(Interview) Charlotte d’Ornellas (Valeurs Actuelles), « Étant Française, je m’inscris dans l’histoire d’un pays »
(Interview) Charlotte d’Ornellas (Valeurs Actuelles), « Étant Française, je m’inscris dans l’histoire d’un pays »

(Interview) Charlotte d’Ornellas (Valeurs Actuelles), « Étant Française, je m’inscris dans l’histoire d’un pays »

Charlotte d'Ornellas est journaliste pour Valeurs Actuelles. 

Bonjour Madame D’Ornellas, pouvez-vous nous présenter votre parcours ? 

J’ai grandi à Orléans jusqu’à obtenir un bac scientifique, puis je me suis tournée vers la philosophie. Après mes trois années passées à l’IPC (Institut de philosophie comparée), je suis partie parfaire mon anglais en Australie avant d’entrer en école de journalisme. J’ai effectué des stages dont le dernier à l’Orient-le-Jour, au Liban. Ce fut le début d’une profonde histoire de cœur avec cette région, aussi bien personnelle que professionnelle. J’ai ensuite travaillé en freelance, pour différents médias, avant de réaliser des vidéos de reportages ou d’interviews pour Boulevard Voltaire. Depuis bientôt deux ans, j’ai rejoint le service « France » de Valeurs actuelles.

D’un point de vue théorique, on vous sait proche de l’idéologie conservatrice, comment la définiriez-vous ?

Avant toute chose, j’ai appris à accepter les étiquettes qu’on me colle pour éviter de perdre trop de temps à discuter des qualificatifs qui n’ont pas pour but de définir mais de décrédibiliser.
Mais sans entrer dans le détail de l’histoire du conservatisme qu’on ne peut pas vouloir ressusciter comme si la société française s’était figée dans le temps, je trouve le mot assez révélateur de ce qui m’anime en effet. J’ai profondément, devant l’actualité, un état d’esprit conservateur.
D’abord parce que j’ai eu la chance de recevoir l’histoire d’une famille, l’éducation de mes parents, l’histoire et la culture de mon pays, l’instruction de mes professeurs jusqu’à la philosophie réaliste pendant mes études supérieures. Cet héritage que j’ai appris à comprendre, à m’approprier et à chérir – en ayant bien conscience de ses ombres et de ses lumières – est un trésor à conserver.
Et l’époque nous offre de véritables combats dans ce domaine, puisque tout est mouvement. Il me semble que le progressisme trouve précisément sa limite dans son obsession de la nouveauté. Certaines choses méritent d’être conservées, ayant fait leurs preuves.
C’est vrai dans l’enseignement, dans la nature, dans ce qu’est l’homme ou ce qui fait l’identité d’un pays. J’ai pris l’habitude de citer Matthieu Bock-Côté qui a parfaitement résumé la chose par une idée simple : nous ne voulons pas refuser la modernité, mais la civiliser. La civilisation se forge aussi par ce qu’un peuple reconnaît comme bien ou comme mal. Nous héritons d’une extraordinaire civilisation, et elle mérite largement d’être conservée. 

On voit apparaître de plus en plus l’idéologie libérale-conservatrice, qu’en pensez-vous ? 

Je me méfie de ce mot de libéral qui recouvre bien trop de réalités différentes, qu’on parle de philosophie ou d’économie. Je constate en revanche que tous les hommes politiques qui se sont dit libéraux-conservateurs ont « oublié », sitôt aux commandes, d’être conservateurs. Certains diront d’ailleurs qu’ils n’ont pas été plus libéraux ! Mais je crois qu’ils n’ont surtout pas travaillé à redonner la primeur à la politique sur l’économie. La question de la souveraineté nationale se pose évidemment, mais celle de l’homme politique élu par les Français, et non par le monde entier, l’Union européenne ou des cercles d’influence aussi.
Que la liberté soit un bien extrêmement précieux est une certitude, à condition de ne pas la définir comme la possibilité de faire « ce que l’on veut ». Je crois profondément que la liberté est une capacité que nous travaillons pour nous affranchir des servitudes diverses et choisir nous-mêmes ce qui est bon pour nous. La liberté se trouve parfois dans la contrainte ou dans la privation !
Elle ne peut pas non plus s’exercer sans responsabilité évidemment. Et la responsabilité du plus fort est de ne jamais oublier le plus faible. La politique semble parfois l’oublier, l’économie plus encore. Ce qu’il nous faut rechercher à tout prix, c’est le Bien Commun. Il faut pour cela nous entendre sur ce qu’est l’Homme, et sur ce que nous avons de commun… L’actualité nous montre que nous avons du boulot !

Peut-on assister à un déplacement du clivage Libéralisme/Socialisme vers un clivage Progressisme/Conservatisme ?

