« Je me suis entraîné comme un acharné. J’ai assumé mon rôle de favori. J’ai ramené l’or en France. J’ai porté haut le drapeau. J’étais sur un petit nuage. Le réveil fait mal. En 2024, avec votre soutien, je veux défendre mon titre olympique à Paris. »¹ s’exprimait le Champion Olympique de Karaté Steven Da Costa.
Par communiqué de presse du 12 août 2021², l’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024 confirmait le retrait du Karaté du programme olympique pour 2024, conformément à la décision du Comité International Olympique (CIO) de décembre 2020. Paris 2024 explique tout d’abord que, « le programme est définitif et ne pourra plus subir de modification », même si le Texte d’application de la Règle 45 de la Charte Olympique³ semble démontrer le contraire puisqu’il dispose que le programme des sports olympiques peut être amendé sur proposition de la commission exécutive du CIO, après accord entre le Comité d’organisation des Jeux Olympiques (COJO) de Paris 2024, la Fédération Internationale correspondante et le CIO, au plus tard trois ans avant l’ouverture des JO concernés. Nous sommes en 2021, les JO sont en 2024, il semblerait que tout espoir n’est pas définitivement perdu pour le Karaté !
Cependant, l’organisation des Jeux de 2024 restait inflexible au sujet de l’éventuelle réintégration du karaté au programme, notamment en justifiant cela par le fait que de nouvelles normes furent édictées pour limiter la dimension des JO, que les athlètes des nouveaux sports sont désormais intégrés au quota global des athlètes (nombre de 10.500 maximum⁴), et que cela avait pour conséquence de réduire le nombre de sports additionnels à 4, et non à 5 comme pour les JO de Tokyo, tout cela au détriment du Karaté. Enfin, Paris 2024 finissait en expliquant que les 4 sports additionnels seront le breaking (ou communément le breakdance), l’escalade, le skateboard ainsi que le surf, tout en arguant que ce choix fût guidé par « l’identité de ces sports jeunes, accessibles et connectés avec leur époque en cohérence avec la vision de Paris 2024 ».
Conclusion assez décevante pour le Karaté ainsi que ses pratiquants, car le Karaté ne seraient donc pas un sport « jeune, accessible, connecté » et surtout, qui ne serait pas en « cohérence avec la vision de Paris 2024 ».
Pour rappel, la Fédération française de Karaté, qui accueil plusieurs discipline, c’est 256.565 licenciés (avec 168.043 sur le Karaté) dont plus de 50 % sont des jeunes, ce qui en fait la première fédération de karaté au monde !⁵ A l’inverse l’escalade compte 107.828 licenciés⁶, 80.000 pour le surf (qui compte entre autre 680.000 pratiquants non-licenciés à l’année)⁷, 6.000 pour le breakdance⁸ et 3.253 pour le skateboard.⁹ Le nombre de licenciés n’est cependant pas le seul indicateur à prendre en compte puisque nombre des sports précédemment mentionnés sont pratiqués hors des fédérations sportives.
La popularité des différents sports additionnels proposés auprès des jeunes par l’organisation de Paris 2024 n’est également pas mise en doute, même s’il convient de rappeler que le Karaté jouit lui aussi d’une certaine popularité auprès des jeunes, notamment puisque le nombre de pratiquants jeunes est supérieur à la catégorie senior.
L’objectif ici n’est également pas de s’en prendre à telle ou telle pratique sportive, bien au contraire, et en restant dans l’esprit de notre champion Olympique français Stevan Da Costa, l’objectif n’est pas d’exclure un sport au détriment d’un autre.¹⁰ Même si après tout, il est légitime de douter sur la qualification de « sport » du breakdance.
Steven Da Costa rappelait que « On ne veut remplacer aucun sport, on veut juste être ajouté et être le cinquième sport additionnel », et réfutait la décision de l’organisation des JO de 2024 qui se basait sur le critère de « l’impact des 4 sports additionnels sur la jeunesse » en précisant que cette décision était incompréhensible du fait que les organisateurs se tournaient vers une logique « d’audience et d’argent », ce qui sort des valeurs olympiques.¹¹
Cependant, certains doutes sur la nature d’un de ces « sports » additionnels se posent légitimement. Il s’agit en effet du breakdance. Cette pratique est-elle un sport ? Il semblerait que non.
Pour commencer, le breakdance (nommé « breaking » par le COJO 2024) fait parti de la Fédération française de Danse, bien que reconnu comme « sport de haut niveau » par la France en 2019.¹² Son statut semble lui aussi particulier, puisqu’il est à la fois reconnu par le Ministère de la Culture et le Ministère chargé des sports, mais in fine, le breakdance de la notion d’art que de celle de sport. Il faudrait cependant s’attarder sur la définition de ce qu’est un sport pour déterminer si le breakdance en est un.
