Jean-Pierre Audy est ancien député européen (2005-2014) et ancien président de la délégation française du Groupe du Parti populaire européen au Parlement européen (2010-2014)
Le monde doit faire face à une guerre sanitaire mondiale qui aura des conséquences financières, économiques et sociales considérables.
De la capacité des citoyens des différentes régions du monde avec leurs instruments collectifs et publics, donc politiques, à agir et à construire le monde de demain, vont dépendre leur bien-être futur et celui de leurs enfants.
Les sommes gigantesques mises sur la table pour financer les réponses sanitaires, économiques et sociales vont entraîner des débats politiques passionnés voire violents autour d’une question : faut-il rembourser les dettes et, si oui, combien et qui va payer ?
L’idée qui semble circuler de ne jamais les rembourser (dette perpétuelle, abandon de créances etc..) ou, plus généralement, l’idée que l’on puisse faire des dettes sans travailler pour les rembourser est une folie car les débats politiques qui seront adossés à de telles propositions seront sans issue et déboucheront sur une chute de la crédibilité de l’Union européenne dans le monde et de celle des Etats qui iraient dans ce sens.
Néanmoins, ne pas leur faire un traitement particulier, reviendrait à inclure dans la gestion courante des Etats une charge qu’à l’évidence et à fiscalité constante, ils n’ont pas les moyens d’assumer sauf à mettre en place une politique de rigueur qui ne serait pas comprise.
De même, je suis très réservé quant à l’affirmation selon laquelle toutes les règles européennes du pacte de stabilité et de croissance sont « mortes ». Sans doute faut-il les revisiter et les réformer mais les abandonner reviendrait à introduire des éléments d’incertitudes considérables dont les conséquences sont difficiles à estimer ; par exemple si une crise monétaire mondiale surgissait.
Proposition pour le remboursement des dettes : les transférer dans des entités financières nationales et les rembourser sur une durée longue
Je fais une proposition : créer un véhicule financier spécifique par Etat-membre dans lequel les Etats logeraient les dettes issues de cette crise.
Grâce à une garantie à constituer avec la signature de l’ensemble des Etats-membres, cette dette serait souscrite au meilleur taux et aménagée sur une durée longue, par exemple sur 30 ou 40 ans, qui dépasse les durées habituellement contractualisées sur le marché financier.
Ce véhicule serait créé non seulement pour la dette issue de la crise COVID-19 mais, également, pour celles issues des crises futures qui vont inévitablement surgir : il aurait donc un caractère permanent.
Chaque année, ce véhicule financier national adresserait au budget général un appel à contribution pour couvrir le service de cette dette exceptionnelle qui ne serait pas incluse dans les critères européens de stabilité tout en figurant dans le bilan consolidé des Etats.
Ainsi donc, les gouvernements des Etats pourraient, en fonction des engagements électoraux de leur majorité parlementaire, engager et financer des politiques publiques dans la limite du pacte de stabilité et de croissance rénové sans que leur vision budgétaire ne soit troublée par la dette des crises mais tout en prenant en dépense le montant annuel pour la rembourser avec les recettes fiscales supplémentaires qu’une probable inflation va générer à moyen terme (pas à court terme à cause de l’arrêt de l’économie).
Tout ceci peut se faire avec les bases juridiques fondamentales actuelles : le Traité sur l’Union européenne (TUE) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
De plus pourquoi ne pas accélérer la mise en place de ressources propres à l’Union européenne comme par exemple la taxe carbone aux frontières extérieures du marché intérieur au seul bénéfice du budget de l’Union pour financer un grand plan d’investissement utile au respect de nos engagements pour le climat ?
Le moment est venu pour la sphère publique européenne de faire des comptes
Actuellement, nous avons une chance inouïe : celle d’avoir la Banque centrale européenne qui nous assure, du fait de la solidité de notre monnaie commune, l’Euro, issue d’une saine politique monétaire, des liquidités quasi-infinies et l’assurance que le système financier est solide grâce à la supervision financière européenne réformée en 2010, à la suite de la crise des subprimes de 2007 / 2008, sur la base des recommandations du rapport de Jacques de Larosière, gouverneur de la Banque de France de 1987 à 1993.
Les textes fondateurs du Système européen de surveillance financière (SESF), entrés en vigueur le 1er janvier 2011 répondent aux recommandations du G20, avec d’une part, le renforcement de la supervision macro prudentielle sur l’ensemble du système financier européen par la création d’un Conseil européen du risque systémique (CERS) et, d’autre part, le renforcement de la supervision micro-prudentielle, notamment par la mise en place de trois autorités européennes de surveillance pour les banques, les assurances et les marchés financiers.