L’erreur que nous payons est d’être restés bloqués sur un logiciel socio-économique post-guerre, qui était la réponse du monde libre à l’URSS. Nous avons changé d’époque, mais pas de réflexes. Et le libéralisme, même économique, retourne tout naturellement à gauche dans la mesure où il partage avec l’idéologie socialiste cette obsession de l’universel. Les réponses, qu’elles soient économiques, culturelles ou politiques, ne peuvent pas systématiquement être les mêmes dans le monde entier.
On peut avoir une aversion ou une attirance pour un modèle économique, et le juger bon ou mauvais selon les termes concrets de son explication. Je pense notamment au libre-échange, qui ne provoque aucune mise à jour dans la réflexion. Comme si tout se valait tout le temps, indépendamment des époques, des cultures et des réalités des pays concernés.


C’est une distinction qui me semble importante aujourd’hui parce que si l’Homme recouvre une dimension universelle par sa nature et ses aspirations, il se développe aussi dans des dispositions particulières qui varient nécessairement d’un pays à l’autre, ne serait-ce qu’en raison de la variété – menacée – des cultures dans le monde. Résultat, nous discourons sans cesse sur ce qui est légal ou non, oubliant sans doute que le défi de l’époque se situe plus sur la question des mœurs que sur celle des lois. Je crois d’ailleurs répondre à votre question du glissement naturel d’un clivage dont les mots recouvrent une réalité plus économique vers un clivage sans doute plus charnel. C’est un enjeu dont pourrait particulièrement se saisir la droite éprise de liberté justement, dans la mesure où l’état de délitement du pays est tel que nous rognons sans cesse sur nos libertés héritées pour donner l’apparence d’une cohésion légale dans le pays. C’est particulièrement vrai sur la question, bien plus vaste qu’un slogan de campagne, de l’identité. Une question qui concerne aussi bien le débat sur l’immigration que celui que l’on appelle « bioéthique ». Et là, en effet, s’opposent deux visions : l’une qui veut conserver ce qu’il y a de bon – parce que c’est bon et non parce que c’est vieux – en se faisant l’héritière d’une civilisation à qui nous devons beaucoup. Et l’autre qui renoue avec le rêve démiurgique de l’homme nouveau qui se précipite par principe vers tout ce qui est nouveau. Il y a une immense réflexion à mener là-dessus et la droite politique est malheureusement très à la traîne. On sent ses représentants plus inquiets de préciser qu’ils ne pensent jamais que quelque chose ait pu être « mieux avant » que de défendre un héritage, un regard, une anthropologie ou une transmission culturelle.

Selon-vous, quelle barrière existe entre le conservatisme et l’immobilisme ? De même, à quel moment bascule-t-on dans la pensée rétrograde ?

Ce sont des mots qui sont devenus des étiquettes infamantes, sur lesquels il est donc particulièrement difficile de réfléchir sereinement. J’ai envie de retourner la question : avons-nous réellement atteint ce degré d’inculture pour qu’il nous faille sans cesse préciser la différence entre les mots « conserver » et « immobiliser » ?
Etant Française, je m’inscris dans l’histoire d’un pays qui ne m’a pas attendu pour exister, pour se construire et pour rayonner dans le monde entier. Que ce pays soit aujourd’hui entre les mains de nos générations qui peuvent le faire évoluer est une chose, que nous fassions comme si nous étions les premiers et les derniers, puisque les générations suivantes inventeront à leur tour un « nouveau monde », une autre.
Hériter ne veut absolument pas dire se figer, de même que transmettre ne veut pas dire réduire en esclavage. Il y a évidemment des questions et des défis qui se posent à notre époque et qu’aucun de nos ancêtres n’ont eu à se poser. C’est donc notre responsabilité de les affronter, et d’y répondre. Être conservateur ne veut absolument pas dire que la question ne se pose pas, elle veut dire que l’expérience, le regard, la pensée, l’univers culturel et intellectuel qui nous ont été transmis servent d’éclairage sur les questions actuelles. Quand nous parlons, par exemple, de « basculement anthropologique », c’est bien parce que nous sommes aujourd’hui les héritiers d’une anthropologie chrétienne dont certains rêvent de s’affranchir mais qui irrigue notre droit, nos réflexes, nos ambitions et notre aura dans le monde entier. Je ne crois pas que s’en servir humblement soit autre chose que de la saine prudence.
Quant à la question de la « bascule » vers une « pensée rétrograde », il s’agit encore de mots destinés à décrédibiliser tout esprit conservateur. Mais si le fait de considérer, avec Auguste Comte, que « les morts gouvernent les vivants », c’est-à-dire que le passé est parfois lourd d’enseignements et de sagesse, alors nous parlons de la même chose. Dans son dernier ouvrage, Alain Finkielkraut a une très jolie expression pour parler de ceux qui embrassent la pensée conservatrice aujourd’hui : il dit d’eux qu’ils « constatent que les morts peuvent encore mourir et que cet effacement les laisserait désemparés. » C’est exactement ce que je crois. Le déracinement ne me semble pas une solution et s’il est rétrograde de le dire, alors j’ai déjà basculé !!

Le terme « conservateur » a une réelle connotation péjorative en France, tandis que dans d’autres pays ce concept est l’objet des clivages (GB avec le parti conservateur ou les USA avec les Républicains). Comment expliquer cette omerta ? 

