Bonjour Madame Tellenne, on vous connaît en politique comme une leveuse de foules lors des manifestations de la Manif Pour Tous, quelles étaient les raisons de votre engagement ?
J’ai commencé à m’intéresser sous Giscard, puis j’ai évolué vers Chirac. Parallèlement, j’étudiais le droit et j’ai levé des manifestations à Lyon contre la loi Savary en 1983, étant responsable de la presse au comité de grève. Ma maîtrise de droit en poche, je suis allée à Sciences Po en suivant mon premier amour, Philippe Lambron, qui s’est révélé plus tard être homosexuel, mais était à l’époque encore caché. J’ai eu un parcours de militante politique : le pouvoir ne m’intéresse pas ; ce que je veux, c’est prendre la parole pour les gens quand eux ne peuvent ou ne veulent pas le faire.
J’ai alors rencontré Basile de Koch qui travaillait alors pour Pasqua et je suis devenue Frigide Barjot. J’ai vu que les candidats – de droite, en tout cas – promettaient et ne remplissaient pas leurs promesses. Ils laissaient péricliter la nation, la famille, les sphères constructives de notre société. C’est alors que j’ai fait un grand saut après être mariée et avoir eu des enfants, je suis passée dans la sphère spirituelle : nous étions en train de tout perdre, et il fallait se raccrocher à l’Eglise. J’ai donc monté une association, « Pour l’humanité durable » quand nous avons perdu l’élection avec Sarkozy en 2012.
On avait alors atteint un point de fractionnement énorme, qui était l’ouverture du mariage homosexuel avec le changement de la filiation des enfants : sans cela, pour moi, ce n’était pas un mariage mais une union civile, ce qui ne posait pas de problème, étant donné qu’il maintenait l’être humain entre l’homme et la femme. C’est d’ailleurs ce que j’ai proposé en août 2012, à l’évêque de Toulon et à l’archevêque de Lyon, qui m’on dit que c’était une très bonne idée, qu’il fallait rassembler les foules et qu’on ne pouvait pas laisser basculer l’humanité. Le but était de rassembler très largement, puisqu’il n’était pas question d’empêcher la famille entre personnes de même sexe, mais uniquement de ne pas changer le mode de procréation des enfants, ayant donc leur filiation biologique. Si on change la filiation biologique, on change la structure même de l’humanité. Comme il s’agirait alors de faire disparaître l’humanité, j’ai fait mon engagement de maintenir l’homme et la femme pour que les générations se renouvellent, hommes et femmes.
L’Eglise a suivi, dans un premier temps, derrière cette dichotomie entre une union spécifique homosexuelle avec des enfants, l’union civile. Elle se distingue du PACS à deux niveaux : premièrement, elle est spécifique aux couples homosexuels, et les enfants qu’ils ont ne sont pas fait dans le couple mais avec un tiers externe qui sera le père ou la mère, maintenant ainsi la sexuation et la filiation biologique. Ce projet était constitutif des manifestations. Je l’ai porté quand il a fallu l’expliquer aux évêques, aux cardinaux et aux réseaux catholiques tels que la Fondation Lejeune ou Alliance VITA, qu’on retrouve aujourd’hui. La Manif pour Tous en dérive : Ludivine de la Rochère faisait partie de la Fondation Lejeune et avait travaillé à la Conférence des évêques de France, ce qui souligne le lien avec l’Eglise. Les foules sont venues aux deux premières manifestations, en novembre 2012 en régional et ensuite en janvier-mars 2013. Lors du vote de la loi, j’ai été dégagée par les mêmes avec qui j’avais formé le mouvement, qui sont d’un coup revenus à l’orthodoxie de la ligne ecclésiale et de droite, qui est de refuser les enfants et les unions civiles aux homosexuels. J’ai donc quitté le mouvement, qui s’est brisé.
Il y a eu une sorte de manipulation médiatique : la foule n’a pas explicitement entendu au départ « union civile » car j’ai été empêchée de le dire dans les médias par l’Eglise. Les gens l’entendaient à travers mes écrits personnels ou bien se rendaient bien compte, à travers mon parcours, comprenaient bien que je ne pouvais pas refuser leur famille aux homosexuels : mon image était de quelqu’un de très ouvert. Le travail médiatique a été de me faire porter le péché d’homophobie, que je n’avais pas. Qu’est-ce-que l’homophobie ? Du point de vue de la société actuelle, c’est de dire que les homosexuels ne peuvent pas faire famille, ni avoir des enfants. A partir de là, le dispositif gouvernemental qui est une importation du marché mondial, a inséré dans cette compréhension de la population le fait de changer le mode de reproduction. C’est là où on en arrive aujourd’hui avec la loi de PMA anonyme. Ce n’est là pas n’importe quelle PMA, puisqu’elle se fait sans personne génitrice masculine.
