TRIBUNE – Nous traversons une ère où la langue française est ‘déconstruite’, la pertinence de l’usage de certains termes est martyrisée, l’origine latine des mots est aux oubliettes. La censure lexicale devient la règle, la richesse de notre vocabulaire s’étiole, le champ des mots se consume. Cette volonté des déconstructionnistes et wokistes de ‘nettoyer’ notre héritage linguistique a deux effets pervers (le premier accentuant le second) : certains des adversaires de cette folie ressentent le besoin de faire usage de la ‘nouvelle’ sémantique pour exister ; notre pensée, dépossédée de plusieurs apophtegmes, est de plus en plus étriquée.
Par Romain Lemoigne (étudiant à Sciences Po Rennes et membre des Jeunes Républicains)
Loin d’une quête d’élévation par l’Instruction, l’on altèredésormais la transmission de savoirs les plus élémentaires, dont celle de notre culture, au profit de théories sans postulat rationnel, sans véracité certaine et qui concassent la sémantique. Aujourd’hui, pour décrire notre civilisation, certains groupes d’étudiants utilisent le terme ‘esclavagiste’ à foison, alors même que l’Occident fut le premier à rejeter l’esclavage et que, soit dit en passant, chaque culture l’a connu au moins un temps. Aujourd’hui, les black bloc et consœurs utilisent incessamment les expressions de « violences policières » et de « racisme systémique », tout en oubliant que les violences de la part de nos forces de l’ordre ne peuvent être que des « violences illégitimes » par nature (et non pas ‘policières’) – lesquelles sont extrêmement minoritaires – et que le racisme clivant et infantilisant les individus selon leur origine est précisément la destinée du conglomérat « d’études » de ceux qui prétendent le combattre. Aujourd’hui, le camp bien-pensant réduit de façon quasi-exclusive le logos (la raison) au pathos (l’émotion) ; en conspuant ceux qui nous protègent il déshabilite l’autorité et donc menace la pérennité de toute liberté ; avec la langue « inclusive » et affinités, il ‘déconstruit’ : son nouveau mantra ; l’usage sensé des mots de notre langue et leur éclat, sont instrumentalisés pour correspondre aux attendus de cette nouvelle doxa.
Pourtant, c’est en connaissant le foisonnement des termes de la langue de Molière et leur véritable sens que l’on développe notre capacité à juger et que l’on ménage, in fine, notre libertéde penser et d’agir. A contrario, le règne du mimétisme ambiant ne permet plus cette faculté, il ne fait que reproduiredes schémas arbitrairement conçus d’auto-flagellation de notre héritage et entrave la possibilité de tout jugement raisonné en éradiquant du dictionnaire tous les mots qui s’écartent de son organigramme de pensée. De nos jours, on assimile un professeur critiquant une religion à un individu raciste. En réalité, il s’agit pourtant ici de réintroduire un délit de blasphème – de fait – pour éviter toute forme d’offense, ce qui est à l’opposé d’une de nos valeurs cardinales : la liberté d’expression, laquelle en vient à être confondue avec la liberté de croyance. Notre civilisation s’estompe car elle n’a plus de limites – « no border » diront les black bloc -, on ne doit plus penser par nous-mêmes mais faire usage de théories et fondements qui sont à l’antithèse de notre modèle. Ainsi, l’on plonge dans l’hubris, c’est-à-dire la démesure. Gracian nous avait pourtant prévenus que la faculté de juger est moins une capacité qu’une exigence qui s’impose à tous. En définitive,cette manipulation par la perfidie sémantique et la décroissance des mots menace à terme notre liberté commune, donc notre avenir.
Certains des démiurges de la pensée unique qui censurent notre langue, que ce soit les mouvements « décoloniaux » ou les partisans de la langue « inclusive », ne voient pas que l’on traverse un moment charnière de notre histoire séculaire : si l’on continue à faire fi de tout critère de l’immuable pour penser et raisonner par les mots, et donc que l’on grave dans le marbre ce relativisme quasi-nihiliste, la perte de repères s’accentuera plus encore, un projet civilisationnel antithétique au nôtre – et faisant du théologique l’imperium – prendra de plus en plus corps sur nos terres. A contre-courant de cet engrenage mortifère qui est déjà tangible sur notre territoire (dans certains quartiers, la charia surpasse la loi civile pour régler les litiges ; dans d’autres, toute femme non-voilée est réduite à la portion congrue), l’assimilation à nos valeurs doit redevenir notre credo pour que l’on renoue avec une affectio societatis et que bientôt la République renoue avec sa dimension originelle : la res publica, laquelle valorise l’Engagement au service de la polis, soit la volonté de lier sa personne à quelque chose de plus grand. Ceci passe notamment par une maîtrise parfaite de notre langue et donc la fin des renoncements à son égard. L’immigration devra donc épouser l’assimilation, c’est-à-dire notre langue, nos mœurs et notre art de vivre, sinon, elle sera bientôt synonyme de partition. Car en effet, la langue n’est pas seulement communication, elle est aussi une manière de se représenter et de concevoir le monde, qui n’est pas celle des Anglais, des Arabes, etc. (Hannah Arendt avait d’ailleurs expliqué que ce qui lui restait de l’Allemagne – quittée de façon clandestine en 1933 – c’est sa langue maternelle, précisément car elle est la première ouverture au monde). Et c’est en cultivant la richessede cette langue – non pas en la paralysant à l’instar du nouveau courant de pensée – que l’on nourrit sa réflexion, que l’on s’instruit et donc que l’on peut envisager un avenir prospère. Ce n’est pas pour rien que l’école de Saint-Cyr, fondée en 1802 par Napoléon, eut – et a encore – pour devise : « Ils s’instruisent pour vaincre » !
Il nous oblige ainsi de préserver notre tréfonds linguistique et son ampleur manifeste, en n’adoptant guère plus longtemps la langue amputée de nos adversaires, à défaut de plonger dans une trahison sémantique lourde de conséquences. C’est avec cette préservation et une réhabilitation de l’autorité (et de sa vertu partout en France) – laquelle est nécessaire pour enseigner, instruire et former – que l’on redeviendra fiers d’appartenir à une Nation, ce plébiscite de tous les jours, cet héritage et cette dimension spirituelle chers à Renan.
Alors, profitons de la richesse de la langue française, qui, d’ailleurs, fut longtemps le sujet de concours de l’Académie de Berlin (« les raisons de la supériorité de la langue française ») pour s’opposer au nouveau totalitarisme de la pensée. Il est question ici du traitement d’un enjeu capital, nécessaire ausursaut français de demain, qui devra faire suivre la lexis (la parole) de la praxis (l’action).
Romain Lemoigne