « lire, écrire, compter », on ne devrait faire que ça. Si on garde les 26h de cours, alors il faut retirer de ce temps les activités extra-scolaire (les différentes sensibilisations, les sorties scolaires, les classes découvertes…), car on n’a plus le temps d’enseigner les fondamentaux. Je me rappelle quand j’étais directrice en ZEP, dans une classe de CM2, où je suis sortie de mon bureau parce que des enfants se réjouissaient de ne pas avoir classe le vendredi – ils étaient en visite du musée du Louvre – et pourtant c’est école, il y a un travail à faire en amont et en aval. Je me suis interrogé sur l’intérêt de la visite et clairement ils ont l’impression d’être en vacances. A un moment donné on n’a que 26h de cours. ça peut paraitre démagogique, mais quand je pense à mon père – je ne veux pas revenir aux châtiments corporels qu’il subissait – il savait lire, écrire sans fautes d’orthographe et compter, et pourtant, il travaillait à 13 ans. Ça serait déjà bien si les élèves actuels avaient cette capacité. Ce retour à une instruction plus basique permettrait aux enfants des ZEP justement d’avoir des bases solides pour leur futur parce qu’à la maison ils n’auront pas la possibilité d’être aidés comme il le faudrait. On sacrifie toute une génération d’enfants de milieux populaires qui ne pourront pas se révolter, car ils n’auront pas les codes.
Certains dénoncent les effets pervers des punitions sur les enfants, mettant en avant la pédagogie, mais comment se faire respecter sans sanctions ?
La sanction est indispensable, mais ça ne peut pas être que ça. L’essentiel c’est quand même les strokes positifs. Même avec un élève en situation difficile en classe, on peut se débrouiller pour qu’il reçoive plusieurs strokes positifs dans la journée. Par exemple : en étant exigeant, on sort en rang, et là, n’importe quel élève peut le faire même celui qui a des difficultés, il faut le féliciter pour cette petite réussite et on essaye ensuite d’augmenter petit à petit la difficulté des demandes. L’enfant a besoin de ces encouragements, et tous les enfants de la classe peuvent en recevoir tout au long d’une journée. C’est une relation de confiance qui se créer ainsi, et on peut arriver à de vrais résultats avec cette méthode, mais quand l’enfant dévie de la règle, il doit être sanctionné, il faut un cadre. Mais voilà les strokes négatifs induis par la sanction amèneront d’autres strokes négatifs, il faut donc réguler ces effets avec des strokes positifs.
De nombreux psychologues tels que Charles Hadji dénonce la quantophrénie (obsession des notes) de l’éducation nationale, qu’en pensez-vous ?
Je reviendrais aux notes avec plaisir… Quand on a retiré les notes, les enfants traduisaient leurs résultats dans la cour. Maintenant, comme c’est devenu plus généralisé, ils ne traduisent plus mais ça n’a plus aucun sens pour eux. Désormais ce sont les parents qui traduisent les notes afin de situer plus facilement leurs enfants, c’est plus parlant. Il faut arrêter avec ce traumatisme de l’enfant, car au nom de ce principe on n’a de moins en moins d’exigence et on ne les amène plus vers le haut. On est en train de retirer les passages initiatiques qui nous font grandir. Nous avons tous eu une épreuve qui nous a fait peur et que nous avons surmonté, on en tire une satisfaction. En revanche, quand un élève a des mauvaises notes, le dévaloriser est une erreur. Le fait de revenir aux notes serait donc une bonne chose pour permettre aux élèves de se situer et ainsi de s’améliorer.
Propos recueillis par Paul Gallard