Julien Aubert, « L’esprit de la Vème République a été dénaturé »
Julien Aubert, « L’esprit de la Vème République a été dénaturé »

Julien Aubert, « L’esprit de la Vème République a été dénaturé »

Julien Aubert a été député du Vaucluse de 2012 à 2022 et est Président de Oser la France.

Vous faites partie des députés LR qui ont subi le triste sort de la défaite aux dernières législatives. Vous avez pourtant été un député actif, travailleur et qui a marqué les esprits au Palais Bourbon. Quel bilan retenez-vous de vos deux mandats ? Quels engagements et/ou actions vous ont particulièrement marqués ?

Le bilan que je fais, c’est que le travail parlementaire ne paye pas forcément pour être réélu. De plus, le Parlement a perdu de sa superbe, en partie à cause des lois de moralisation et du non cumul des mandats. Dès lors, le mandat de parlementaire est un mandat qui, peu à peu, s’affaiblit, on le constate d’ailleurs déjà chez les nouveaux arrivants. Si l’on ajoute à cela l’instabilité électorale et les contraintes diverses – notamment professionnelles -, le mandat de député n’est pas un mandat facile.

Néanmoins, je retiens quand-même une période passionnante durant mes deux mandats de député. J’ai assisté à l’implosion du système politique macronien, aux échecs de ce « nouveau monde » et ses tentatives de renouvellement.

Je retiens aussi tous les combats majeurs de cette dernière décennie, notamment celui contre le mariage pour tous, celui en faveur du nucléaire qui a d’ailleurs permis de faire évoluer les positions des réfractaires à cette énergie décarbonée. J’ai eu la chance de connaître des débats passionnants en la matière, comme ceux sur la loi ROYAL – relative à la transition énergétique. J’ai aussi assisté aux tergiversations et renoncements d’Emmanuel MACRON sur le nucléaire, qui disent beaucoup de son action à la tête du pays.

Mais je retiens aussi à l’évidence des épisodes tragiques. Le terrorisme en fait partie, or on l’a malheureusement oublié. Durant cette période marquante des dix dernières années, les parlementaires, malgré la chape de plomb pesant sur eux, ont su faire preuve d’un réel sens des responsabilités. Un sens des responsabilités qu’on a de nouveau reconnu au moment de l’assassinat de Samuel PATY.

La situation politique actuelle rend compte de l’affaiblissement du pouvoir présidentiel, Emmanuel Macron devant négocier avec plusieurs forces politiques s’il entend faire passer les textes qu’il souhaite. Vous qui êtes un gaulliste convaincu, pensez-vous que cette situation où, finalement, le régime parlementaire reprend du poil de la bête, est envisageable conformément à l’esprit de la Vème ?

L’esprit de la Vème République a été dénaturé, c’est la raison pour laquelle nous sommes plongés dans cette situation. Le quinquennat d’Emmanuel MACRON a contribué, lui aussi, à cette dénaturation par sa pratique du pouvoir jupitérienne et ses promesses mirifiques non réalisées. Ajoutons à ce constat les nombreux partis favorables à la proportionnelle dont la conséquence directe et connue de tous est l’absence de majorité, et donc une entorse, une fois de plus, à l’esprit de la Vème. Une autre entorse est l’effacement du Premier ministre, du fait de la présidentialisation, si bien qu’on se retrouve désormais dans une situation où Emmanuel Macron doit constituer le gouvernement, alors même que ce n’est pas sa mission. En définitive, on voit où nous ont mené ces deux décennies d’ingénierie institutionnelle qui voulaient faire évoluer la Vème République, soit vers un régime parlementaire, soit vers un régime présidentiel. On constate aujourd’hui que cela est voué à l’échec, il faudra donc en tirer les conclusions et revenir à l’essence des équilibres de la Vème République.