En quoi pensez-vous que la nouvelle proposition de loi sur la PMA ouverte aux personnes de même sexe soit un mal, étant donné qu’elle est déjà ouverte aux couples hétérosexuels ?
Il y a plusieurs formes de PMA. La distinction fondamentale, c’est de savoir c’est une fécondation aidée par le gynécologue ou le laboratoire avec ses propres semences ou avec des semences achetées ou en tout cas prélevées sur un marché administré, parce qu’elles sont anonymes. C’est cela que nous contestons depuis la Loi Taubira de 2012. Cette loi s’accomplit dans la loi de PMA, qui sera suivie demain par la loi de GPA. C’est un tout. On crée une autre façon de procréer, qui a terme enfantera un autre être que l’être humain.
Ce qui ne me convient pas, ce n’est pas que deux femmes fassent un enfant, de façon assistée médicalement, c’est qu’elles le fassent avec des semences qui ne sont pas celles du géniteur paternel de leur enfant. Or, quand on est dans le couple hétérosexuel, si on prend des semences anonymes, pour remplacer une défaillance de la mère, ou utilise des ovocytes anonymes. D’une certaine façon, cela peut être vu comme « moins grave » puisque la mère est là : ce ne sont juste pas ses ovocytes. Ce que nous contestons même pour ces couples-là, c’est que ces ovocytes sont anonymes. Mais on ne remplace pas le sexe : on prend des ovules, qui seront portés par la mère. Si les spermatozoïdes sont défaillants, il y aura tout de même un père dans le couple.
Ce qui est totalement contestable, c’est de remplacer un père par une mère pour la fécondation, et d’ailleurs même pour l’éducation. La solution que nous proposons, c’est que les ovocytes ou spermatozoïdes, que ce soit dans le couple homosexuel ou hétérosexuel, soient issus d’une personne connue à la fécondation, qu’on appelle le géniteur connu. Dans le couple homme-femme, ce sera un parrain ou une marraine, mais le bagage génétique de l’enfant sera connu et ce géniteur participera à l’éducation. Dans un couple homosexuel, ce sera le père ou la mère biologique. Il n’y a pas d’anonymat.
Pourquoi pas d’anonymat ? Tout simplement, parce il y a déconnection entre la personne qui dispose d’une faculté de reproduction (et est alors en capacité de maintenir l’espèce) se sépare de ses semences, qui ont elle la capacité de perpétuer l’humanité. Ces personnes qui donnent probablement par compassion, par charité, par bienveillance ne savent pas ou vont ces semences et en perdent le contrôle. Aujourd’hui, ces semences sont sur un marché. Il est encore semi-administré en France mais, avec la loi qui arrive, il le sera de moins en moins. On ne sait pas qui va contrôler ces semences. Il faut savoir que dans les cellules reproductrices que sont les spermatozoïdes et les ovocytes, avant même l’embryon, se trouve tout le code génétique de l’être humain germinal à venir. C’est le code de vie de l’humanité, et cela ne se met pas sur un marché comme ça. Cela ne se traite pas, ne se vend pas, ne se donne pas. Cela ne se sort pas du corps d’une femme avec des traitements lourds et des anesthésies générales pour être mis après sur un marché.
La vérité, c’est que c’est ensuite séquencé, numérisé. La course à la numérisation des ADN, c’est le nouveau pouvoir. C’est ce contre quoi nous sommes : il ne faut pas rendre les semences disponibles. Elles font partie du corps humain, et celui-ci ne se marchandise pas, sinon quoi il mutera. La loi ouvre le cadre d’une reproduction par ces produits rendus disponibles et donc manipulables. Ce que nous proposons, c’est de lever l’interdiction du géniteur connu, inscrite dans la loi depuis 1994. A l’époque, l’interdiction était logique : il ne fallait pas remplacer un père par un père. Le problème, que ni l’église, ni les réseaux de l’église comme LNPT, les fondations, n’ont pas de solution pour ces femmes.
Il y a quelque chose de très important au niveau de la représentation publique, médiatique, politique, ecclésiastique, professorale, à tous ceux qui ont accès aux médias pour donner leurs points de vue. Toutes les personnes actuellement sont pour la loi, soit dans le genre explicite (comme les LGBT ou le président Macron) on d’une autre façon, en déclarant être contre la loi, mais sans offrir d’alternative. Il n’y a pas un politique qui propose un amendement. Nous sommes les seuls à proposer cet amendement qui lève l’anonymat comme défini par l’article L1244-3 du code de santé publique. Ce sont les organes qui doivent être anonymes, puisque les semences ne sont pas des organes comme les autres : elles portant la vie et ne peuvent donc pas être rendues disponibles. Or, la personne peut se rendre solidaire et disponible. La droite refuse cette solution, ce qui convient à accepter le marché, un marché qui manipule l’embryon et le génome.
