Laurence Trastour-Isnart, « La France est un pays libre et la femme doit être en sûreté partout »
Laurence Trastour-Isnart, « La France est un pays libre et la femme doit être en sûreté partout »

Laurence Trastour-Isnart, « La France est un pays libre et la femme doit être en sûreté partout »

Bonjour Madame Trastour-Isnart. Votre rôle à l’Assemblée nationale vous permet d’être au plus près des débats concernant le droit des femmes. Quelles sont les difficultés encore récurrentes dans la société française ?

L’égalité entre hommes et femmes est inscrite dans le Préambule de la Constitution à l’alinéa 3. Il affirme que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Il y a donc encore beaucoup à faire pour atteindre cet objectif.
De nombreux stéréotypes sociétaux perdurent et malgré une réelle progression, nous sommes toujours confrontés à des inégalités femmes-hommes en matière d’éducation, de mixité de l’orientation et de l’insertion professionnelle des jeunes diplômées, mais aussi de promotion des femmes et de leur position dans les instances dirigeantes et les conseils d’administration des entreprises.
Des améliorations doivent être envisagées dès la petite enfance car les enfants sont principalement élevés par des femmes. Les personnels des structures d’accueil des jeunes enfants, les assistants maternels et les enseignants du premier cycle sont très majoritairement des femmes. Cela crée chez nos enfants une image très stéréotypée qui n’est pas égalitaire. Les métiers de services sont occupés par des femmes. L’école ne donne pas encore suffisamment d’ambition aux filles et n’ouvre pas l’esprit au panel des métiers qu’elles pourraient occuper. Dans l’enseignement supérieur, je regrette les disparités qui sont encore très prégnantes. Les grandes écoles spécialisées dans l’ingénierie ou les nouvelles technologies sont plus difficilement accessibles pour elles. La Conférence des Grandes Écoles l’a démontré dans son baromètre annuel, il faut donc des objectifs clairs de progression malgré les résistances et les difficultés. Le comportement entre étudiants peut en faire partie, car il n’est pas irréprochable dans certaines écoles ou secteurs, et il peut être un véritable frein pour les jeunes femmes.
Concernant l’emploi, les femmes sont plus concernées par les temps partiels imposés et plus souvent touchées par la précarité et par les inégalités salariales. Pour un même poste et pour un même niveau de compétences, il n’y a pas forcément le même salaire entre un homme et une femme. Dans la vie de l’entreprise, une femme ose moins briguer des postes à responsabilités. Elle se questionne et ne postule que lorsqu’elle est certaine d’en avoir les compétences… ce qui est moins le cas chez les hommes.

On vous sait très active sur la question des violences conjugales, est-ce que le décret de Nicole Belloubet était allé assez loin pour aider les femmes victimes de ces violences ?

Non, ce décret ne va pas assez loin. Il faudrait qu’une chaîne vertueuse se mette en place afin d’apporter une aide concrète aux victimes. Prise en compte du logement, soutien moral, écoute et suivi psychologique, facilitation du retour à l’emploi ou accompagnement au sein de l’entreprise… Il faut prendre en compte tous les paramètres qui entourent le cadre de vie de la femme pour assurer sa protection. La justice doit punir plus vite et plus fermement dès les premières alertes et ne pas attendre que la situation se dégrade et que les faits deviennent graves.
La sortie de prison du conjoint violent doit être encadrée vis-à-vis de la victime. Quand un homme violent sort de prison, la femme n’est plus forcément protégée. Le téléphone « grave danger » et le bracelet anti-rapprochements représentent des avancées positives mais cette mise en protection doit être rapide et mise en place dès les premières violences sans attendre des récidives. Les peines doivent être exemplaires dès les premières violences.
Dans le domaine des violences conjugales, la mauvaise estimation des risques encourus par la victime reste encore malheureusement d’actualité. En temps qu’élue, il est pour moi essentiel de se mobiliser et de mieux sensibiliser sur cette triste réalité afin que la police et la justice redoublent de vigilance sur cette dramatique situation. Globalement, la situation des victimes de violences intrafamiliale doit être largement améliorée.