Ensuite, – et c’est vieux comme le monde – on constate dans beaucoup de pays que, du fait du scrutin proportionnel, il n’y a pas de majorité, ce qui ne leur empêche pas d’avancer politiquement par la recherche de compromis. Simplement, on n’a pas cette logique de compromis en France. D’ailleurs, ce qui est amusant de constater c’est que ce sont les partis qui réclament le plus la proportionnelle qui sont aujourd’hui les plus opposés aux compromis… Ce sont le Rassemblement national et La France Insoumise qui réclament toujours la proportionnelle mais qui rejettent tout compromis pour ne pas donner de majorité stable à l’Exécutif. On ne voit donc pas vraiment où est leur cohérence d’esprit.

Vous avez récemment pris position pour un gouvernement d’union nationale allant du RN à la NUPES, s’il devait y en avoir un. Les deux partis à l’extrême de l’échiquier politique pourraient donc s’entendre politiquement, vous pensez ?

Il y a deux alternatives. Soit la stabilité, soit une solution comme l’a proposé Emmanuel Macron qui serait celle d’une « troisième force », sans la présence ni du RN ni de LFI et qui serait donc un grand gloubi-boulga de tous les partis à l’exception des deux premiers. J’utilise l’expression « troisième force » à dessein, car c’est exactement l’idée qu’avaient eu les pères de la quatrième république en 1947 pour bloquer le RPF et le PCF, cela n’avait duré qu’un temps !

Quand je pense à « gouvernement d’union nationale », j’entends par là une manière de répondre à ce qu’ont exprimé les Français par le scrutin, c’est-à-dire l’absence d’une orientation politique claire, qui mène aujourd’hui à un Parlement éclaté. D’ailleurs, je crois que le président lui-même ne connaissait pas sa propre orientation politique.

Ce qui doit être noté aussi c’est que, dans ce contexte de Parlement éclaté, nous traverserons des périodes de crises majeures. On pourrait pourtant faire de cette faiblesse d’éclatement du Parlement une force, en formant un gouvernement qui n’exclue pas le RN et LFI. À défaut, ces deux formations politiques incarneront la seule opposition et prospéreront sur les difficultés que nous allons connaître.

Voilà pourquoi, je pense qu’essayer de trouver – le tenter au moins – un accord a minima sur les problèmes de pouvoir d’achat, ceux de la réforme des retraites,     sur la réindustrialisation du pays ou encore sur notre politique écologique, permettrait d’avancer dans le souci de l’intérêt national. Il y a des convergences possibles entre ces formations politiques. Je pense même qu’il y a plus de convergences entre le RN et LFI sur le plan économique, qu’entre les partis que compte réunir Emmanuel Macron pour former son gouvernement.

En ce sens, le clivage gauche / droite est-il toujours pertinent à vos yeux ? Ou les nouveaux clivages pensés par Jérôme Sainte-Marie par exemple, sont voués à déterminer l’avenir de l’échiquier politique ?

Les deux. Jérôme Sainte-Marie a raison, car l’on voit se dessiner à la perfection sa prédiction des blocs populaire et élitaire. Mais en même temps, on note bien l’échec du dépassement de la droite et de la gauche. Celui qui bloque le jeu en ce moment c’est Ensemble ! S’il y avait un bloc de gauche et un bloc de droite, on saurait identifier si la majorité de l’Assemblée est à gauche ou est à droite. Sauf qu’en l’état actuel, on a une minorité de droite, une minorité de gauche et une minorité ni-droite ni-gauche, à tel point qu’il est d’ailleurs difficile d’identifier le réel poids des forces en présence.

Toutefois, pour un président qui voulait supprimer le clivage droite-gauche, il se retrouve quand-même avec un retour en force de la gauche toute, car lui-même est allé à droite sur de nombreux sujets pour paralyser Les Républicains, lesquels restent cependant vivants !

D’ailleurs, à l’issue de ces législatives, comment la droite peut-elle reconquérir les électeurs qu’elle a perdus et redevenir un grand mouvement populaire selon vous ?