Juridiquement, la Charte Olympique ne définit pas précisément ce qu’est un sport, bien qu’elle utilise certains critères tels que les caractéristiques techniques du sport (infrastructures..etc), sa popularité ainsi que son universalité afin d’intégrer un sport au sein de son programme olympique.
Au niveau européen, c’est la Charte européenne du sport de 1992 qui tente de donner une définition juridique au sein de son article 2 : « On entend par « sport » toutes formes d’activités physiques qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition de tous niveaux. »¹³ Mais ce texte a surtout un objectif de promotion du sport dans les Etats européens et n’a donc pas véritablement de valeur contraignante.
Au niveau français, les textes sont également silencieux et il n’y a pas véritablement de définition juridique dans le corpus législatif français à proprement parler. Ce qui pose certains problèmes pratiques puisque certaines pratiques vacillent entre l’activité sportive et l’activité de loisir.¹⁴ Le Conseil d’Etat a par exemple considéré que le bridge n’était pas un sport du fait « qu’il ne tend pas à la recherche de la performance physique »¹⁵, ce qui n’a pas empêché la Fédération française d’échecs de recevoir un agrément du Ministère des sports !¹⁶ Mais le Conseil d’Etat avait déjà fixé certaines limites puisqu’il avait rejeté la qualification de sport pour le paintball en 2005 en motivant qu’un sport en est un lorsqu’il s’adresse à « des sportifs qui recherchent la performance physique au cours de compétition organisées de manière régulière sur la base de règles bien définies. »¹⁷ Le Conseil d’Etat a ainsi fait une véritable travail de définition juridique, mais cela reste dans un cadre français et le Droit ne peut malheureusement pas avoir de réponses définitives sur le sujet.
De son côté, le Baron Pierre de Coubertin, l’Homme qui est à l’origine de nos Jeux Olympiques modernes, considérait en son temps que « le sport est le culte volontaire et habituel de l’exercice musculaire intensif appuyé sur le désir du progrès et pouvant aller jusqu’au risque. »¹⁸ Cette définition était toutefois incomplète, notamment avec les nombreuses évolutions que le sport va connaître durant le XXe siècle jusqu’à nos jours.
Il faut donc aller chercher du côté des experts qui, de manière quasi-unanime, s’évertuent à définir le sport comme « une activité physique pratiquée en compétition selon les règles d’une fédération »¹⁹, et dont « la perspective compétitive [étant] inhérente au sport. »²⁰ Un sport est donc globalement définit comme une activité physique règlementée ayant un objectif compétitif !
De ce fait, le breakdance est-il un sport ?
Il est indéniable que la pratique du breakdance nécessite des capacités physiques importantes ainsi que l’entrainement nécessaire pour parvenir à de telles capacités. Cependant, le breakdance, à l’image des autres types de danse, s’illustre par la capacité créative ainsi que de la production artistique de ses pratiquants.
D’autre part, le breakdance est rattaché à la Fédération française de danse. Il n’a donc pas à proprement dit de fédération sportive, la compétition phare étant organisée par la marque de boissons énergétiques Red Bull, et les confrontations, qui sont organisées sous forme de « battles », n’ont pas de règlementation précise et sont encadrées par un jury.²¹ L’introduction du breakdance dans le programme olympique créé également des controverses puisque cela va conduire à changer cet art en sport. Une règlementation sera donc nécessaire pour que la pratique rentre dans les standards sportifs, et cela n’est pas forcément du goût de tous les acteurs de l’art, puisque pour la sociologue Roberta Shapiro « A partir du moment où il existe des règles et qu’une pratique est codifiée, on s’éloigne de l’art. »²²
Pour finir, si le breakdance tend à évoluer de l’art vers le sport, est-il pertinent de l’inclure au programme olympique, alors qu’il est organisé comme un sport depuis peu (Jeux Olympiques de la jeunesse), et tout cela au détriment de sport tel que le Karaté, sport millénaire, qui était lui aussi un art initialement (et qui reste toujours un art martial ou un art de vivre pour certains pratiquants !), mais qui est organisé en forme de compétition depuis un certain moment (les premiers championnats du monde eurent lieu en 1970 à Tokyo).