Le Conseil d’État a donné son rapport dont les conclusions sont en faveur du maintien des pratiques actuelles. Emmanuel Macron peut-il outrepasser l’avis de ce rapport ?
Ce n’est pas le cas. Le conseil d’Etat a déclaré que ce n’était pas à lui de délibérer, mais de laisser cela aux législateurs, et que si la PMA était ouverte, il donnerait les moyens de le faire, notamment de créer une double filiation. C’est invraisemblable. Il ne prend pas de position, ne s’opposant donc pas de facto à ce qu’on l’ouvre. Il n’y a pas, il n’y a plus d’éthique dans la question. Le cas éthique serait de maintenir l’être humain contemporain, tel qu’il a évolué jusqu’à aujourd’hui.
D’un point de vue solidaire, on sait que l’AMP est prise en charge par la sécurité sociale dans la mesure où il y aurait « une constatation d’infertilité médicale ». De même, on ne peut juridiquement établir un régime différent sur critère sexuel, n’y a-t-il pas ici un paradoxe criant ?
C’est tout le paradoxe de la loi. On fait comme s’il n’y avait plus de critères sexuels. On déclame que deux femmes en couple sont comme un homme et une femme dans le cadre de la reproduction, et on leur donne la technologie pour, en déclarant que c’est là le nouveau mode d’engendrement pour ces catégories de population, ou même, au-delà, pour toutes les femmes en couple, y compris les 90% en couple hétérosexuel. On va donner de la semence anonyme – donner, car c’est remboursé par la Sécu – à toute femme qui le désire. Et après, on donne le même accès à deux femmes ou même à une femme seule, avec la différence qu’il n’y aura pas de père à la maison, ou même dans l’entourage de l’enfant. Ce que nous proposons, c’est que celles-ci rencontrent un homme, qui occupera le rôle de père.
Or, nous sommes pour que l’enfant connaisse son père. Aujourd’hui, dans la loi, il est prévu que l’enfant puisse à 18 ans connaître l’identité de son père biologique. Je ne comprends pas pourquoi, pendant la croissance et l’épanouissement de l’enfant, le père serait absent. Il représente quand même la moitié des gènes de l’enfant, qui voudrait savoir d’où lui vient son caractère, son intelligence. C’est dans ces moments de croissance que l’on a besoin de se poser, de s’opposer, de se comparer à ses géniteurs. C’est dans ces 18 ans où l’on grandit que l’on a besoin de connaître ses géniteurs. Quand c’est la vie qui dicte ces choses, il n’y a pas d’autre choix que de composer avec. Mais quand c’est la loi, d’emblée, qui dit que l’enfant ne sera pas élevé par celui qui l’a conçu, il y a quelque chose de dictatorial, d’eugéniste.
Ce besoin qu’éprouvent les couples homosexuels d’avoir un enfant n’est-il pas en rapport avec la difficulté pour les couples homoparentaux d’obtenir une adoption ? La solution ne se trouverait-elle pas dans une réforme des conditions d’adoption ?
Une correction : toute personne a le désir de se prolonger, de laisser une trace d’elle-même. Aujourd’hui, quand on peut simplement acheter un enfant, le fabriquer, nous n’avons plus les moyens de le lui refuser. Cela dit, nous ne voulons pas d’adoption car celle-ci efface les parents géniteurs. Et surtout, l’adoption force les enfants à passer par un système administré, tout comme le CECOS. Or, nous voulons que les enfants traitent de gré à gré. Je ne parle bien sûr pas des enfants abandonnés ou des orphelins, mais l’adoption en France est très difficile, pouvant durer plusieurs mois, en passant par des familles d’accueil…Elle l’est encore plus depuis l’ouverture du mariage pour tous, puisque beaucoup de pays ont fermé l’adoption à la France, empêchant les Français d’adopter.
Le désir de se prolonger est une nécessité humaine absolue, comme manger ou boire. C’est une fonction première. Cette fonction vitale peut être réalisée en mettant en contact des gens qui ont le même désir, même s’ils ne vivent pas en conjugalité : les célibataires, les homosexuels, les couples infertiles. Cela permet beaucoup d’options : à par les gamètes frais, il y a aussi aujourd’hui 200 000 embryons surnuméraires, restes des PMA qui n’ont pas abouti. On ne sait pas ce qu’on va en faire. Si on ne les fait pas naître, ils seront soit détruits, soit donnés à la science, ce qui devient dangereux. Ce que nous proposons, c’est que les parents qui ont des embryons ou n’en veulent plus les confient, en coparentalité aux couples qui n’ont pas d’enfants et en veulent. Deuxièmement, idem pour le fœtus d’une mère qui ne veut pas le garder. Au lieu d’accoucher sous X et de déboucher sur cet atroce circuit d’adoption, nous proposons, de la même manière, qu’il y ait un système de mise en relation, que la mère abandonne son autorité parentale, que le bébé naisse et soit élevé en coparentalité.
