André Bercoff est journaliste. Il anime une émission sur Sud Radio. Il est également éditorialiste pour différentes émissions télévisées.
Bonjour André Bercoff, on peut vous écouter sur Sud Radio et vous voir en tant qu’éditorialiste sur les chaînes d’information à la télévision, notamment LCI, comment vous voyez-vous dans cet espace médiatique où la parole est quand même assez unique ?
Écoutez, moi ce que je peux dire, c’est que sur Sud Radio où j’ai une émission quotidienne, j’ai une liberté absolument totale. Ça fait trois ans que j’y suis, on ne m’a jamais dit : « attention à tel sujet». Donc vraiment, je n’ai jamais eu de problème sur mon émission. Je choisis ce que j’ai à dire, je choisis mes thèmes, je choisis mes invités avec une équipe bien sûr. Sud radio est un véritable espace de liberté.
À LCI et ailleurs aussi, mais c’est autre chose. Je n’ai pas mon émission, je participe à des débats et là aussi, je n’ai jamais eu d’observations sur mes propos, sur mes commentaires.
La liberté en ce qui me concerne est totale.
Un journalisme à sens unique, fable ou réalité ?
On a beaucoup parlé de pensée unique. Disons qu’il y a eu tendance à une certaine idéologie, qu’il y a un certain conformisme, une certaine doxa de pensée, c’est clair. Tout le monde n’est pas formaté, il ne faut pas non plus généraliser. C’est vrai qu’il y a une tendance disons mainstream, même si je n’aime pas les anglicismes mais c’est tout de même une tendance assez majoritaire à aller vraiment dans un certain conformisme.
Il y a des voix qui ne pouvaient plus être entendues il y a encore 10-15 ans, qui se font entendre aujourd’hui.
Il y a une émergence, sur internet, dans certaines émissions de radio, à la télévision d’un autre discours qui est multipolaire avec les réseaux sociaux, l’émergence de nouveaux médias. Cela favorise l’immédiateté (clash, punchline) de la réponse et empêche le développement d’un débat d’idées.
Ça c’est une question qui commence avec l’apparition de la télévision. C’est évident que la télévision est un média qui comme d’ailleurs la radio, sauf France culture, où le débat long ne peut avoir lieu. C’est évident que la radio et les médias d’information, sont soumis à un temps morcelé,découpé les écrans de publicités etc. Cela n’est pas nouveau. Quand vous dites « punchline », c’est évident quelqu’un qui a le don de la formule, sera plus avantagé qu’un Patrick Modiano par exemple.
Mais ça je dirai que ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau quand même, c’est l’irruption, on le voit très bien, de gens qui ont des paroles différentes. Il y a une génération aujourd’hui, qui émerge dans les médias et qui n’est pas le monopole du Rassemblement National, loin de là.
On ne peut pas dire aujourd’hui qu’il y a front absolu dans les médias, ce n’est pas vrai, ce n’est pas la Pravda. Ce n’est pas un totalitarisme. Maintenant le problème, c’est la parole dans les débats et c’est la responsabilité de chacun, consommateur, internaute, acteur, lecteur, d’aller plus loin. C’est le devoir de chacun.
Vous avez parlé de progressisme. Le mouvement progressiste impose ses idées aujourd’hui. Comment expliquer la difficulté de mobilisation, de riposte, politique et idéologique ?
Je crois qu’il y a deux choses. Je pense que pour moi gauche et droite cela ne veut plus rien dire. C’est amusant d’entendre les Républicains dire qu’il ne faut plus d’immigration alors qu’ils ont fait le regroupement familial ? C’est bien la droite avec Giscard. Il faut se rappeler de 73, 74 et 75. La gauche a fait la même chose. Par ailleurs, qui a géré le capitalisme mieux que personne ? La gauche. Mitterrand d’abord, Hollande ensuite et je ne parle pas de Macron.
Je dis toujours en forme de boutade : François Hollande a fait son discours au Bourget en disant que son « seul ennemi, c’était la finance ». Après ça il y a eu rencontre entre Hollande et la finance, il y a eu séduction, il y a eu pacs, il y a eu accouplement et neuf mois après, il y a eu Emmanuel Macron, enfant naturel de Hollande et de la finance.
Le coup de maître de Mitterrand a été de faire croire qu’il était anti-capitaliste, qu’il était pratiquement Besancenot vous voyez. Donc c’est pour ça, aujourd’hui quarante ans après, que ces notions-là ont explosé en éclat.
