Bonjour M. Houpert, vous êtes actuellement sénateur de la Côte-d’Or. On dit souvent du Sénat qu’il doit être un contre-pouvoir par rapport à l’Assemblée et en particulier au Président. Comment ce contre-pouvoir s’exerce-t-il ?
Nous avons la chance d’avoir deux chambres législatives au Parlement : l’Assemblée Nationale est élue dans la foulée de l’élection présidentielle, ce qui en fait une chambre d’enregistrement lorsqu’elle transcrit en lois les promesses de campagne du Président de la République. Le Sénat, par son mode d’élection au suffrage universel indirect, représente les élus et les territoires : moins perméable aux changements d’opinion, il améliore par ses amendements les textes de lois, à partir d’une réflexion plus approfondie, de débats plus constructifs, plus indépendants aussi puisqu’il ne peut être dissout comme l’Assemblée Nationale. Les conclusions de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla est un exemple de son impartialité, tous les courants politiques étant représentés en son sein. Le Sénat est le garant du bon fonctionnement du bicamérisme et de la démocratie, ce qui le fait apparaître, aux yeux d’un pouvoir autocratique, comme un contre-pouvoir.
Quel est le rôle que peut jouer la Commission des Finances, dont vous êtes membre, dans cette opposition ?
La Commission des finances du Sénat a un rôle très important, non seulement pour examiner les projets de budget de l’État (PLF) et les projets de lois de financement de la sécurité sociale (PLFSS), mais aussi pour statuer sur les incidences financières des projets de lois qui viennent en discussion en hémicycle. Ses travaux sur les finances locales, les relations financières de l’État avec l’ensemble des acteurs économiques et l’économie de la France dans un contexte mondial sont forces de propositions. La semaine dernière, le Sénat a suivi la Commission des finances et refusé de voter la loi de financement de la sécurité sociale, considérant que le texte du gouvernement voté par l’Assemblée Nationale était caduc et insincère, puisqu’intervenant avant l’annonce d’un plan d’urgence pour l’hôpital par le Président de la République. Enfin, la Commission des finances exerce un contrôle suivi et scrupuleux sur l’action du gouvernement, qui doit répondre à ses demandes d’information ou d’explications.
Le Sénat a été vivement critiqué l’an dernier pendant les manifestations des Gilets Jaunes, comme antidémocratique. Quels contre-arguments peut-on apporter en réponse à ces inquiétudes ?
Le Sénat a une longue tradition de défenseur des libertés publiques et individuelles, en rejetant systématiquement les lois liberticides ou antidémocratiques. En effet, il tire sa légitimité de son élection au suffrage universel par un collège électoral composé de grands électeurs (maires, conseillers départementaux et régionaux ainsi que députés) qui représentent tous les courants de pensée de la vie politique française et tous les territoires de la République y compris les Français qui vivent à l’étranger. Cette assemblée parlementaire est ainsi un lieu de débats démocratiques où les questions de société ont toute leur place et où l’initiative parlementaire prend en compte toutes les problématiques sociétales, comme par exemple la question des violences sexuelles sur les mineurs, à laquelle j’ai personnellement travaillé, étant aussi médecin.
Vous avez également dénoncé l’attitude du gouvernement à l’égard du Sénat, qualifiant ce dernier de « gilet jaune des institutions ». Pourquoi en est-il ainsi ?
L’écrasante majorité LREM à l’Assemblée nationale a transformé le Palais Bourbon en chambre d’enregistrement des desiderata du gouvernement et donc de l’Élysée. On a parlé à la fin des années 50 de « députés godillots », le terme est on ne peut plus approprié pour cette Assemblée qui est non seulement « En Marche » mais aussi « au pas ». Dans cette machine bien huilée, le Sénat apparaît comme le grain de sable, voire le poil à gratter de l’exécutif, tout comme les Gilets Jaunes sont venus ternir l’image immaculée d’un Président à qui tout semblait réussir. Par exemple, sans le Sénat, l’affaire Benalla se serait évaporée au seuil de l’Assemblée nationale. C’est bien grâce à la Commission des lois et à la ténacité de son président Philippe Bas que le public a pu se rendre compte des mensonges qui ont été à l’œuvre dans ce scandale. Certains ont accusé le Sénat d’instruire des procédures politiques, alors qu’il ne faisait là que remplir une de ses missions qui est de contrôler l’action du gouvernement. Or dans l’affaire Benalla, le gouvernement n’a pas été clair, loin de là.
Vous êtes opposé à la loi sur la PMA et la GPA, adoptée très récemment par l’Assemblée Nationale. À quel point le Sénat peut-il être force d’opposition sur ce sujet ?