Malgré tout, la mise en place de financements pour des montants inouïs, se fait actuellement dans le désordre le plus total. Je suis impatient et inquiet de la position des grandes agences de notation quand nous aurons une vision globale de la situation financière des Etats-membres et de l’Union européenne.
Quand je vois comment cette malheureuse Banque européenne d’investissement (BEI) est mise à toutes les sauces, je me dis qu’un jour elle perdra sa notation AAA et que cela finira mal.
Autre exemple, le projet de fond de relance de 500 milliards € proposé par le chef de l’Etat français et la cheffe du gouvernement allemand qui doit être intégré dans le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) et dépensé dans ses premières années : pour son financement, il est prévu d’autoriser la Commission européenne, agissant au nom de l’UE, à emprunter sur les marchés.
Or, l’Union européenne, qui dispose de la personnalité morale depuis le Traité de Lisbonne de 2009, a une situation financière déplorable : ses capitaux propres sont négatifs à hauteur de plus de 61 milliards €.
La notation financière de l’Union européenne avait déjà perdu son triple A le 3 août 2015 et, plus récemment, a été dégradée le 30 juin 2016 par Standard & Poor’s en passant de AA+ à AA à l’occasion du BREXIT.
Naturellement, ces notes restent bonnes mais la tendance est mauvaise.
Quelle banque ou quel consortium de banques va prêter 500 milliards à une telle entité sans des garanties solides qui ne pourront venir que des Etats membres eux-mêmes. A quel taux et sur quelle durée vont être souscrites ces dettes ?
Prévoir de loger 500 milliards € de dettes dans l’entité UE me paraît être une maladresse financière car cela va dégrader encore plus la situation financière de cette entité qui va conserver durablement des dettes au passif de son bilan et qui va dépenser à court terme des subventions qui ne seront pas des actifs et, donc, sa situation nette comptable, va progressivement devenir extraordinairement négative.
La différence entre l’UE et les Etats, c’est que les Etats ne sont pas mortels.
Même si les notations financières des Etats se dégradent, il aurait été plus logique que, dans une telle situation où il faut travailler sur des durées longues, ce soient les Etats qui empruntent et (voir ci-dessus) logent cette dette dans un instrument financier public « ad hoc ».
Mais Emmanuel Macron voulait absolument pouvoir dire que de la dette était mutualisée et ce terme a été repris en cœur par de nombreux journalistes. Or, le plan annoncé n’est pas de la mutualisation de dettes mais de la communautarisation du financement d’un plan de relance ; ce qui est très différent.
Plus globalement, la multiplicité des instruments utilisés pour financer, s’endetter et faire face, dans l’urgence, aux besoins donne le sentiment qu’il n’y a pas de « pilote dans l’avion » et que personne n’a de vision globale de la situation financière de la sphère publique entendue comme étant les Etats-membres, l’Union européenne et leurs satellites (filiales, participations, établissements publics divers, échelon public local).
Dans ce contexte et dans le cadre du pilotage de cette situation financière fragile et dangereuse, je propose que la sphère publique européenne, sous les contrôles conjoints de la Cour des comptes européenne et des cours des comptes nationales, établisse des comptes consolidés qui respectent les normes comptables applicables au secteur public (normes IPSAS = International Public Sector Accounting Standards) et dont le périmètre serait : Etats-membres, Union européenne, collectivités locales, le tout en y incluant toutes les filiales comme la Deutsche Bahn, SNCF, La Poste, les établissements et instruments publics etc..).
Ces comptes annuels consolidés, préparés par la Commission européenne en relation avec les gouvernements des Etats seraient présentés par le président du Conseil européen et feraient l’objet d’un débat politique, en visio-conférence, conjointement par les parlements nationaux et le Parlement européen et d’un vote.
Les bons comptes font les bons amis.
Jean-Pierre Audy
La question principale que je me pose concerne les chances d’obtenir la solidarité de l’ensemble des états membres pour garantir les dettes de chacun. Surtout si le véhicule de chaque état n’est pas plafonné dès le départ.
Pensez-vous que la solidarité sera acquise sur ce qui risque d’être un puits sans fond ?
Cette proposition devrait à mon avis être jointe ou mieux précédée d’une proposition politique (moins rigide qu’un plan) de redressement par la relance économique.
La mondialisation devant être repensée et limitée
Bon countuntion a votre travail au parlement européen ou union européenne courage