Il n’y a pas d’omerta, mais une auto-censure en raison des termes de votre question précédente. On laisse dire, mais on diabolise. Or personne – voilà sans doute un héritage ! – n’a très envie d’être diabolisé parce qu’il essaie de réfléchir sur notre Bien Commun et la manière dont il convient de le défendre ou de l’adapter à l’époque. Par confort sans doute, par inattention parfois, et par inconscience souvent, beaucoup se taisent ou se défende sans cesse d’être dans le camp du mal plutôt que d’expliquer pourquoi cette dialectique gentils/méchants est injuste en plus d’être fausse.
C’est en train de changer pour une raison très simple : la révolution du bonheur promise par ceux qui se prévalent sans cesse d’un monde nouveau n’a pas tenu ses promesses. Le bilan de la génération progressiste n’est pas si reluisant que cela. Puisque le bonheur est un échec, notre matérialisme moderne a proposé le bien-être en échange… sauf qu’il est évidemment passager. Quelque chose a sans doute été biaisé dans le projet de la modernité, il devient sans doute plus aisé de le dire, et de s’en affranchir.
Il faut maintenant parvenir à un équilibre dans la prise en compte des idées dans le débat public et ne pas accepter que la relative homogénéité de ceux qui le font rendent inaudibles, peu crédibles ou objets de moquerie des pensées dissidentes. Parce que l’auto-censure n’est pas tellement plus satisfaisante que la censure, mais elle est plus facile à contrer. Il faut relire le déclin du courage de Soljenitsyne, et le retrouver. 

Vous ne cachez pas votre catholicisme, la religion a-t-elle encore une place dans l’échiquier politique ? 

Je crois que la question concerne plus l’Homme que l’échiquier politique. Est-ce que la religion a de la place dans le cœur de l’Homme ? La réponse est indiscutablement oui, au regard de l’histoire de l’Humanité. Alors elle a de la place partout, par conséquent.
Notre état est laïc, mais le débat public confond trop souvent l’Etat et la société. La société, elle, est composée de gens religieux dans leurs aspirations et leurs combats. Il n’y a qu’a voir l’époque, matérialiste et athée convaincue, se jeter à corps perdu dans des combats aux contours religieux. L’écologie, le féminisme ou l’antiracisme ont créé des dogmes, des blasphèmes et des excommunications. On ne pense plus différemment, on « dérape », c’est-à-dire qu’on sort du droit chemin. Le relativisme a créé des chemins autorisés !

Bref, la société est religieuse, et j’ai fait exprès de prendre l’exemple de ceux qui ne sont concernés ni par l’islam, ni par le judaïsme ni par le catholicisme pour l’illustrer…
Pour ce qui est de l’échiquier politique, c’est autre chose. Il est composé de personnes, et donc d’aspirations aussi religieuses. Mais la gestion des choses publiques est laïque. Cela ne veut absolument pas dire qu’elle est dénuée de pensée. Or la pensée chrétienne irrigue notre vie politique, en raison de notre héritage culturel. C’est encore un fait, malgré le multiculturalisme par beaucoup professé et appliqué. Mais ce n’est pas, en l’occurrence, une question de foi.

Qu’est-ce que la droite de demain ? 

Je ne vais pas répondre en termes de partis, d’alliances ou de personnes, puisque c’est devenu impossible. Il faut donc nous intéresser à un mouvement de pensée capable d’être identifié comme tel dans l’échiquier politique.
Emmanuel Macron a fait la synthèse entre les centres droit et gauche. Résultat, beaucoup s’entendent qui entretenaient précédemment un clivage qu’ils n’incarnaient pas. Pour vivre, je crois que la droite doit redevenir… de droite. C’est-à-dire conservatrice. Je ne vois pas bien l’intérêt de se pencher su côté du centre alors qu’Emmanuel Macron en est devenu le héros. Ni de s’acharner à ne défendre que le libéralisme, alors qu’Emmanuel Macron satisfait cette demande.
En revanche, il faut répondre à l’injonction du nouveau monde. A cet impératif inquiétant de nouveauté systématique.
La droite pourrait redevenir ce mouvement d’héritiers intéressés par la modernité sans assumer de rupture. Ce courant persuadé que l’Homme n’accède à l’universel que par le particulier. Et donc par la France. Une famille, enfin, qui se mette à travailler pour savoir ce qu’elle veut conserver, ce qui lui permettra enfin d’assumer le terme plutôt que de se définir sans cesse par rapport à l’autre côté de l’échiquier, voir même par rapport à l’autre côté de l’Elysée.
Puisque l’époque est nouvelle, que la droite se mette à penser, plutôt qu’à soigner l’image qu’elle donne de la cacophonie idéologique dont elle est aujourd’hui la championne. Elle pourra enfin défendre un projet pour le pays, sans craindre l’intimidation.

Propos recueillis par Paul Gallard pour Droite de Demain.

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