Le Sénat examinera en janvier la loi sur la PMA et que je sache, l’Assemblée nationale a fait marche arrière sur la GPA contrairement à ce que votre question laisse supposer ! Pour ma part, j’ai fait connaître publiquement ma position il y a plusieurs mois dans une tribune cosignée avec les Pr René Frydman et Christian Hervé dans le quotidien Libération. Oui à une PMA encadrée, non à la GPA.
Le Sénat est, à ce jour, la seule institution républicaine où la droite est majoritaire. Pensez-vous que cette majorité puisse se maintenir au vu du renouvellement d’une moitié des sénateurs lors des élections l’an prochain ?
Oui je le pense. Chaque semaine, je vais à la rencontre des maires de mon département en Côte d’Or et la liste de leurs doléances envers la majorité est longue : ils ont dû digérer la loi NOTRe qui a été imposée en dépit des particularismes locaux et voilà qu’avec la disparition de la Taxe d’Habitation, ils perdent non seulement des ressources mais aussi toute latitude de gestion des finances communales. L’AMF comme l’AMRF viennent de faire connaître leur colère après que la Commission des lois de l’Assemblée nationale a rejeté toutes les dispositions que le Sénat avait votées pour restaurer le lien de confiance entre les maires et les territoires. Le choix de Christian Jacob à la tête des LR signe le retour d’une droite pragmatique, réaliste, qui se méfie des extrêmes et c’est cette droite que les maires et particulièrement les maires ruraux appellent de leurs vœux. Dans les conseils municipaux des petites communes, il n’y a pas de place pour les luttes d’appareils : on décide sans se préoccuper de l’étiquette politique du voisin, les décisions sont motivées par le bien commun, ce sont des décisions mesurées, réfléchies et pragmatiques.
Quels seront les enjeux de ces élections ? Que pourrait signifier un succès d’Emmanuel Macron et de son parti lors de celles-ci ?
L’enjeu est simple : le Sénat doit conserver son rôle qui est de proposer les lois, d’amender celle du gouvernement et contrôler son action. Souvent, il est l’élément pondérateur des décisions abruptes du gouvernement qui suit obstinément la feuille de route imposée par le Président de la République au mépris du réalisme et du terrain. Un Sénat aux ordres de l’exécutif comme l’est l’Assemblée nationale signifierait un chèque en blanc pour le Président et donc la mort ni plus ni moins de notre démocratie parlementaire. Mais je n’y crois pas : je pense au contraire que les élections municipales sonneront comme un coup de semonce pour cet exécutif qui n’entend rien de ce que réclame notre pays.
Que signifie, selon vous, l’élection de Christian Jacob à la tête des Républicains ? Sa ligne rassembleuse est-elle la plus à même de permettre à la droite de se reconstruire après les échecs des dernières années ?
C’est en tous cas une leçon que chaque élu LR doit avoir en tête : les militants en ont assez des coups de buzz, des positions flirtant parfois dangereusement avec l’extrême- droite, du sensationnel. La droite est bien plus en phase avec le pays social qu’on veut bien le montrer : elle ne se résume pas à quelques jusqu’au-boutistes sur les sujets de l’immigration ou de la filiation ! Ma famille politique doit se nourrir de ses racines gaullistes et pas seulement pour en faire un slogan. Il faut se souvenir des ambitions sociales du gaullisme, de l’affirmation de l’idée de Nation chère au Général de Gaulle couplée à l’ambition de bâtir une Europe de paix et de croissance économique.
Pour vous, qu’est-ce-que la droite de demain ?
Elle doit être innovante, créative, surprenante tout en restant fidèle à ses valeurs, comme l’arbre envoie ses branches vers le ciel parce qu’il sait ses racines solides. Sur l’urgence écologique par exemple, la droite de demain ne va pas rejoindre le clan des collapsologues de tous horizons mais agir. Il est parfaitement possible de concilier préoccupations environnementales et économie, par exemple en soutenant notre agriculture qui est une des plus vertueuses. Mais aussi en valorisant bien plus que nous le faisons notre recherche : j’en ai assez de voir de talentueux étudiants se former dans nos laboratoires puis partir à l’étranger achever leurs travaux et déposer des brevets parce que les moyens qui leur sont alloués en France sont ridicules… Notre pays est le champion de la fuite des cerveaux ! Redevenir une Nation de pointe dans la recherche appliquée à l’industrie, à l’agriculture, à la santé, à la culture, au « vivre-ensemble » : voilà une voie pour laquelle la droite de demain doit être force de projets.
Propos recueillis par Julien Neter pour Droite de Demain