La GPA est une marchandisation du corps humain. Dans d’autres pays est pratiquée une GPA non rémunérée, est-ce pour autant éthique ? Que faire des enfants conçus par GPA en dehors de la France ?
Non. Il n’y a pas de GPA, il y a une mère et un père. La coparentalité règle aussi ce problème. Mais comme le but est de passer par un marché de la fécondation transmutante, on la bloque à tous les degrés. Nous proposons le modèle inverse, qui permet de ralentir considérablement la course à ce marché.
La justice a tranché, et ces enfants se voient reconnaître leur mère d’intention. Ils sont français et reconnaissent leurs parents d’intention, mais ils n’ont pas de parents génétiques, ce qui est un problème. La mère d’intention est reconnue et va être reconnue dans la loi. On brise vraiment une règle antique, qui disait que celle qui accouche est la mère, qui est remplacée par celle qui a commandé l’enfant. C’est une honte. Nous proposons que la mère stérile se rapproche avec le père d’une femme qui portera l’enfant, qui sera la mère ni biologique. Il y a toujours, toujours, une filiation biologique. Cela évite les manipulations aveugles de semences et d’embryons sur laquelle il n’y a pas de contrôle. Au-delà, ce qui ne me convient pas, c’est qu’il n’y ait pas de géniteur connu. On assigne aux femmes une reproduction sans hommes. Or, ces femmes, aujourd’hui, n’ont pas voix au chapitre. 23 millions d’hommes et de femmes ne savent pas qu’ils pourraient demander autrement.
On constate avec ce sujet une référence constante à l’éthique, mais comment concilier réellement l’éthique avec un monde en constant changement ?
La bioéthique, c’est bien cela. Ce sont des lois qui viennent avaliser l’innovation technologique. Il y a là aussi un paradoxe absolu : une personne humaine, par nature, est biologique. Il y a des sciences et des technologies qui lui sont proposées, mais on ne lui dit jamais pour aller où et pour faire quoi. En l’occurrence, dans la loi Taubira-PMA – parce que pour moi, c’est une continuité – et demain la GPA, l’enfant n’a plus de droit à sa fécondation libre par son géniteur. Pour nous, ce qui est éthique, c’est que c’est que toutes personne soit en mesure d’avoir en enfant. Ce qui reste éthique, c’est que parallèlement, on ne supprime pas le droit humain de l’enfant à avoir une fécondation de ses deux géniteurs. Ce qui nous semble éthique et donc bioéthique, c’est le maintien de l’humanité bio-humaine et non pas transhumaine. Pour nous, la PMA avec le marché des semences, c’est le chemin vers la transhumanité. Ce qui est bioéthique pour l’avenir pour tous, c’est qu’à l’égalité des droits des adultes d’être parents en dehors du couple conjugal, c’est que l’enfant a droit à être conçu et à avoir une filiation juridique conforme à ses deux géniteurs connus, homme et femme, père et mère. On ne peut pas prendre des semences sans savoir d’où elles viennent. On ne doit pas dissocier les semences des personnes. Il y aurait les parents supplémentaires qui sont les non-géniteurs. Nous les institutionnalisions dans la coparentalité : il y a les deux géniteurs et son éducateur conjoint d’un des deux géniteurs. Et s’il y a deux couples, il y aurait quatre parents.
Un mot de conclusion ?
Pour le 6 octobre, les organisateurs font depuis septembre des conférences de presse, des rassemblements, en nous excluant, nous et nos propositions. Comme nous sommes exclus, elles ne sont portées par personne, ni dans les médias, ni dans les populations, ni dans les partis politiques de droite et en particulier pas par l’Eglise ou ses réseaux. Il y a un problème de démocratie, de représentation : comme la population ne connaît pas, elle ne peut pas adhérer. Il faut que tous les représentants aujourd’hui de ce qui permet de fonder des familles sans effacer la filiation sexuée soient présents le 6 octobre : il y a ceux qui se cantonnent au couple homme-femme, et nous qui proposons l’élargissement de la famille. Il faut que tous les citoyens soient la barrière éthique à cette loi de fécondation transhumaine. Je conclus en disant que c’est aux citoyens eux-mêmes de réclamer tous leurs représentants connus, publics. Sinon, cela sera une manifestation qui refuse aux femmes leurs enfants, donc pour la fécondation anonyme.
Propos recueillis par Paul Gallard et Julien Neter pour Droite de Demain
Pour aller plus loin : http://www.avenirpourtous.fr/