(Interview) Roger Karoutchi (LR) « Un refus strict du communautarisme et le rétablissement de l’autorité de l’État »
(Interview) Roger Karoutchi (LR) « Un refus strict du communautarisme et le rétablissement de l’autorité de l’État »

(Interview) Roger Karoutchi (LR) « Un refus strict du communautarisme et le rétablissement de l’autorité de l’État »

Roger Karoutchi est sénateur Les Républicains des Hauts-de-Seine. 

Monsieur Karoutchi, nous avons remarqué que vous avez commencé la politique à l’UDR, le parti d’inspiration fortement gaulliste. Comment définir ce terme – souvent galvaudé – de gaullisme ? Quelle doit-être la place du gaullisme dans la droite ?

J’ai adhéré à l’UDR à 18 ans, j’avais avant cela adhéré à 16 ans, à l’UJP (Union des jeunes pour le progrès),  mouvement des jeunes gaullistes, c’était d’ailleurs dans la même permanence à Marseille. La définition du gaullisme en 2020 n’est pas celle de l’époque. Quand j’ai adhéré à l’UJP, le Général de Gaulle était l’emblème, le symbole de la France. Le gaullisme était à la fois un message sur la force de la nation, son unité et une extrême exigence sur ce qu’est la République. Là dessus, se greffait également un message historique autour du Général, l’image de la France Libre et du créateur de notre Vème République. Aujourd’hui, le gaullisme s’articule surtout autour de l’idée de nation et autour de la force des valeurs de la France. Se prétendre à l’heure actuelle seulement gaulliste c’est un peu court car le monde a changé ainsi que la France.

Le RPR de Jacques Chirac revient très fortement dans la conception d’un parti de droite populaire. La droite doit-elle être populaire ?

Je ne suis pas convaincu qu’il faille mettre un qualificatif  dès qu’on parle de la droite. Le Général de Gaulle ne se définissait pas comme de droite affirmant qu’il était la France. Je ne vois pas pourquoi se qualifier de populaire est nécessaire. La droite c’est une tradition, un électorat mais par définition pouvant regrouper autant des catégories populaires que des cadres, qu’une partie de la bourgeoisie… Moi-même quand il y avait eu un vote sur les sensibilités en 2012, j’avais créé le courant gaulliste à l’intérieur de l’UMP, mais ce qui est est vrai, c’est que droite populaire, droite nationale, droite libérale, droite humaniste… la droite peut être tous cela à la fois. Je ne vois pas pourquoi il faudrait se justifier d’être populaire quand on parle d’idées de droite. Les idées de droite sont connues : c’est la capacité de faire confiance à un individu, à l’initiative, que le mérite soit privilégié …

On connaît votre proximité avec le défunt Philippe Séguin, que doit-on retenir de ce personnage important pour la droite ?

Au niveau des valeurs c’était d’abord le refus absolut de la moindre concession sur ce qu’était la République. Séguin n’était pas un homme à faire dans la nuance ou dans la concession. Lorsque il s’est opposé au traité de Maastricht en 1992, lorsque il affirmait un certain nombre de choses pendant la campagne de Jacques Chirac de 1995, c’était essentiellement sur les principes fondamentaux de la République : la laïcité, le refus du communautarisme, la conviction qu’il n’y avait pas des premiers de cordée et des derniers de cordée et que l’ensemble de la société française devait évoluer avec un destin commun. Cela aujourd’hui est très contesté, il y a des gens qui défendent des conceptions multiculturelles et communautaristes alors que d’autres veulent des éléments moteurs pour porter les autres. Dans les deux cas c’est une vision fracturée de la société française qui n’est pas celle de Philippe Séguin. Ce qu’on peut conserver de Séguin c’est incontestablement l’unité de la République, l’unité de la Nation et l’idée que tous ceux qui sont dans un séparatisme de quartiers ou de fractures sociales sont en dehors de sa conception profonde.

