Tugdual Denis est journaliste à Valeurs Actuelles, il a suivi durant la campagne présidentielle François Fillon, et en tire un livre, La vérité sur le mystère Fillon.
Vous sortez un livre sur l’affaire Fillon que vous avez suivi dans le cadre de la campagne présidentielle, cette affaire révèle-t-elle la dépendance politique de la justice ?
Effectivement, pendant la campagne présidentielle, c’est quelque chose qui nous interrogeait beaucoup à Valeurs Actuelles. On voyait un candidat de la droite, qui venait de triompher de la primaire, haut la main, et qui subitement, se retrouve pris dans une énorme tempête politico-médiatique. Tout cela sur la base d’une enquête des juges dont on découvre aujourd’hui qu’ils ont enquêté sous pression, comme l’a déclaré madame Eliane Houlette. En revanche, mon livre n’est pas basé sur l’affaire Fillon mais bien sur le « mystère Fillon », car à cause de l’affaire Fillon, nous n’avons rien su du personnage qu’est François Fillon. Il est sorti de cette campagne sans avoir dit qui il était, quelles étaient ses idées, et ça pour un électeur, qu’il soit Les Républicains ou pas forcément de son camps politique, c’est très frustrant. Surtout que j’ai découvert au travers de mon enquête, qu’il y a une vraie densité du personnage : il a des choses à raconter, il a vécu des choses, il a exercé de hautes fonctions. C’est pour cela qu’on peut considérer qu’il y a une double injustice.
Est-ce qu’on peut considérer avec l’emballement médiatique de cette affaire que les médias font désormais l’élection ?
C’est incroyable de voir les répercussions sur cette famille telles que je les décris dans le livre, en l’ayant interrogée, que ce soit Pénélope Fillon ou ses enfants. Aujourd’hui, dans une société avec les réseaux sociaux, les chaines d’information en continu, la puissance du blast qui nous emporte quand il nous arrive pareille chose est très importante. Quand le PNF (Parquet national financier) ouvre une enquête sur François Fillon d’après les allégations du Canard Enchaîné, sa vie devient un enfer. Ce sont constamment des paparazzis en bas de chez eux, ce sont des messages médiatiques constamment matraqués jour et nuit, c’est l’opinion publique qui devient très dure, des enfants qui voient en une des journaux leurs parents accusés. La multiplicité des sources médiatiques et leur imprécision quand il s’agit de simples réseaux sociaux rend difficile la gestion des affaires médiatiques pour les politiques.
Peut-on considérer que François Fillon a payé la méfiance de la population envers les politiques ?
Dans le livre, un personnage intervient régulièrement, j’étais très intéressé à l’idée de le rencontrer et de le faire témoigner : c’est François Sureau (Avocat et écrivain) qui est un ami d’Emmanuel Macron, un grand défenseur des libertés publiques, quelqu’un qui n’est donc pas un ultra conservateur, mais un ami de François Fillon qui a participé à sa campagne. Il tire de cette affaire une interprétation que je trouve passionnante. Il explique qu’avec François Fillon, cela a été le symptôme le plus marquant de la fin d’une société qui croyait jusque-là à la présomption d’innocence, au procès équitable, et – rajoute-t-il joliment – à une société optimiste envers l’être humain. En fait, François Fillon a payé ça, la fin du pardon et de la miséricorde, et l’avènement d’une société de lynchage où l’on chasse en meute sur les réseaux sociaux, caché sous son anonymat, qui permet de démultiplier la violence. C’est un peu la victime d’une époque.
Eric Ciotti propose de dissoudre le PNF (parquet national financier). Quel est votre avis ?
Le Parquet national financier a signé son crime en faisant preuve d’une temporalité pendant la campagne présidentielle. Une temporalité qui avait à chaque instant des conséquences politiques directes et concrètes. Il a signé son crime en ne respectant pas le secret d’instruction avec des fuites bien organisées et bien dosées, dans des médias tels que Médiapart ou Le Monde, à chaque fois elles étaient à charge. Les arguments de la défense de François Fillon et de son épouse, eux, n’étaient jamais repris. Le PNF a encore montré son hostilité avec cette peine extrêmement sévère qui suit mot pour mot les réquisitions d’accusation (ce qui est assez rare dans le monde judiciaire), accompagné par la magistrate qui au moment où le jugement tombe ne peut s’empêcher d’ajouter des commentaires sur l’exemplarité dont aurait dû faire preuve François Fillon. C’est un débat légitime, mais qui ne la regarde pas dans son travail, elle est magistrate, on ne lui demande pas de faire des leçons de morale mais de juger en droit. On a vu aussi avec les réseaux sociaux, les révélations du Point sur l’affaire Sarkozy, les gens sont mis sous écoute de manière hasardeuse, ambigu, et pas tout à fait de bonne foi. C’est le fait de cette juridiction spéciale à laquelle François Hollande a donné des juridictions spéciales, de trop grandes responsabilités, il est arrivé ce qui devait arriver, le ver est dans le fruit, les juges sont tentés de se faire des gouvernements, aller au-delà de leurs tâches initiales. Voilà pourquoi le PNF est très contesté. Il faut espérer qu’on trouve une forme juridique, institutionnelle qui satisfasse tout le monde, et qui évite toute suspicion d’instrumentalisation.
Sur le candidat Fillon comment expliquer cet emballement de l’électorat durant la primaire alors qu’il était considéré comme un outsider ?