Pour revenir au Karaté, la lutte pour la réintégration au programme olympique est loin d’être terminée, et la Fédération française de Karaté n’a pas dit son dernier mot puisque dans son dernier communiqué de presse, la FFK affirmait que « Nous continuerons de défendre notre cause pour que le karaté soit à Paris »²³, cela faisant écho aux déclarations du Président de la FFK qui rappelait à Tony Estanguet, l’ancien champion olympique de canoë-kayak et Président du COJO de Paris 2024 qui maintenait ses positions sur la non-réintégration du karaté pour les JO 2024, que la même situation s’était produite pour les JO de Sydney avec sa discipline, et qu’elle fût malgré tout remise au programme !²⁴
Du côté des politiques, ce sont près de 60 députés qui ont immédiatement soutenu la démarche de Steven Da Costa en écrivant une lettre ouverte à Tony Estanguet²⁵, ainsi que la Ministre déléguée aux sports, Roxana Maracineanu qui promet d’écrire au CIO tout en rappelant qu’il y a une cinquième place disponible pour les sports additionnels.²⁶
Il y a donc encore de l’espoir pour voir le Karaté réintégrer le programme des Jeux Olympiques de Paris en 2024 !
Alexandre SARADJIAN
Membre Fondateur – Droite de demain
Sources :
¹ https://twitter.com/Steven_DaCosta/status/1425406301060935681
³ 1.2 Texte d’application de la Règle 45 de la Charte Olympique en vigueur au 17 juillet 2020 : « Sur proposition de la commission exécutive du CIO après accord entre le COJO correspondant, la FI correspondante et le CIO, le programme des sports peut être amendé par décision de la Session au plus tard trois ans avant l’ouverture des Jeux Olympiques concernés. »
⁴ 3.2 Texte d’application de la Règle 45 de la Charte Olympique : « Sauf autre accord avec le COJO correspondant, les nombres approximatifs suivants s’appliqueront : – concernant les Jeux de l’Olympiade, dix mille cinq cent (10 500) athlètes, cinq mille (5 000) entraîneurs et autres membres du personnel d’encadrement des athlètes, pleinement accrédités, et trois cent dix (310) épreuves. »
⁵ https://www.ffkarate.fr/wp-content/uploads/2019/08/BROCHURE_CHIFFRESCLES_2019-2020_WEB.pdf (A jour depuis Septembre 2019)
⁶ https://www.ffme.fr/ffme/la-federation/ (A jour depuis la fin de saison 2020)
⁷ https://www.surfingfrance.com/presse/la-ffs-en-chiffres-2017.html (A jour en 2020)
⁸ https://www.rtl.fr/sport/autres-sports/jo-2024-le-breakdance-discipline-olympique-7797000652 (2019)
⁹ https://ffroller.fr/les-disciplines/skateboard/ (2020/2021)
¹⁰ https://twitter.com/Steven_DaCosta/status/1425807933837910022
¹² https://breaking.ffdanse.fr/
¹³ Article 2.1.a de la Charte Européenne du sport adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 24 septembre 1992 et révisée le 16 mai 2001.
¹⁴ BUY F., MARMAYOU J-M., PORACCHIA D., RIZZO F., Droit du Sport, LGDJ, 6e édition, 2020, p. 20
¹⁵ Conseil d’Etat, 26 juillet 2006, Fédération française de bridge, n°285529
¹⁶ Arrêté du Ministère des sports du 19 janvier 2000 relatif à l’agrément de l’association dite « fédération française des échecs » pris alors que Marie-George BUFFET était Ministre.
¹⁷ Conseil d’Etat, 13 juillet 2005, Fédération de paintball sportif, n°258190
¹⁸ DE COUBERTIN P., Leçon de pédagogie sportive, Lausanne, La Concorde 1921 via BUY F., MARMAYOU J-M., PORACCHIA D., RIZZO F., Droit du Sport, LGDJ, 6e édition, 2020, p. 22
¹⁹ MAGNANE G., Sociologie du sport, Gallimard 1964 ; PARLEBAS P., Eléments de sociologique du sport, PUF 1986 ; BROHM J-M., Sociologie du sport, Paris ; DELARGE J-P., Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1993 ; PERELMAN M., Le sport barbare, Michalon 2008 via BUY F., MARMAYOU J-M., PORACCHIA D., RIZZO F., Droit du Sport, LGDJ, 6e édition, 2020, p. 22
²⁰ HEBERT G., Le sport contre l’éducation physique, Librairie Vuibert, Paris, 4e édition, 1946 ; BOUET M., Signification du sport, Editions universitaires, Paris 1968 via BUY F., MARMAYOU J-M., PORACCHIA D., RIZZO F., Droit du Sport, LGDJ, 6e édition, 2020, p. 22
²¹ MATHOUX H., « Breakdance plutôt que karaté aux JO de Paris : moins d’olympisme, plus de marketing », Marianne, 12 août 2021
²² MOGHADDAM F., « Le breakdance aux Jeux olympiques : la crainte de dénaturer un art », France culture, 30 juin 2019
²⁶ COUSIN V., interview de Roxana Maracineanu : « Pourquoi Roxana Maracineanu soutient Steven Da Costa dans son combat pour la présence du karaté aux JO 2024 », Le Parisiens, 12 août 2021