Quelques nouvelles d’une Amérique perdue
Dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 janvier 2021, Twitter suspend définitivement le compte de Donald Trump. Plus tôt dans la journée du vendredi, la Présidente démocrate de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi avait appelé à lui retirer les codes nucléaires, après avoir, comme l’ensemble de son parti, exiger la démission de Mr. Trump et sa destitution en cas de refus. Retour sur la folle débâcle du bipartisme américain.
La chute du parti républicain
Le 3 novembre 2020, les électeurs républicains sont aux anges. Leur candidat remporte facilement la Floride et deux autres swings states, l’Iowa et l’Ohio. Après des jours de comptage, l’avance de Donald Trump s’effrite dans le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie et la Géorgie, et la victoire revient à son opposant démocrate Joe Biden. Au niveau national, un fossé de 7 millions de voix sépare les deux candidats. En réalité, l’élection était bien plus serrée, puisque Donald Trump aurait pu l’emporter en gagnant un total de 76 000 voix de plus, suffisant pour le faire passer en tête dans l’Arizona, le Nevada, le Wisconsin et la Géorgie, et ainsi obtenir 43 grands électeurs supplémentaires. Cet infime écart de voix est bien supérieur aux quelque 500 votes qui ont déterminé le résultat de l’élection présidentielle de 2000 en Floride, mais fut suffisant pour permettre à Donald Trump et à certains ténors du GOP comme Ted Cruz de mettre en doute l’honnêteté de l’élection.
Les accusations de fraude se sont multipliées dans l’Arizona, le Nevada, la Géorgie, la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin. Elles sont tombées les unes après les autres, face au manque de preuves fournies par les républicains. L’entêtement du Président américain à dénoncer des fraudes « massives » semble d’ailleurs avoir fini par décourager bon nombre de ses fidèles, qui ne se sont pas donné la peine de voter aux élections sénatoriales du 6 janvier en Géorgie. En conséquence, le parti démocrate a remporté deux sièges supplémentaires, de quoi s’assurer un contrôle fragile de la Chambre Haute.
Le 7 janvier suivant, Donald Trump organisait un meeting à Washington D.C., maintenant ses accusations et refusant d’évoquer une possible fin de Présidence le 20 janvier. À la suite de ce meeting, en pleine séance du Congrès réuni pour officialiser le vote des grands électeurs, d’ardents partisans du Président Trump ont envahi le Capitole, nourrissant le scénario apocalyptique prévu par l’establishment démocrate, qui condamnait le discours « anti-démocratique » et « dangereux » du Président. « Putsch », « Coup d’État », « terrorisme intérieur », « mise en danger du cœur de la démocratie américaine », tels étaient les réactions des démocrates, mais aussi de beaucoup de républicains, qui, comme une grande majorité de la population américaine, ont condamné cet événement.
Les limites du discours démocrate
Après les événements du Capitole et la confirmation par le Congrès de l’élection du 3 novembre, Nancy Pelosi lança les hostilités contre le Président Trump. Le moment était idéal. Le parti républicain, après avoir découragé ses électeurs en insinuant que voter était inutile, venait de perdre la crédibilité qu’il avait acquise durant les manifestations Black Lives Matter en se donnant l’étiquette du parti de la loi et de l’ordre. Mme Pelosi a donc demandé au Vice-Président Mike Pence d’invoquer le 25e amendement pour permettre la destitution de Trump. Face au refus de ce dernier, elle a annoncé que la Chambre des Représentants lancerait une procédure d’Impeachment. Elle est allée jusqu’à demander au Chef d’État-Major Mark Milley d’empêcher Donald Trump d’accéder aux codes nucléaires, craignant que le Président entraîne les États-Unis dans sa chute personnelle. Les attaques démocrates à l’encontre du Président américain peuvent sembler justifiées, mais minent en réalité tout l’argumentaire qui poussent le parti à agir ainsi : la protection des institutions. En lançant une procédure d’Impeachment à l’encontre de Donald Trump, le parti démocrate perd de sa crédibilité puisqu’il porte atteinte aux institutions qu’il affirme vouloir protéger. En effet, cette procédure n’a pas de sens puisque le Sénat n’exprimera son opinion à ce sujet qu’après l’investiture de Joe Biden. L’objectif est donc clair : miner Donald Trump, quitte à invoquer une procédure de destitution ne pouvant pas aboutir. Cette manœuvre politicienne met bien plus en danger les institutions des États-Unis que les meetings outranciers de Donald Trump, puisqu’elle donne à l’Impeachment une nouvelle fonction : celle pour un parti de se débarrasser politiquement de ses ennemis.
De leur côté, les réseaux sociaux, indéfectibles alliés de circonstance du progressisme, ont pris la décision de censurer Donald Trump. Instagram et Facebook ne lui permettent plus de communiquer, tandis que Twitter a définitivement suspendu son compte de 88,78 millions d’abonnés. Plus que maladroite, cette décision prise par les GAFAM a immédiatement exposé les limites des réseaux sociaux. Cette censure, condamnée par le Président mexicain lui-même, a été dénoncée partout en Occident, offrant à Donald Trump une position de martyr et de héros de la liberté. La plus grande erreur du camp démocrate fut donc de se féliciter à demi-mots de cette censure, une réaction qui pourrait fortement déplaire au peuple américain, bercé depuis des années par les prophéties trumpistes d’avènement d’un socialisme autoritaire aux États-Unis. La balle tirée sur Donald Trump s’est réfugiée dans le pied du parti de Joe Biden.