C’est quelqu’un qui a toujours été le représentant de la droite conventionnelle. Il a quand même commencé avec Philippe Séguin, donc plutôt un rebelle à droite, qui n’était pas du tout dans le consensus mou, affirmant haut et fort ses idées, politiquement incorrect. C’est la formation initiale de François Fillon, mais cet ADN s’est moins reflété quand il a occupé la fonction de Premier ministre. Mais en 2016, il a préparé la campagne depuis 2/3 ans, ce qui l’a conduit à un projet politique très personnel, mais surtout sans avoir à faire avec des politiques, mais plutôt avec des experts dans leur domaine, comme Henri de Castries, l’écrivain François Sureau, l’économiste Nicolas Baverez. C’est un Fillon délivré de la tutelle de l’UMP et des obligations de consensus. C’est pour ça que François Fillon réussit aussi bien l’exercice de la primaire, c’était une droite sans tabou. En économie il y a l’offre et la demande, et apparemment, pour François Fillon les gens ont acheté.
Le programme de François Fillon était-il l’exemple type de la synthèse d’un libéralisme enraciné ?
C’est ce que j’ai essayé de détricoter dans mon livre. Je raconte les réunions qu’il y avait au relai de chasse pendant deux étés entre 2014 et 2015, donc bien avant la primaire. Tous ces grands cerveaux et ces personnes qui étaient réunis pour phosphorer sur l’élaboration du programme de François Fillon, ils n’ont pas lésiné sur le libéralisme : fin des 35 heures, réforme des retraites immédiatement, la conviction qu’il faut produire avant de redistribuer. Par ailleurs, c’était aussi la conviction – grâce à des personnalités comme Bruno Retailleau – qu’il existe une insécurité culturelle, un sentiment de dépossession et une urgence civilisationnelle à résoudre. Ça été l’alliage assez magique entre ces deux idées, un programme économique qui cherchait des réformes structurelles et sur le plan sociétal et culturelle qui se distançait de la pensée unique.
Avait-il la possibilité de renoncer ?
Oui, bien évidemment il aurait pu partir. Mais, pourquoi partir quand vous avez l’impression d’être la victime d’un acharnement judiciaire ? Pourquoi partir quand vous avez l’impression que votre propre famille politique vous tire dans le dos ? Pourquoi partir quand vous venez de gagner une primaire très largement avec un programme novateur et ambitieux ? Pourquoi partir quand Alain Juppé -comme je le raconte dans le livre – vous dit au téléphone à la veille du Trocadéro de manière hautaine et sèche, « ne crois pas au plan B Alain Juppé » ? Nicolas Sarkozy essayait dans le même temps d’imposer François Baroin. Si vous voulez, il y avait beaucoup d’éléments réunis pour douter de l’intérêt d’un retrait.
On sent une difficulté pour Les Républicains de se remettre de cette élection présidentielle de 2017…
En tout cas, ma théorie c’est que François Fillon est la mauvaise conscience de la droite. C’est la dernière fois que la droite avait un leader légitime. Désormais personne n’émerge réellement. La ligne n’est pas claire avec des sensibilités qui se disputent le parti Les Républicains, entre une frange centriste et une frange conservatrice.
Est-ce que vous considérez que François Fillon est resté le même tout au long de l’affaire, ne laissant rien transparaître, toujours digne ?
C’était le défi de ce livre. Essayer de creuser sur la personne. Au fond on ne le connaissait pas alors qu’il est une personnalité publique. On était presque étonné de le voir continuer cette campagne présidentielle. Au-delà de la tactique politique, de savoir s’il avait raison de continuer sa campagne, c’était plutôt de savoir comment cet homme pouvait résister à une telle tempête médiatique ? Comment peut-il continuer de protéger sa famille avec une exposition pareil ? Comment accompagne-t-il son épouse dans cette tourmente ? En fait, c’est tout cela qui m’a le plus intéressé chez lui, c’est de voir un homme qui était Premier ministre, qui s’est vu président de la République, et qui n’a pas arrêté de me dire toutes les 3 pages « là-dessus j’ai eu tort », « c’est mon défaut », « je ne parle pas assez », « je ne communique pas assez », « quand j’étais premier ministre de Nicolas Sarkozy j’aurais dû m’imposer sur certains sujets comme la Libye », bref quelqu’un de très surprenant. Une personne discrète, qui a accepté exceptionnellement de se dévoiler, mais aussi un homme qu’on croyait pétrit de certitudes, qui s’avance, en toute humilité, devant un modeste biographe et qui lui explique les coulisses de sa vie intérieure.
Propos recueillis par Paul Gallard
Retrouvez le livre de Tugdual Denis :
https://www.lisez.com/livre-grand-format/la-verite-sur-le-mystere-fillon/9782259282147
Georges Fenech avait raison quand il réclamait la destitution de François Fillon, avec d’autres parlementaires, malheureusement minoritaires. La magistrate a eu raison de souligner l’indignité cupide de ce prevaricateur concessionnaire. Non seulement, c’était un élu de haut rang, mais lui et son épouse sont des juristes de formation. Tout comme Jacques Chirac, qui n’a été que peu et trop tardivement inquiété, cela ne mérite pas la prison, mais plutôt le remboursement triplé, pour être dissuasif, des montants indus perçus par ce couple avide. Nicolas Sarkozy n’aurait même pas dû faire preuve de magnanimité en acceptant de faire rembourser par l’UMP la moitié des détournements parisiens de Jacques Chirac, pour complaire à Mme Chirac. La temporalité électorale ayant été fixée par le Canard Enchainé ayant sorti le papier durant la campagne électorale, comme journaliste, votre interlocuteur devrait comprendre le tempo de ses confrères, le couple Fillon ne méritant aucune indulgence. Je vous renvoie à ses déclarations incendiaires à l’encontre de son ancien patron, durant les primaires de l’UMP.