Thibault de Montbrial est avocat pénaliste au barreau de Paris, spécialiste des questions de sécurité, il défend régulièrement les forces de l’ordre et les victimes des attentats islamistes. Il est président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure et a écrit « Le sursaut ou le chaos » en 2015.
En France, on parle plus d’autorité judiciaire que de pouvoir judiciaire. L’indépendance de la Justice est-elle nécessaire pour rétablir l’autorité de l’Etat ?
L’indépendance de la justice est un fondement du principe démocratique. Deux choses sont cependant confondues dans la pratique : le rôle des juges qui siègent et celui du parquet. Les juges qui siègent prennent les décisions, il est essentiel dans un état de droit qu’ils conservent une indépendance absolue. Les juges qui exercent des poursuites au nom de l’état (les procureurs) sont les avocats de l’Etat et doivent donc tirer leur légitimité d’un lien avec le peuple. Il ne peut y en avoir que deux sortes : soit un lien de rattachement avec le ministre de la Justice, membre du gouvernement, lui-même issu de la majorité au Parlement ; soit une élection directe. Mais l’élection des procureurs ne me parait pas souhaitable car leur fonction se prête mal aux passions électorales. En toute hypothèse, l’indépendance absolue des parquets serait une aberration totale.
La Garde des Sceaux Nicole Belloubet a annoncé la mise en liberté de 43 djihadistes en 2020, vous qui avez été souvent confrontés à ces terroristes dans votre carrière, est-ce que la France est juridiquement armée pour enrayer ce phénomène ?
Quelles que soit les réserves sur les compétences de la garde des sceaux, elle n’y est pour rien car ce chiffre résulte des décisions de justice rendues, ces 43 djihadistes sont ou seront libérés car ils auront purgé leur peine.
Sur le fond je constate que les décisions rendues en moyenne depuis le début de ces incriminations des gens de retour du djihad de Syrie et d’Irak, sont des décisions dont le quantum n’est pas à la hauteur de la dangerosité de ces personnes. Dans l’immense majorité des cas, on a affaire à des individus engagés fortement dans la cause djihadiste : abandonner la France pour mettre sa vie en danger à la guerre n’est pas anodin. Ils restent idéologiquement engagés, déterminés et aguerris au combat. Les peines ont été souvent insuffisantes. Certains jugements rendus en 2019 n’ont pas été compris, par les services de renseignements, les juges d’instruction, les procureurs antiterroristes. Les juges ont parfois fait preuve de naïveté car, contrairement aux terroristes basques par exemple, les djihadistes n’assument jamais leurs actes. Ils tentent de tromper le système judiciaire occidental en minimisant leur implication, pour avoir la peine la plus faible possible afin de reprendre au plus vite leurs actions contre nos sociétés.
Est-ce qu’on assiste selon votre expérience à un ensauvagement de la société ?
En septembre dernier, lors de la conférence de rentrée du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure – que je préside -, Laurent Nunez (secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur), lors du discours d’ouverture, a admis la hausse des « violences gratuites ». Deux mois plus tard, le préfet Pierre de Bousquet de Florent, patron de la CNRLT (Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme) a utilisé cette expression lors d’une conférence à Villepinte. Il suffit de regarder les réseaux sociaux tous les jours pour constater l’essor de cette violence de groupe, très souvent interethnique, avec des gens roués de coups, qui s’affrontent à coup de machettes. Le pire c’est que désormais c’est devenu pratiquement banal… Le seuil de déclenchement de la violence a baissé.
L’agresseur de Marin a bénéficié d’une remise de peine importante, n’est-il pas problématique que les condamnés ne fassent pas leur peine ?
Le système d’aménagement des peines ne tient quasiment pas compte de l’intérêt de la victime. Cette affaire est choquante. La peine de l’agresseur de Marin était légère car il a bénéficié de l’excuse de minorité, ce qui n’est pas automatique. Du fait de la gravité des faits, de leur motivation – une vision de la religion musulmane contraire aux valeurs républicaines – et des conséquences gravissimes sur la victime, on ne peut qu’être sidéré de voir que l’intéressé bénéficie de cette libération conditionnelle. Cependant, le parquet a fait appel donc attendons de voir la décision de la cour d’appel.
Quelle vision de la justice de demain ?
La justice est un maillon indispensable de la sécurité et de l’ordre public. La sécurité est une chaine dont les forces de l’ordre sont le premier maillon et la justice le dernier. Il faudrait aussi simplifier le système. Nous parlions précédemment d’application des peines ; quand un tribunal prononce une peine, personne ne peut savoir – ni les professionnels, ni le condamné – comment cette peine sera réellement appliquée. Il faut une politique pénale qui ne soit pas forcément plus sévère, mais dont les décisions soient plus rapides et prévisibles. Des sanctions trop lourdes produisent des effets pervers. C’est plus la certitude de la sanction – évidemment proportionnelle à la gravité des faits – qui permettra à la fois de punir et de dissuader.
Propos recueillis par Paul Gallard