L’alliance entre le centre et la droite en vue des élections présidentielles de 2002 est souvent critiquée. Peut-on la considérer comme l’avènement du libéralisme dans la droite ?

C’est assez compliqué pour être franc. J’ai certes accepté d’être membre fondateur de l’UMP (Union pour la Majorité Présidentielle puis Union pour un Mouvement Populaire) mais je n’en suis pas un grand fanatique. Je considérais que dans la majorité, il y avait deux familles ayant des traditions différentes : le RPR (gaulliste, jacobin) et l’UDF (centriste, libéral et européen). Jacques Chirac a voulu réunir ces deux familles pour devenir la première force politique du pays. C’était vrai au début mais on s’est rendu compte qu’avec la fusion, en réalité, on avait pas additionné toutes les forces. Un certain nombre de centristes, très vite, comme Bayrou sont restés en dehors. Puis on s’est rendu compte qu’une partie de la droite gaulliste n’acceptait pas le discours nuancé de l’UMP. Ça a un peu fait perdre à notre parti sa tradition gaulliste du RPR, on a un peu pris le discours libéral et centriste mais au final, on le voit depuis 2/3 ans il y a un vrai sujet. On peut se demander si on a pas un intérêt à un retour sur un mouvement élargit certes mais avec des convictions plus appuyées sur la droite et non sur un libéralisme, d’autant que l’UDI récupère une partie des centristes libéraux. Est-ce que l’UMP a été une réussite ? Oui, si on regarde les échéances de 2002 et 2007. Est-ce qu’elle a été un succès sur la récupération d’un corpus commun ? Non. Aujourd’hui Les Républicains reviennent vers des idées du RPR et l’UDI met en avant la vision libérale de l’UDF.

Quel héritage au niveau des valeurs la droite doit garder de l’époque UMP et surtout du Sarkozysme ?

On a beaucoup dit du gaullisme que c’était surtout un « volontarisme ». Cela ne voulez pas dire grand chose et personne ne savait très bien ce que volontarisme/pragmatisme signifiaient. Nicolas Sarkozy n’a pas révolutionné le corpus idéologique de la droite, mais il a apporté un volontarisme et un pragmatisme qu’il a cultivé déjà quand il était ministre de l’intérieur. Ce coté renouveau qui a entraîné une adhésion très forte lors de l’après Jacques Chirac. Les gens se sont retrouvés sur un discours plus marqué à droite et en même temps un discours déterminé, plus volontaire et plus pragmatique, autour de valeurs comme le travail « travaillez plus pour gagner plus », la notion d’égalité mais refus de la fracture communautariste plus nette que sous Jacques Chirac.

François Fillon a plu à la base militante avec un programme économique profondément libéral et un aspect conservateur sur le sociétal, est-ce au final une synthèse intéressante ?

Je connais François Fillon depuis plus de 30 ans, mais je pense que la droite doit évoluer. La droite incarne d’abord la Nation et la République, lorsqu’elle intervient trop sur les libertés individuelles, à mon sens, elle se trompe de combat. Il y a des gens de droite qui peuvent être plus avancés sur des sujets de société que d’autres. La droite c’est surtout l’État, l’autorité de l’État, le régalien, la notion de Nation, l’unité de la nation, l’ordre public, bref, les notions qui permettent aux gens de se dire qu’ils ont un destin commun. Ce n’est, à mon sens, pas sa conception de la famille, ou la conception que doit avoir chacun de sa vie individuelle. L’engagement public se fait en pensant collectif et non individuellement ou alors c’est autre chose, c’est une église. J’ai soutenu François Fillon, dans la mesure où Nicolas Sarkoy que j’ai soutenu à la primaire a été battu. Je ne pense pas que la défaite de François Fillon est la cause de son programme, elle est la conséquence de l’acharnement médiatique. Est-ce qu’élu Président de la République, il aurait appliqué l’intégralité de son programme ? Sincèrement, je ne le pense pas. Par exemple les 500 000 postes de fonctionnaires supprimés en 5 ans, je ne pense pas qu’il aurait pu le faire. Par contre il aurait recréé une dynamique et aurait restauré l’autorité étatique ce qui pose problème aujourd’hui. Ma croyance se situe plus sur l’unité de la droite autour des problèmes régaliens, des problèmes d’identité nationale que sur le reste.