Sur la question juridique du terme « féminicide », pensez-vous que cette notion soit adaptée ? Ses opposants critiquent la possible dérive de hiérarchisation des crimes ?
Le terme « féminicide » me convient. Il y a une hiérarchisation morale des crimes. Être assassinée par la personne à qui l’on a donné toute sa confiance, par celle qui doit vous protéger, c’est pire que d’être assassinée par un étranger même si la finalité est la même !

Est-on suffisamment armé juridiquement en matière de droits des femmes ?

Les textes juridiques existent, encore faudrait-il les appliquer convenablement dans tous les domaines ! Il faut une volonté commune. Plus que le droit, ce sont les mentalités qu’il faut changer.
Depuis plus de 10 ans, les chiffres n’ont pas suffisamment évolué. Une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups de son compagnon La marge de progression est donc bien grande et il est impératif d’être ferme.
Le féminicide commis le 4 mai à Mérignac aurait pu être évité. Chahinez a été brûlée vive par son mari qui venait d’être condamné pour violences conjugales et libéré sans que personne ne la prévienne ou ne mette en place une véritable protection pour elle. Je trouve inacceptable que cela puisse être encore possible et qu’il y ait de tels dysfonctionnements judiciaires. C’est même l’Inspection Générale de la Justice qui l’affirme dans son rapport d’octobre 2019, en évoquant « de véritables dysfonctionnements en matière de suivi des auteurs de violences et de protection des victimes ».

Quelle est votre position concernant le projet de Marlène Schiappa de « QSR : quartiers sans relou » ?

Le terme de « Quartiers sans relou » est choquant, car il est inapproprié et indigne d’une Ministre de la République. Marlène Schiappa, et plus globalement le gouvernement actuel, se prêtent régulièrement au jeu de la communication mais ne sont pas souvent dans l’action. J’ai écrit une tribune à ce sujet, parue dans Le Point, et j’ai interrogé la Ministre lors d’une séance de questions au gouvernement dans l’hémicycle. J’ai pu faire des propositions, notamment sur la sécurité des femmes dans la rue et dans les transports en communs. Le harcèlement de rue est un sujet majeur qui mérite plus qu’un baromètre annuel qui indiquerait aux femmes à quels endroits elles peuvent se rendre. La France est un pays libre et la femme doit être en sûreté partout, tout le temps. Nous devons tous être en sûreté, c’est une prérogative du gouvernement.
Soyons fermes et répressifs. Nous ne devons rien laisser passer. 3 000 verbalisations depuis 2018, c’est très insuffisant. Nous devons aussi aller plus loin sur les commerces qui refuseraient la présence des femmes ou les associations ayant fait l’objet de signalements pour sexisme ou harcèlement. Des fermetures administratives, des mises à l’amende ou des refus de subvention pourraient être envisagés. Mais plutôt que des actes forts et puissants, Marlène Schiappa a préféré lancer une déclaration choc qui ne fait ni avancer la cause, ni dissuader les agresseurs.

Les harcèlements de rue et « petites infractions » ne sont-elles pas finalement les vecteurs d’un sentiment d’insécurité pour de nombreuses femmes ? Faudrait-il sanctionner plus fermement ces infractions du quotidien qui pourrissent la vie des femmes ?

C’est l’un des principaux vecteurs d’insécurité pour les femmes et plus particulièrement pour les jeunes femmes qui, par ce type d’attitude, perdent une partie de leur liberté dans l’espace public et plus particulièrement la liberté vestimentaire. Pour avoir la paix dans l’espace public, elles s’autocensurent.
Il est donc essentiel de sanctionner plus fermement ces infractions tout en s’assurant que les femmes systématisent le dépôt de plaintes. Le dépôt de plaintes pour ce type d’agression doit être facilité au maximum et donner lieu a minima à une contravention. Il faut continuer à former les forces de l’ordre afin de prendre en compte toutes les demandes. Les femmes ne doivent pas se retrouver face à des situations embarrassantes, comme c’est parfois le cas.