Pour cela, il faut tout changer, à commencer par le logiciel économique. Il faut d’abord comprendre pourquoi les gens, les gens du peuple, ne votent plus pour nous : car les solutions économiques que l’on propose depuis trente ans ont des effets néfastes qui commencent à se faire sentir.

En fait, il y a deux effets que les Français voient : premièrement, le déclin économique ; deuxièmement, le naufrage d’une société avec ces ghettos qui se multiplient, l’insécurité grandissante et l’immigration incontrôlée. C’est donc sur ces deux sujets-là que Les Républicains doivent être de force de propositions et rompre avec le passé, ce qui suppose peut-être aussi d’arrêter d’euphémiser la situation et, par ailleurs, d’être capable de faire le bilan de notre passé. On n’a ni fait le bilan du chiraquisme ni fait celui du sarkozysme. On devrait le faire ! Ce serait l’occasion de couper les ponts avec un héritage qui ne nous a pas toujours réussi.

À ce propos, Éric ZEMMOUR voyait en l’union des droites qu’il appelait de ses vœux, un potentiel renouveau de l’ancien RPR gaulliste capable de reconquérir les Français. Mais, vous qui connaissez le gaullisme par cœur, Reconquête ! incarne-t-il vraiment cet ancien RPR gaulliste ?

J’estime que Reconquête ! est passé à côté des classes populaires car son programme était trop libéral en matière économique et correspondait à celui du Front national des années 1980. De plus, Reconquête ne peut pas être le RPR des années 1990, précisément car aucun de ses membres n’était au RPR à cette période !

J’ajouterais que la stratégie d’Éric ZEMMOUR se termine par un échec patent. Reconquête ! n’a aucun élu. Il a réussi, en présentant des candidats partout,              à affaiblir la droite. Dans ma circonscription, j’avais un candidat Reconquête face à moi, il n’a rien reconquis, mais par contre il a aidé Ensemble ! à prendre un siège… Par ailleurs, ZEMMOUR a dé-diabolisé celle qui voulait abattre, Marine LE PEN, qui n’a jamais été aussi forte. Et, en ayant une obsession sur l’immigration et l’islam, il a, je pense, amplifié le vote communautaire des musulmans en faveur de La France insoumise et, en ça, il a dopé la NUPES. Donc le bilan, je ne crois pas qu’il soit très favorable…

Vous êtes fondateur et président du mouvement gaulliste Oser la France. Quel avenir espérez-vous pour lui, et surtout, quel avenir espérez-vous pour vous-même ?

On n’est jamais mort en politique. Je pense que cette période d’arrêt est une période de réflexion, d’introspection. Les traversées du désert, ça existe.

J’estime que le projet d’Oser la France est un projet d’avenir. Peut-être faut-il le moderniser, améliorer notre stratégie de communication, mais il y a bien là quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs, une substance, une idée, quelque chose autour de laquelle les Français se retrouvent. D’ailleurs, on voit bien qu’en votant RN, ils espèrent le retour de la France, du pays. Ce retour de la France, Oser la France le porte aussi !

Cependant, les origines du RN font qu’une partie des Français a peur de mettre son bulletin dans l’urne. Pour les Français qui votent LR, ils aspirent à la liberté, à la responsabilité qu’ils ne retrouvent pas forcément au RN. Mais il y a aussi, je pense, une partie de la gauche qui est orpheline aujourd’hui, la gauche patriote. C’est l’occasion de fédérer toutes les forces qui aiment la France et de les faire dialoguer entre elles.

Le mouvement Oser la France est justement un exemple de mouvement qui comprend des membres des Républicains – même s’il n’y a pas de lien organique entre les deux -, comme des gens de Reconquête, d’autres du RN ou encore d’autres issus de la gauche. Je pense que c’est cette voie que l’on doit suivre pour reconquérir le cœur des Français.

Propos recueillis par Romain Lemoigne

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