Les militants des Républicains ont de plus en plus de mal à voir la différence entre LR et le RN, quelle est selon-vous la frontière si elle existe ?

Personnellement je n’ai jamais essayé d’ostraciser les gens du Rassemblement National (auparavant Front National), j’ai toujours accepté de débattre avec eux. Le problème étant que l’objectif du RN est de remplacer Les Républicains et de devenir ainsi la première force de droite. Cela voudrait dire que LR ne serait plus, ou, serait seulement une force de complément. Je ne suis pas dans l’idée que le RN cherche un accord. Ensuite, nous n’avons absolument pas la même vision économique ou européenne. Quand Marine Le Pen dit qu’il faut rétablir la retraite à 60 ans, franchement je ne sais pas comment on fait pour payer… Autant je suis hostile à la réforme des retraites proposé par Emmanuel Macron, autant revenir à la retraite à 60 ans c’est une utopie. La conception du Rassemblement National est plus populiste – ce n’est pas du tout insultant au passage – que pragmatique. Ils ont une vision de l’économie française qui peut plaire au plus grand monde mais qui n’est pas viable sur la scène internationale pour refaire de la France une puissance. Il en est de même avec la notion de fiscalité. Après qu’on me dise que le RN veut aussi renforcer l’autorité de l’État, qu’ils sont attachés à l’identité nationale, très bien, c’est un peu comme si on me disait que le RN affirme que le ciel est bleu. Je n’ai pas d’état d’âme, les valeurs d’identité, de drapeau n’appartiennent pas au RN, ni à LR mais plutôt au gaullisme, c’est-à-dire à la France.

La droite a essuyé un réel échec durant les élections européennes, certains l’interprètent comme un refus de la tendance conservatrice des Républicains. Quel est votre avis sur cette question ? La droite doit-elle abandonner sa vision conservatrice ?

La droite a toujours été en difficulté aux élections européennes car nous sommes toujours partagés entre une aile euro-réaliste et une aile europhile. Je n’en veux pas du tout à François-Xavier Bellamy qui a fait ce qu’il pouvait, qui est un bon candidat même si certaines prises de positions ont désavantagé la campagne alors qu’elles ne sont pas en lien avec les Européennes. Au delà de ça, Les Républicains doivent revoir leur positionnement par rapport à l’Europe. On a dit qu’on était contre l’extension de l’Europe, qu’on était pour une réforme en profondeur des structures exécutives, mais on reste vague sur ce qu’on veut réellement et comment y parvenir. Est-ce qu’on demande une réduction du pouvoir européen par rapport aux États-nations ? Est-ce qu’on accepte d’entrer dans un système fédéraliste ? Est-ce qu’on accepte le pouvoir de la BCE ? On a pas été assez tranchés, ceux qui sont eurosceptiques vont vers le RN et les plus libéraux vers En Marche. C’est donc un vrai sujet, éclaircir notre vision sur l’Europe !

Sur quelle base idéologique la droite de demain doit-elle se reconstruire ?

Il n’y a qu’une base pour la droite : la France. La droite de demain doit avoir un respect pour son histoire, la volonté d’un destin commun, ce qui implique l’identité de la Nation. Un refus strict de tout communautarisme et de rétablir une autorité de l’État, un ordre public, une sécurité non contestée. On peut discuter de tous les éléments sociétaux, on peut débattre de toutes les organisations territoriales mais on ne peut jamais débattre de l’unité de la Nation, et, c’est pour moi le discours de la droite de demain.

Propos recueillis par Paul Gallard pour Droite de Demain

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