On vous sait très engagée sur l’égalité des chances, comment continuer d’encourager les femmes à s’imposer dans certains domaines ? Comment aider ces jeunes femmes qui subissent des pressions sociales dans le choix de leurs métiers ou dans leurs pratiques sociales ?

C’est le rôle de notre système éducatif de valoriser l’égalité des chances pour toutes. La projection que donne l’enseignant sur la future vie professionnelle ne doit pas être stéréotypée. Pourquoi une fille serait-elle prédestinée à un CAP petite enfance ou coiffure plutôt qu’à un CAP mécanique ou métallurgie ? Ou à une formation littéraire plutôt qu’à une formation scientifique ?
Les religions exercent parfois de fortes pressions sociales sur les filles quant à l’image qu’elles doivent véhiculer ou leur rôle au sein de la famille. L’attitude des femmes adultes d’aujourd’hui influence les générations de demain. C’est pourquoi toute image de la femme qui pourrait être un signe de soumission ou d’infériorité par rapport à l’homme devrait être exclue de notre société. Il faut se donner les moyens juridiques mais aussi une véritable volonté pour changer la société.

Peut-on réellement lutter contre ce sentiment d’infériorisation que ressentent beaucoup de femmes, notamment au travail ?

Oui, avec une volonté collective. Si chacune et chacun se sent impliqué et concerné par ce sujet, c’est possible. Dans l’inconscient collectif, encore aujourd’hui on demande à la jeune fille et à la jeune femme d’être parfaite : avoir une belle tenue, être souriante, parler correctement… On a moins d’exigences auprès d’un jeune garçon. À l’âge adulte, cela crée le « syndrome de la bonne élève » qui laisse des traces. Il faut avoir les mêmes exigences envers les filles qu’envers les garçons afin de leur permettre de prendre confiance en elles et de lutter contre ce sentiment de ne jamais être à la hauteur et qui crée des freins communément appelés le « plafond de verre ».
Sur le sujet du monde du travail, je tiens tout de même à saluer la proposition de loi pour une « égalité économique et professionnelle réelle » qui a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en première lecture ce 12 mai. J’ai participé aux débats et à ce vote en approuvant cette loi parce que les objectifs quantitatifs vont être renforcés. Néanmoins, il y a encore des marges de progression et plus particulièrement dans le cadre des congés lors de l’accueil d’un nouveau né.
Je serai toujours du côté de ceux qui œuvrent pour l’égalité des chances et qui favorisent la féminisation des corps de métiers et des postes à responsabilités.

La Droite a-t-elle des combats à porter sur ces sujets sociétaux ?

Bien sûr. La droite a sa place et a des combats à porter sur tous les sujets qui concernent notre société. La politique familiale doit être équilibrée et incitative afin de permettre aux deux parents de concilier vie familiale et vie professionnelle.
L’instauration des peines planchers et la suppression des réductions quasi- automatiques de peines sont préconisées par la droite et permettraient de restaurer l’autorité de l’État face aux hommes violents et la protection que notre société doit à toutes les femmes. Il faut aussi augmenter le nombre de places de prison promises par le gouvernement pour s’assurer que les peines encourues soient bien réalisées.

De plus, il faut assurer une prise en charge des hommes violents pendant leur incarcération ainsi qu’à leur sortie. Un suivi médical est nécessaire, car l’individu violent doit sortir du schéma d’appropriation et de cette relation d’expression des sentiments par la violence. La sanction et la répression doivent être accompagnées de ce suivi psychologique.
Concernant le logement, qui relève de l’aide d’urgence, je préconise la création de nouvelles places d’hébergement pour les femmes victimes de violences. Les associations estiment que le besoin actuel se situe aux alentours de 2 000 nouveaux logements, tout en alertant sur l’inégalité de répartition de ceslogements sur le territoire. Il en va de la sécurité des femmes qui doivent être certaines de pouvoir être hébergées lorsqu’elles subissent des violences et qu’elles quittent leur foyer. Cette mesure coûterait 18,25 millions d’euros, c’est un coût que l’État peut et doit assumer au regard de l’enjeu.
Vous le voyez, la droite a beaucoup de combats à porter sur ces sujets !

Propos recueillis par Paul Gallard

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