Et si l’on exclut le clivage gauche/droite, pour face au progressisme, on entend souvent l’émergence d’un mouvement dit conservateur. Mais accepter le terme même de conservateur, alors que c’est un duel qu’on nous impose entre progressistes et conservateurs, c’est ne pas s’installer dans la rhétorique d’un camp qui veut absolument faire ce clivage ?
Je suis totalement d’accord avec vous, je pense que la droite qui accepte le terme « conservateur », c’est la droite qui accepte de se faire embaumer et de ne figurer qu’aux journées du patrimoine. Il ne faut pas devenir une boîte de conserve. Si vous acceptez que le progrès soit dans le camp adverse, c’est une imbécillité rare.
Je ne comprends pas que certains acceptent cette étiquette. Soit on dit le parti du bon sens, appelons-le comme vous voulez, je préfère même populiste encore à conservateur. Il faut savoir ce que l’on veut, à qui on parle, d’où on parle et qui on défend. Conservateur me paraît un mot piège.
Le mouvement derrière le conservatisme me paraît juste. Mais c’est l’acceptation du terme qui pose problème.
Que l’on conserve ses valeurs, que l’on conserve ses racines, que l’on conserve son identité, c’est tout à fait normal, c’est évident, il ne faut pas se renier. Mais il faut aussi être en phase avec les extraordinaires avancées technologiques. Être conservateur, ne doit pas empêcher la création, l’innovation. Il faut faire attention au piège sémantique.
Dans le livre « Le progrès ne tombe pas du ciel », les anciens conseillers d’Emmanuel Macron, définissent le progrès ainsi : avant l’individu avait des devoirs. Il n’a aujourd’hui que des droits. Et cela soulève un problème à droite et rejoint l’actualité. Il y a un basculement idéologique qui fait que l’individu ne doit plus rien à la société, il désagrège ainsi la Nation. Pourquoi n’entendons-pas un discours cohérent à droite répondant à ce basculement ?
Pour une raison très simple. La droite a oublié que face aux droits, il y a des devoirs. J’attends que quelqu’un rédige la déclaration des devoirs de l’Homme et du citoyen. On ne pense plus au collectif.
L’individu aujourd’hui ne pense qu’aux droit d’acheter, de consommer. Le droit à l’enfant, le droit à la vie, le droit à tout. Où est le devoir ? Qui parle encore de devoir ? C’est extraordinaire. On est tellement dans un racolage électoral mais les gens ne sont pas dupes.
Je ne crois pas que la droite, qui était censée être la gardienne de tout cela, abandonne complètement la notion de devoir. Les Républicains, c’est extraordinaire, des petites grenouilles qui veulent être Roi. Au lieu de voir ce qu’ils font ensemble, regardez l’union des droites, ils font du tout à l’égo.
Au lieu de penser aux problèmes à moyen-terme, on pense aux municipales de 2020. Il y a des gens qui chaque matin, qui ne pensent qu’aux présidentielles.
Comment voulez-vous avoir une réflexion sur l’immigration, sur la France périphérique totalement abandonnée ? Le devoir, où est le devoir ?
Quand on écoute Geoffroy Didier qui nous dit qu’il « faut vivre avec son temps », on peut estimer que c’est le drame d’une droite qui renonce et qui a renoncé…
Ils n’en sont plus à retourner leur veste mais à retourner leur pantalon. Le naufrage idéologique de ce point de vue, mène au naufrage intellectuel et moral. Beaucoup de français, ne savent plus où ils sont, dans quel pays ils habitent. Personne n’est là pour le dénoncer. Pourquoi ? Posons-nous la question. Où sont les politiques ? Où sont les médiatiques ?
C’est tout l’enjeu ici, la parole lucide relève du bon sens. Pourtant elle est très rare dans l’espace politico-médiatique.
Parce qu’ils préfèrent avoir des œillères. Ils préfèrent avoir des étiquettes. Ils se prennent pour des gondoles de supermarchés. Personnellement, j’accorde une très grande importance à la cohérence entre la parole et l’action. Il faut de la liberté mais aussi de la responsabilité. On a laissé s’installer depuis des années, droite et gauche, dans cette espèce de vide et on en voit le résultat aujourd’hui.
Pour terminer sur une note d’espoir, quelle possible reconquête ?
Il y a plusieurs reconquêtes. Reconquête de soi-même en tant qu’être de devoir et de responsabilité. Ensuite, reconquête des territoires perdus de la République où personne ne peut entrer. Reconquête des valeurs communes. Quelles valeurs voulons-nous partager tous ensemble ? Qu’est-ce que la singularité d’être Français ?
C’est une reconquête à la fois mentale, intellectuelle, existentielle, collective. Ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est le courage.
Propos recueillis par Guillaume Pot pour Droite de Demain.