Perspectives d’avenir
Le chaos de ces trois derniers mois semble mener les États-Unis dans une impasse. Le parti républicain se divise entre l’establishment modéré de centre-droit et les trumpistes. Le parti démocrate se divise quant à lui entre l’establishment centriste et les socialistes presque assumés, représentés par Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez. Le bipartisme américain souffre depuis 2016 de profondes divisions internes entre des fractions radicales de plus en plus importantes et un establishment modéré de moins en moins audible. Le bipartisme est un système qui incite les partis à approuver le plus grand nombre d’idées possible, et ainsi à empêcher les citoyens de s’y identifier pleinement.
Les « divisions » créées par Donald Trump durant son mandat n’étaient en réalité que des prises de position claires et non consensuelles. Son objectif n’a jamais été d’unir son parti en mettant d’accord toutes les voix qui s’y exprimait, mais d’obtenir l’approbation des citoyens en adoptant une ligne claire. Contrairement à Ronald Reagan, qui gouvernait en cherchant l’approbation de ses opposants au Congrès, Donald Trump a pleinement exercé les pouvoirs qui étaient les siens sans se soucier des autres institutions, qui devaient faire un choix entre suivre le Président et s’opposer en permanence.
Cette stratégie trumpiste fut un premier pas vers la fin du bipartisme. Donald Trump a toujours fait appel au peuple, et non aux stratégies politiciennes pour gagner en influence. Même dans les 5 états qu’il a perdus lors de l’élection présidentielle de 2020, l’efficacité de cette stratégie est visible : +0,6 pt en Pennsylvanie ; +0,5 pt dans le Michigan ; +0,6 pt dans le Wisconsin ; +1,0 pt dans l’Arizona, mais -1,1 pt en Géorgie (évolution de son score entre 2016 et 2020). Sa campagne lui permis d’obtenir de nombreuses voix de groupes très démocrates. En Floride, par exemple, il a gagné 12 points auprès des Hispaniques entre 2016 et 2020 (+6 au Texas, +8 dans le Nevada, +14 en Géorgie, +11 dans l’Ohio…). Dans la plupart des groupes minoritaires (Hispaniques, LGBT, Afro-Américains…), Donald Trump a remporté proportionnellement plus de voix en 2020 qu’en 2016, mais a perdu des points auprès de l’électorat blanc, points qui semblent lui avoir coûté la victoire.
Le trumpisme, au-delà des excès du personnage qui l’incarne, semble avoir la capacité idéologique d’unir une grande partie du peuple américain. Nombre de ses électeurs vivent dans des zones rurales, plutôt pauvres et bénéficiant d’une faible couverture sociale. En faisant appel à ces électeurs, le trumpisme rassemble au-delà des groupes raciaux, un point fondamental que le parti républicain ne peut se permettre d’ignorer dans une période de changements démographiques rapides.
Sur ce point, l’efficacité électorale de Donald Trump n’est plus à démontrer. Le Texas, état républicain par excellence, était sur le point de vaciller avant l’avènement d’une nouvelle idéologie au sein du parti. La population de plus en plus urbaine et hispanique du Texas mettait en danger ce bastion du GOP, mais il semble que les élections de novembre 2020 aient ancré l’état à droite. Sur les dix districts congressionels à majorité hispanique que compte le Texas, seulement deux ont voté pour un candidat républicain en 2018 et en 2020, mais le résultat du parti s’est accru de près de neuf points en deux ans dans ces districts, affirmant ainsi sa percée électorale dans ces zones.
De l’autre côté de l’échiquier politique, Bernie Sanders aussi semble déterminé à rassembler les Américains les plus pauvres. Mais avec d’autres arguments. Ceux du trumpisme sont l’appel au patriotisme, à la liberté et à la lutte contre les ennemis extérieurs des États-Unis. Sanders, lui, tente de rassembler ces Américains en leur faisant prendre conscience de leur précarité et des injustices qu’ils subissent tandis qu’une poignée de milliardaires profiterait de leur labeur.
S’ils sont opposés en tous points, Donald Trump et Bernie Sanders se ressemblent en ce qu’ils vont à l’encontre de l’idéologie majoritaire de leurs partis respectifs. Ces deux courants, de plus en plus puissants, pourraient balayer les establishments modérés et consensuels des partis démocrate et républicain.
Une Amérique sans bipartisme
George Washington avait mis en garde l’Amérique des dangers du bipartisme dès 1796. Aujourd’hui, les citoyens américains en sont fatigués. Les partis républicain et démocrate n’ont plus d’idéologie fixe et sont nécrosés par leurs divisions intérieures. Le groupe démocrate de la Chambre des Représentants va de la riche et modérée Nancy Pelosi de la 12e circonscription de Californie jusqu’à la très progressiste Alexandria Ocasio-Cortez de la 14e circonscription de New York (Bronx). Au Sénat, les démocrates semblent former un ensemble incohérant de partis, en partant de la sénatrice Dianne Feinstein, aisée et modérée, sinon conservatrice, jusqu’au sénateur du Vermont Bernie Sanders, qui se proclame du « socialisme démocratique » et propose un Green New Deal que son parti juge irresponsable.
Les années à venir décideront de l’avenir politique des États-Unis d’Amérique. Si le bipartisme ne meurt pas, les tensions pourraient exploser entre des citoyens trop hétérogènes pour se contenter de deux formations politiques.
Guélan Zaour